[Explicit content] Notre chroniqueur Charles Wesley, auteur de la série des Transvocalités, nous a concocté une nouvelle playlist : « BEA·S·TS ». Explicite, dangereusement horny, elle réunit des tracks pionniers en la matière, mais révèle surtout un phénomène qui s’amplifie depuis les années 2010 : l’alliance explosive entre euphorie de genre et énergies sexuelles dans tous les pans de la musique pop électronique. Anal(yse).
Supersoaker », « Cream », « Rim », « Pony Whip »… Les titres des musiques de cette nouvelle playlist Manifesto XXI « BEA·S·TS » pourraient être des catégories porn. Une sélection spéciale mettant à l’honneur des artistes contemporain·es qui injectent leur horniness, une présence et énergie sexuelles dans leurs textes et productions. Sans omettre de glisser des classiques !
« The Anal Staircase » de Coil, morceau de 1985 qui ouvre la playlist, fait partie des précurseurs en la matière. La musique expérimentale du duo queer anglais [dont on faisait récemment la rétrospective] fait émerger des images qui évoquent le sexe gay, et cela avant même que Madonna marque les esprits en simulant une scène de masturbation sur scène lors de sa tournée Blond Ambition en 1990.
L’empowerment par le sexe
Depuis « Justify My Love » (1990) et son clip cuir, l’empowerment par le sexe et sa représentation s’est transposé sur moult scènes. Au tournant du millénaire, dans le rap ou hip-hop, les phrasés tendus sexuellement étaient souvent attribués à des artistes masculins. Mais Lil’ Kim n’a pas tardé à faire grand bruit et à se réapproprier les codes virils : « I treat y’all n***** like y’all treat us no doubt, Come here so I can bust in your mouth » rappe-t-elle dans « Suck My D**k ». Plus tard, Nicki Minaj et aujourd’hui Megan Thee Stallion ou encore cupcakKe témoignent de cet héritage où l’affirmation de soi passe aussi par l’affirmation du plaisir sexuel, incarné par des paroles et des postures.
Le reggaeton, qui a émergé dans les quartiers populaires d’Amérique latine, a aussi connu son lot de machisme en étant commercialisé dans les années 90, avec des paroles réifiantes envers les femmes. Petit à petit, le genre est devenu source d’émancipation et d’hybridation avec des figures comme Ivy Queen, et plus récemment Ms. Nina, Bad Gyal et l’émergence du mouvement neoperreo, pendant féministe du genre perreo parfois qualifié de sexiste. Le terme perrear vient du mot perro (« chien », en espagnol), influencé directement par la position doggystyle (« levrette ») dépeinte par le rappeur Snoop Dogg dans son album du même nom de 1993. Les réseaux sociaux font flamber le phénomène. Les amateurices dénoncent le harcèlement sur le dancefloor, réclament une danse libre et sexy, et une meilleure représentation des personnes invisibilisées.
En France, en 2008 on a eu Sexy Sushi pour nous sauver du manque criant de présence trans pédés gouines dans la musique, avec le « Sex Appeal » de la policière ou encore « Petit PD ». Après le culte (et un peu épuisé) « Je veux te voir », en 2020 Yelle avait sorti « J’veux un chien », dans lequel elle chantait qu’elle voulait « un animal, un ami mâle ».
Make me your sex doll, fuck me up against the wall
Brooke Candy, « fmuatw »
Make my body dessert, make my body berserk
Make my body hurt, make my body squirt
Keep me cummin’, zero to a hundred
Autoerotic fixation, head buzzin’
Pornophonie
Le sexe comme source de musique donne un mélange solide et liquide (et les états entre) de mots et de sons. Aujourd’hui nombre d’artistes jouent plus que jamais des stéréotypes de genre pour mieux les dynamiter au milieu de voix horny, de fréquences moelleuses et de percussions qui claquent là il faut, pour mieux nous faire trembler. Ces musiques digitales, malléables, se mêlent à nos fantasmes les plus fous, deviennent un catalyseur d’énergies et d’ondes parfois impétueuses. Elles génèrent de nouvelles représentations, sur nos corps, nos désirs et interactions.
