Simultanément femme fatale et baby-doll, la tenue festive rétro partagée par Britney Spears sur Instagram célèbre une liberté retrouvée tout en questionnant le rôle de la femme-enfant hyper-sexualisée dans sa carrière – et dans l’époque contemporaine.
Au milieu d’un large salon, une blonde à l’œil charbonneux se trémousse sur un titre du crooneur James Brown. Longs cheveux caressant son épaule, Britney arbore une robe du soir d’un registre pin-up cartoonesque rappelant Jessica Rabbit, mais dans un coloris rose dragée pailleté, dénotant d’une naïveté faussement enfantine. Le bustier est un poil trop large, la fente du modèle est mal positionnée, une coupe approximative trahissant une facture hors de la haute couture attendue de la part d’une star.
Néanmoins, Britney Spears est là, libre, maniant et répétant les codes ayant rythmé l’ensemble de sa carrière au fil de ses posts. Entre femme fatale et femme-enfant tirant sur le kitsch, la pieuse au sex-appeal qui émoustillait l’Amérique de Bush soulève aujourd’hui les cœurs.
Victime pendant treize ans d’une tutelle abusive, le monde entier découvrait en 2020 l’histoire de celle qu’on surnommait « princesse de la pop » sacrée huitième artiste de la décennie selon Billboard Magazine. Du New York Times à Netflix, les documentaires narrent un conte moderne tragique insoupçonné. La lolita Spears était sous la coupe d’un père abusif, n’hésitant pas à la médicamenter pour qu’elle sourie sur scène – pendant la tutelle, la star effectua deux tournées mondiales et une résidence à Vegas ayant rapporté 137,7 millions de dollars selon Forbes. A fortiori, ses tenues de dominatrice sont tristement ironiques.
Dépossédée de ses droits et de son propre corps, l’ex-poule aux œufs d’or reprenait en octobre dernier son destin en main. À l’ère d’Instagram, le combat pour la levée de sa tutelle est documenté en ligne, articulant nudité, danses effrénées dans son salon et défilé dans ses robes favorites, alors que les fans se déchaînent sur la toile et IRL dans un mouvement mondialisé nommé « Free Britney », lisant des messages cachés dans chacune de ces images.
Ici, quelques jours avant les fêtes, freed Britney pose, une jambe musclée dépassant d’une tenue rétro, rose fillette racontant paradoxalement un corps travaillé et non pré-pubère, la reliant symboliquement à son nouveau fiancé entraîneur – et la déliant de son statut filial de fille.
À l’heure de la liberté retrouvée, pourquoi conserver ce look de poupée érotisée, si ce n’est pour visibiliser les codes ayant simultanément servi à son gain d’autonomie, sa prison, et pour perpétuer pour ses fans la silhouette sur laquelle ils ont construit leur admiration… ?
Vétérante pin-up et féminité camp
Pin-up enfantine, elle rejoint une longue tradition de blondes interchangeables dans l’histoire de l’Amérique, littéralement jeunes femmes « à épingler au mur » et indispensables au maintien des masculinités dominantes. Néanmoins, si sa robe rend honneur à ces femmes symboliquement réduites à la fonction d’image, elle prend également une fonction cathartique d’un registre camp.
Dans l’ouvrage Mother Camp publié en 1972, l’anthropologue Esther Newton soulignait la nécessité « de jouer des rôles dans la vie », et de créer une distance entre soi et « la performance » – ce qui est mis en avant dans les pratiques dites camp. « C’est cette distance (entre soi et la performance) qui supporte tout le ‘système humoristique’ du camp. L’humour camp ne cache rien, il transforme, c’est ce qui rend drôles les scènes les plus tragiques » écrivait-elle.
C’est en effet avec un certain second degré que l’on peut comprendre les tenues de Spears : en conservant les codes de femme enfant-fatale, la star se détache et ironise sur ce rôle qu’elle a joué sous le joug des majors de disques et de son daddy. Elle ne porte pas sa tenue sur un tapis de gala mais au milieu de sa villa, et se présente en images filmées en plongée au montage de piètre qualité. Elle décontextualise les rites de soirée des Oscars et démontre ainsi qu’elle en demeure la reine. Ainsi, le détournement, la théâtralisation et l’humour deviennent des ressources essentielles à la reprise de pouvoir dans les lettres du camp (tel que décrit par Susan Sontag et Esther Newton) de sa personne, confrontant le monde l’ayant assujettie.
Si historiquement le camp sert aux minorités queers, la duplicité du camp réside dans l’utilisation de soi comme langage, « un moyen à la fois révélateur et défensif » ouvert à tous·tes, selon Newton. Elle enfile cette robe triangulation entre lolita, pin-up rétro et kitsch ; avec un plaisir enfantin, elle nous apprend à accepter nos identités stigmatisées, et à être en paix avec le passé.
« Sapé·e·s comme jamais », c’est la chronique mode d’Alice Pfeiffer et Manon Renault qui, deux fois par mois, analyse le tissu social des tenues commentées, critiquées, likées et repostées sur le fil des réseaux. Avec un axe sociologique, elles regardent les sapes, les accessoires, la beauté s’inscrire dans la culture populaire et devenir des cultes racontant nos mythologies contemporaines. Loin d’être de simples morceaux de chiffon ou de la poudre aux yeux, les vêtements ou le maquillage permettent de performer des identités sociales – celles qu’on choisit, qu’on croit choisir, qu’on subit. Ils racontent les espaces de liberté au milieu de la logistique du pouvoir.
Les Crocs Balenciaga inspiration New Rock, metal de luxe ?
Image à la une : Britney Spears dans une publicité Pepsi du début des années 2000