Depuis une dizaine d’années, Vincent Le Gall et son équipe proposent des soirées Génération 80-90. Ne vous attendez pas à une espèce de nostalgie hype à la Darude : ici, on la joue boum à l’ancienne, bracelets néon et bandana. Suivez-nous, ce soir notre chroniqueuse teuf vous emmène aux Étoiles.
La techno, c’est cool, on peut même dire que c’est mon délire depuis un petit moment, mais j’avoue que je ne suis jamais contre une chanson avec paroles, qu’on peut chanter à tue-tête jusqu’à se faire péter la veine qu’on a sur la tempe là (tu vois laquelle). C’est pourquoi quand j’ai vu en zonant sur Facebook (oui, j’aime penser que je suis une boomeuse moderne) qu’on organisait des soirées « années 80-90 » aux Étoiles de Strasbourg-Saint-Denis, j’ai sauté sur l’occasion.
La description de l’événement m’a interpellée, ça faisait longtemps que je n’en avais pas vu des pareilles. Dès les premières lignes, on lit une mention « invitation prioritaire pour 200 filles à télécharger ». Ça m’a rappelé les Ladies’ Night au Mistral d’Aix-en-Provence, quand je falsifiais grossièrement une photocopie de ma carte Vitale parce que j’avais 15 ans et que je me faisais cramer car je ne modifiais que ma date de naissance en oubliant le numéro de sécu en bas. Quand je demanderai à Vincent Le Gall, le propriétaire des Étoiles, si ce n’est pas une pratique un peu anachronique, il me répondra : « C’est vrai qu’on commence à avoir du mal à faire des invitations gratuites uniquement pour les filles et pas aussi pour les garçons. C’est un truc qui s’est toujours fait dans le milieu de la nuit, mais dans l’air du temps, ça devient compliqué. On a arrêté de le faire pour d’autres soirées qu’on organise, mais on continue sur celle-là. Dans les soirées d’époque, les boums populaires, il y a toujours eu des invitations gratuites pour les filles. »
Aujourd’hui, quand tu as entre 30 et 40 ans, c’est assez compliqué de trouver des teufs où on te propose d’écouter les musiques avec lesquelles tu as grandi.
Vincent Le Gall, propriétaire des Étoiles
« Personne ne te juge »
On est le 2 avril et il neige à Paris. À l’idée de braver le froid, j’ai clairement envie de crever. J’arrive devant le club à 23h55, il n’y a personne. On me dit qu’iels ont pris du retard et que ça ouvrira à 00h30, je décide alors d’aller m’en jeter un dans le quartier. Je reviens une demi-heure plus tard et j’entre dans cet ancien théâtre désaffecté, racheté en 2010 par Vincent Le Gall et entièrement retapé : « Avec les normes actuelles et notamment la problématique du son, c’est très compliqué d’avoir une discothèque en milieu urbain. On en a eu pour quatre ou cinq ans de travaux, mais on a quand même essayé de garder l’âme du lieu. » Et iels ont fait ça bien : le système son fonctionne au top. À mon arrivée, les enceintes crachent « Genie in a Bottle » de Christina Aguilera à donf. Il y a deux vestiaires différents : le premier est assez classique, tu y paies 2 euros l’article en plus de ton entrée (15 euros sur place, 10 euros en prévente). Le second, lui, est réservé à celleux qui ont choisi le « Pack VIP », qui comprend 4 entrées, 1 bouteille au choix (de l’Eristoff ou du William Lawson) plus un accès à la mezzanine privée, pour 160 euros – ou bien celleux qui, pour 40 euros de plus, ont droit à de la Grey Goose, du Jack Daniels ou du Diplomatico.
Virginie, qui a 42 ans et travaille dans les ressources humaines, a opté avec ses ami·es pour la deuxième formule : « 40 euros chacun·e pour écouter de la musique qu’on ne trouve pas ailleurs, boire un verre et rigoler entre copaines, certes c’est une somme, mais ce n’est pas tous les week-ends. On vient à ces soirées de temps en temps et, sincèrement, on s’y amuse toujours. » Effectivement, on peut dire que l’ambiance est bonne. Sur la piste, des stroboscopes projettent de la lumière de toutes les couleurs, tout le monde porte son petit bracelet néon et chante « Baby One More Time ». Je ne sais pas s’iels se sont passé le mot, mais énormément de gens portent un bandana façon bandeau, en mode Billy Crawford.
« On s’est spécialisé sur l’organisation d’événements qui s’adressent à un public assez populaire et c’est peut-être ce qu’il manquait à Paris. Il y a beaucoup d’events techno, électro, mais assez peu de soirées plus mainstream avec les sons qu’on écoutait avant. Aujourd’hui, quand tu as entre 30 et 40 ans, c’est assez compliqué de trouver des teufs où on te propose d’écouter les musiques avec lesquelles tu as grandi. » J’acquiesce, assez d’accord avec ce que me dit Vincent. « Tu viens ici pour te marrer, tu sais que ça ne va pas être le top de la hype, mais tu passes un bon moment. Personne ne te juge sur ta façon d’être ou de t’habiller, tout ce qu’on te demande c’est de marcher droit lorsque tu franchis la porte », continue le gérant de l’établissement. Je me demande quand même qui sont ces gens qui téléchargent les 200 invitations prioritaires et qui posent leur bouteille de Grey Goose en écoutant la Macarena ?
