Pour ce second volet des Résonances astrales, notre chroniqueuse astro Marion Versatile nous plonge dans toutes les nuances de l’axe Bélier-Balance, le premier du zodiaque, qu’elle nous invite à considérer comme une réflexion profonde sur l’ego et sa relation à l’altérité, et un point de départ pour penser le monde d’après.
Dans cette série de chroniques, l’astrologue Marion Versatile, thérapeute et artiste transdisciplinaire, nous livre une précieuse analyse d’actualité astrologique. À rebours des horoscopes profanes et réducteurs, elle propose de réancrer l’astrologie dans une vision émancipatrice. La poésie de ses mots met ainsi à jour les grands bouleversements individuels et collectifs que nous traversons, et offre des outils de compréhension symbolique du monde au prisme des météos cosmiques. Cet épisode nous plonge dans les relations entre le soi et l’autre.
Je laisserai le magma de mon cœur blessé se déverser avec grâce au travers de mes fragiles paupières.
Saphira
Si l’autre est un miroir, ses reflets nous éblouissent parfois jusqu’à l’inconfort. Ou l’insupportable. Le cheminement humain porte cette contradiction insoluble : être une espèce sociale – quand « l’enfer c’est les autres »¹. Notre perception de l’existence toute entière trouve son point de départ dans l’ego – illusion ou réalité –, fondement de ce qui nous sépare du reste de l’univers. Ce « je » navigue en permanence la douleur d’exister dans un monde où l’autre diffère, suscite frustration et compromis. Ce « je » touche pourtant à l’extase lorsqu’il connaît la symbiose d’une rencontre. La communion fait advenir une forme de transcendance. Il n’y a nul hasard dans ce que le premier signe de l’horoscope, le Bélier, représente la naissance de l’individualité. Le signe qui l’oppose et le complète, la Balance, symbolise l’équilibre. Cette notion présuppose l’existence de deux pôles, et donc, de l’altérité.
Présages et révélations : l’interprétation des éclipses depuis les temps anciens
Depuis le mois de mars 2023 et jusqu’en mars 2025, le nœud du nord s’est installé en Bélier et le nœud du sud s’est ainsi logiquement orienté en Balance. Les nœuds lunaires sont des points invisibles qui résultent de calculs mathématiques indiquant les points d’intersection entre le soleil et la lune. Ils nous renseignent sur les cycles des éclipses. Les significations de ces dernières revêtent diverses nuances d’une tradition astrologique à l’autre. Aussi loin que les humains aient pu observer les éclipses, ils leur ont accordé une grande importance – symbolique ou littérale. En Mésopotamie et dans les empires d’Amérique centrale, elles suggéraient des évènements majeurs voire catastrophiques, tels que la mort d’un souverain, le début et la fin d’un royaume. Dans l’Égypte ancienne, leur cycle servait à planifier des rituels puissants. L’éclipse évoque le thème de la révélation, du passage de l’obscurité à la lumière. Souvent, ces phénomènes célestes étaient attribués à des conflits entre les dieux, déesses, forces de la nature et du cosmos.
L’utilisation des nœuds lunaires en astrologie est l’héritage du Jyotish, la tradition astrologique hindoue, issue des vedas. Le nœud du nord, nommé Rahu, représente la tête d’un monstre. Il est associé au futur, aux qualités vers lesquelles il nous faut tendre, à ce qui suscite en nous une attraction irrésistible voire une forme de voracité. Le nœud du sud, Ketu ou la queue du monstre, est associé au passé. Il évoque ce qui a déjà été acquis ou trop accumulé, et qu’il faut désormais laisser partir, il indique éventuellement le karma de nos vies passées. (Il est à noter que la notion de karma s’inscrit ici dans le système spirituel complexe issu des vedas². Si on la retrouve également dans la pratique occidentale de l’astrologie karmique, sa signification ne peut être isolée de la tradition millénaire dont elle découle.)