« Why is it bad to feel so good ? Isn’t it so delicious ? » s’interroge, après tout, Violet Chachki, sur « Rim » de Brooke Candy. Nous sommes des bêtes humaines, oui, on mouille devant, derrière, parfois on veut sucer, ou se faire bouffer. Et par la nature explicite de leur contenu, ces musiques font du sexe un enjeu esthétique. On y accède par un rapport aux mots, aux rythmes et aux textures, et par l’intermédiaire de scènes projetées.
Il semble ainsi que l’on assiste aujourd’hui à la recrudescence d’un phénomène dans lequel les artistes ne prennent plus aucune pincette, qu’on pourrait appeler pornophonie. Si la jouissance y est évidente, la pornophonie au cours de ces presque 2h de musique n’omet pourtant pas, en toile de fond, les dissonances attachées à nos sexualités. Le sexe désaffecté et parfois transactionnel, la conflictualité engendrée par les rapports dominé·e/dominant·e, la digitalisation de la séduction ou les rengaines infatigables, par exemple, peuvent causer une forme de mélancolie.
Mais avant tout enjouée et jouissive, « BEA·S·TS » tente de saisir une petite constellation d’artistes contemporain·es qui mettent l’écoute au défi ces énergies contenues et impudiques en nous. Les beats hyper pop tranchants de BABYNYMPH, le hip-hop ravageur de Big Freedia, ou les murmures salaces de Brooke Candy. Le tube de l’année 2023, « Sodom & Gomorrah » de Dorian Electra aussi, central à la playlist. Une myriade d’impulsions hot, freaky vous y attend donc, pour le plaisir de vos oreilles et plus si affinités…
1 • Coil – The Anal Staircase
2 • Shygirl – Playboy / Positions
3 • Megan Thee Stallion – Body
4 • Brooke Candy – fmuatw
5 • Queen Key – Chefs Kiss
6 • Big Freedia – Booty Like A Drummer
7 • SOPHIE – Pony Whip (feat BC. Kingdom)
8 • Kim Petras – Treat Me Like A Slut
9 • Brooke Candy (feat. Aquaria & Violet Chachki) – Rim
10 • Madonna – Erotica
11 • LSDXOXO – Cream
12 • Eartheater – Supersoaker
13 • BABYNYMPH, diana starshine – Traumapop
14 • Lil’ Kim – Suck My D**k
15 • LSDXOXO – Double Tap
16 • Dorian Electra – Sodom & Gomorrah
17 • Kim Petras – XXX
18 • M3C – Ken
19 • Sexy Sushi – Petit PD
20 • Diamond Doll xo, Goldilux – CUNT FACE
21 • cupcakKe – Cartoons
22 • Ms. Nina – Tu Sicaria
23 • Safety Trance, DJ Substancia – Tusi En El Pussy
24 • Aerea Negrot – Proll-Og
25 • Pabllo Vittar, O Kannalha – Penetra
26 • Manni Dee, River Moon – HOT
27 • Arca – Señorita
28 • Yelle – J’veux un chien
29 • Tokischa – CANDY
30 • Charli XCX – Shake it (feat. Big Freedia, cupcakKe, Brooke Candy & Pabllo Vittar)
31 • Sexy Sushi – Sex Appeal
32 • Kimmortal – This Dyke
33 • Slayyyter – Self Destruct (feat. Wuki)
34 • Brooke Candy – fmuatw (BABYNYMPH Remix)
35 • BABYNYMPH, Chase Icon – NEMESIS
36 • Safety Trance, Virgen Maria – Ratatata
37 • Only Fire – Double Penetration
38 • cupcakKe – Deepthroat
Image à la Une : Brooke Candy dans le clip « fmuatw »
Relecture et édition : Sarah Diep
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