La clientèle de 30-40 ans avait à nouveau 12 ans et demi. Tu voyais dans leurs yeux que c’étaient des moments extraordinaires.
Vincent Le Gall, propriétaire des Étoiles
Bande de jeunes et casquettes de travers
Je monte les escaliers pour arriver dans le fumoir. Ici, je trouve une bande de jeunes (quel âge j’ai, moi ?) qui hurle et fait une espèce de ola à chaque fois que quelqu’un·e pénètre dans la pièce. Le mood est à la bonne franquette. Je m’approche donc de ladite bande. Marie, petite robe rouge et collants couleur chair, est hôtesse d’accueil. Elle a 23 ans et elle vient ici pour la seconde fois. « Je n’ai pas l’habitude de sortir en club. Généralement, je vais plutôt dans des bars. Ici, je viens vraiment pour la musique, pour danser avec mes potes. C’est plus pratique de faire du bruit en club que dans des appartements où on a des voisin·es ! » Elle est accompagnée d’un type qui porte des lunettes de cycliste et une petite atéba de barbichette – en gros, un bouc long qu’il a entouré d’un tissu vert fluo. Pourquoi pas. Il a 30 ans et il est ouvrier. Il me dit qu’on l’appelle Michel-Ange vert parce qu’il est fan des Tortues Ninja. « Ici, c’est top, on peut vraiment s’amuser. Le seul problème, c’est le prix. J’ai payé l’entrée 11 euros, 2 euros de vestiaire et mon verre de coca de 25 cl 6 euros ! Le lieu est très beau, l’ambiance est super, mais d’habitude, là où je vais, je paye 5 euros les 33 cl. Franchement, ça n’incite pas à la consommation. » Effectivement, j’ai moi-même déboursé 15 euros pour ma vodka-get. Des tarifs qu’on pratique souvent en club, me direz-vous. Au moins à ce prix-là, on a un petit capuchon apposé sur les verres, histoire d’éviter de se faire droguer à son insu. Bonne initiative.
L’aspect économique, Vincent m’en a parlé. « On fait aussi ce type de soirées-là parce qu’on n’a pas une grosse capacité. Notre jauge est à 500 personnes et, souvent, elle est atteinte dès 1h30 du matin. Quand tu payes un gros plateau DJ pour un événement électro et que tu ne vends que des bouteilles d’eau au bar [la MDMA, ça donne soif, ndlr], tu n’as plus de sous pour le reste. »
D’ailleurs, qui sont les artistes qui officient à la « Génération 80-90 » des Étoiles ? « On programme une seule personne sur toute la soirée. C’est plus un·e selector qu’un·e DJ. Ce soir, c’est Jeff, qui a beaucoup mixé au Bus Palladium et qui est un habitué des soirées Erasmus. L’idée est de sélectionner les sons qui passeront bien au bon moment, faire en sorte que ta piste de danse reste pleine du début à la fin. » Bref, personne ne t’en voudra si tu alpagues le DJ en lui montrant l’écran de ton téléphone pour qu’il foute le son que tu lui demandes. Ça fait plaisir.
Jeff passe « Bad Boys de Marseille » d’IAM et on voit s’agiter les casquettes de travers sur la piste (pas à l’envers, mais bien de travers). Il y a quelques années, avant que la soirée ne s’installe pour de bon aux Étoiles, l’organisation bookait carrément une star des années 80-90. Tu pouvais avoir G-Squad, Corona ou Tonton David qui venait se produire sur la scène du club. « La clientèle de 30-40 ans avait à nouveau 12 ans et demi. Tu voyais dans leurs yeux que c’étaient des moments extraordinaires » se rappelle Vincent. À partir de septembre prochain, les Étoiles envisagent de faire venir à nouveau ces stars tombées dans l’oubli pour des showcase de qualité. Je sais pas vous, mais moi, j’y serai.
« Tous les jours c’est samedi soir », c’est la chronique de Manifesto XXI sur la nuit et la fête. Ici, pas d’analyse musicale ni de décryptage de line-up. L’idée est plutôt de raconter avec humour ce monde de la fête que l’on connaît tout bas. Qu’est-elle devenue après plus d’un an de confinements ? Qui sort, et où ? Et bien sûr, pourquoi ? Manon Pelinq, clubbeuse aguerrie, entre papillon de lumière et libellule de nuit, tente d’explorer nos névroses interlopes contemporaines, des clubs de Jean-Roch aux dancefloors les plus branchés de la capitale.
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