La pertinence des nœuds lunaires dans le déroulé politique de cette année écoulée et des mois à venir est éclairante sur les questionnements profonds qui sont soulevés à l’échelle de l’humanité. Ce cycle, situé dans le premier axe du zodiaque, aura eu l’effet d’un reset à bien plus d’égards que nous ne le réalisons encore.
La rencontre de deux personnalités est comme le contact entre deux substances chimiques ; s’il se produit une réaction, les deux en sont transformées.
Carl Gustav Jung
L’illusion de la séparation primordiale : le soi face à l’autre
Au commencement, dans le tout et le néant, un cosmos unifié, la création du monde des singularités émerge de l’asymétrie. Notre vécu et notre perception reposent sur l’illusion que l’autre est autre, qu’il existe une différence entre l’intérieur et l’extérieur. Ce postulat, qui structure plusieurs niveaux de conscience, est le fondement même de l’expérience humaine incarnée. Toute sa vie, l’individu tente de retrouver cette union primordiale. Toute sa vie, il l’effleure à travers le sentiment d’appartenance à une communauté ou à un environnement. Il peut la caresser au travers de ses relations familiales, amicales, amoureuses, militantes, créatives, et tant d’autres encore. Il peut y goûter dans la fête, dans le sport, dans la spiritualité, dans l’art, et tant d’autres choses encore. Ce sentiment de connexion est aussi profondément lié à la foi, car l’ego se transcende lorsqu’il rencontre le monde. Mais il est toujours ramené à son inéluctable solitude.
L’année écoulée a mis en lumière cette dialectique d’opposition entre le Soi (Bélier) et l’Autre (Balance). Ce cheminement se poursuivra pour de nombreuses années encore, car Saturne et Neptune entreront dans le Bélier en 2025, poursuivant et solidifiant les enseignements amorcés depuis 2023. L’axe nodal de la lune s’introduit chez le Poissons et la Vierge dès le mois de septembre 2024, et s’y installe pour un cycle complet à partir de février 2025.
L’histoire de l’humanité est ficelée de récits de conquêtes et d’alliances, d’occupation et de coexistence. Ces questionnements réémergent avec fracas. Le droit d’exister des un·es peut-il compromettre le bien-être des autres ? Quels sont les moyens légitimes de résistance face à la répression ? La justesse est-elle possible sans justice ?
Polarité archétypale : ce qui s’oppose, se complète
L’archétype du Bélier se structure autour de la notion d’individualité, de libido au sens d’impulsion créatrice première. Signe de feu à modalité cardinale³, il initie l’action. Il est gouverné par Mars, divinité guerrière (son équivalent anglais est d’ailleurs Aries pour le dieu grec Arès). Il se manifeste dans la conquête et la défense, favorise l’action directe plutôt que la réflexion ou le compromis. La Balance représente le maintien de l’harmonie et la recherche de justice. Elle est associée à la planète Vénus, marraine des arts, de l’amour et du plaisir.
L’orientation des nœuds lunaires et leur présence dans un signe particulier suggèrent que les thématiques qui lui sont associées seront exacerbées. Par exemple, de façon très littérale, les éclipses du mois d’octobre 2023 se sont manifestées par une rupture brutale du statu quo en Palestine et en Israël. La prise d’action s’inscrit donc ici en opposition avec le maintien d’un équilibre à tout prix. Le nœud du sud représente les valeurs dont il est temps de s’éloigner. Cette dernière année, cela a pu se traduire à travers l’idée qu’une paix superficielle entretient un équilibre illusoire aux dépens d’une des deux parties, et empêche l’expression d’intérêts individuels et identitaires. Dans leur structuration la plus élémentaire, le Bélier a pour étalon de mesure son propre ego, et la Balance, le rapport à l’autre. En vérité, chaque signe existe sur un spectre, et contient son antagonisme en essence. Ainsi, la singularité de l’ego n’a de sens que dans l’altérité. Ainsi, la recherche de validation et d’harmonie avec l’extérieur se dessine forcément autour d’un besoin né de l’individualité.
La terreur de l’anéantissement
La peur est le terreau dans lequel la division prend racine. Chez l’humain, il ne s’agit pas seulement de la disparition du corps, mais aussi de l’identité, à l’échelle individuelle comme collective. Cet effroi s’enrobe d’arrogance comme d’une carapace, pour protéger cette identité que l’on sent, à tort ou à raison, menacée. Cette identité, que l’on s’imagine être le soi, nous fait parfois dévier de l’essence véritable de l’existence : l’amour. Il s’agit ici de l’amour dans sa dimension spirituelle, un état de communion et d’expansion qui s’ancre dans l’acceptation, l’engagement, l’humilité et la gratitude.
La peur nous éloigne de l’amour. Le contact avec l’autre, dans toute son étrangeté, nous fait entrevoir deux possibilités : l’amour ou la mort. L’expansion ou la destruction d’une partie de nous-même, altérée par ce choc avec l’extérieur. La peur nous éloigne de la fertilité, de la création qui est le fruit d’une rencontre entre deux corps étrangers, deux atomes, deux perspectives. D’un point de vue politique, c’est en reposant sur la terreur irrationnelle de disparaître que la pensée fasciste atrophie notre relation au monde. Ce chapitre astrologique met en lumière l’ampleur de la dérive dans nos sociétés contemporaines de l’hyper-individualisme. C’est pourquoi l’amour spirituel est une invitation à tout accueillir, y compris la peur, et à l’aimer pour ce qu’elle nous révèle, à l’aimer pour s’en libérer ensuite. Le soi qui a peur de disparaître peut en venir aux pires actes, qui conduiront finalement à son auto-destruction. Cette dynamique s’observe à l’échelle humaine comme à l’échelle sociétale.
La peur est la principale force à l’appui des structures de domination. Elle favorise le désir de séparation, le désir de rester des inconnu·es. Lorsque l’on a toujours appris à se sentir en lieu sûr dans la similitude, toute différence, quelle qu’elle soit, apparaît comme une menace. Lorsque l’on choisit d’aimer, on choisit de s’opposer à la peur, à l’aliénation et à la séparation. Choisir d’aimer, c’est choisir de se lier – de se retrouver dans l’autre.
bell hooks, À propos d’amour
Guerre et paix : la justesse est-elle possible sans justice ?
Si le Bélier symbolise la guerre, l’auto-détermination, le courage et la défense, la Balance illustre la négociation, la diplomatie et la paix. Dans un contexte de domination, où l’expression identitaire des un·es se fait au détriment des autres, l’équilibre est un mirage. Le nœud du sud en Balance a mis en lumière ce qui avait trop longtemps été poli, nié, atténué pour imposer une harmonie factice, l’illusion d’un compromis stable mais figé. Les discours tempérés des personnages politiques ou des diplomates semblent alors hypocrites. Dans toute relation, la flamme de vie de chacun·e doit être également honorée et considérée, au risque de voir ressurgir le feu en une éruption volcanique dévastatrice. De la consensualité à la compromission, il n’y a parfois qu’un pas. L’histoire de l’humanité est ficelée de récits de conquêtes et d’alliances, d’occupation et de coexistence. Ces questionnements réémergent avec fracas au centre de la scène. Le droit d’exister des un·es peut-il compromettre le bien-être des autres ? Quels sont les moyens légitimes de résistance face à la répression ? La justesse est-elle possible sans justice ? Une échelle prévaudrait-elle sur les autres ? L’identité humaine plutôt que nationale ? plutôt que régionale ? plutôt qu’ethnique ? plutôt que religieuse, plutôt que communautaire, plutôt que politique ? etc. Sont-elles nécessairement incompatibles ? Il ne peut exister de justice à l’échelle d’un groupe sans responsabilisation individuelle. Assumer nos actes requiert du courage. Un processus de médiation repose sur la prise en compte des émotions qui habitent chaque partie. Si la résolution d’un conflit passe par l’écoute et la réparation, la réconciliation s’ancre dans la considération réciproque et le pardon.
Une fausse opposition : l’affirmation de soi ne passe-t-elle pas par l’amour inconditionnel ?
Si l’autre est un reflet de soi, l’amour de soi ne passe-t-il pas par l’amour des autres ? Et inversement ? Dès la venue au monde, l’expérience de la séparation advient dans la douleur. La fusion avec la matrice maternelle est rompue par la manifestation concrète de l’individualité, l’arrivée d’un nouveau corps dans le monde. Le souvenir réconfortant de cette union primordiale peut être retrouvé dans les moments de tendresse et de soin, mais l’amalgame qui peut exister entre la personne qui a porté l’enfant et l’enfant lui-même n’existe plus : il s’agit là de notre première expérience de la dualité. La psychologie observe que le cerveau humain s’atrophie lorsqu’une personne est recluse et seule. Il semblerait qu’on ne devienne soi, qu’on ne se révèle à soi-même, qu’au travers du miroir de l’autre.
Le Bélier est généralement associé à la première maison astrologique (qui représente le soi), et la Balance à la 7ème maison (qui représente l’autre). La 7ème maison représente également ce que l’on projette sur les autres, d’une part les qualités que l’on admire mais que l’on ne parvient pas à percevoir en soi, d’autre part ce que l’on déteste chez les autres et que l’on refuse d’admettre chez soi. Dans les deux cas, il s’agit d’une vision erronée puisque cette reconnaissance même suppose que ce que l’on voit chez l’autre préexiste déjà en nous.
Le nœud du nord en Bélier nous invite à une hygiène relationnelle qui repose sur des individualités authentiques, au sein desquelles le respect de l’autre et le respect de soi sont inextricables. Ce cycle offre l’opportunité de soigner les blessures intérieures, pour guérir nos rapports à l’extérieur. Il n’est pas seulement question d’harmonie, d’affection et de soin, il s’agit de sincérité, de courage et de dévotion. Être dominé·e par un désir de validation ou s’affirmer en écrasant les autres sont deux formes d’aliénation. Le nœud du sud en Balance ouvre la voie pour défaire les schémas qui noient notre vérité profonde dans un confort superficiel. Dans ce processus de transformation, le Bélier nous enseigne que la douleur peut alimenter le feu d’une action émancipatrice comme celui d’une rage de destruction aveugle. Cet archétype nous dévoile les formes d’agentivité qui existent en toute situation, qu’il s’agisse d’action, de résistance ou de lâcher-prise.
La quête d’harmonie est illusoire, hypocrite et délétère si elle n’est pas le lien qui existe entre deux entités qui s’acceptent et se respectent pleinement. Si l’essence est immuable, la forme est adaptable. Accepter d’être touché·e, d’être altéré·e, est le point de départ de la création. Chacun·e d’entre nous est miraculeusement unique, inéluctablement seul·e. Si toute chose dans l’univers implique son contraire, les deux extrêmes d’un même spectre cohabitent éternellement. Cette polarité de l’émergence du soi et de la relation à l’autre qu’incarne l’axe Bélier-Balance, le premier du zodiaque, nous ramène au fondement des fondements, le point de départ élémentaire pour envisager le monde d’après.
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¹ Jean-Paul Sartre, Huis clos, 1944
² Les vedas (ou le Veda), signifiant les « savoirs », sont un ensemble de textes indiens initialement transmis par voie orale, composés de plusieurs ensembles, qui forment la base du védisme, du brahmanisme et de l’hindouisme
³ Les signes sont catégorisés par leur élément – Feu, Terre, Air, Eau – et par leur modalité – cardinale, fixe ou mutable.
Relire : Résonances astrales. #1 Transmutations plutoniques
Relecture et édition : Coco Spina, Sarah Diep
Dessin : © Léa Nana
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