Le gouvernement se débat depuis le début de son mandat avec la qualification des violences sexuelles sur mineur·es. Il joue une gigue d’un pas en avant, deux pas en arrière sur une partition bien française : nous ne disposons pour l’instant pas, contrairement à la plupart des pays développés, d’un âge minimal de consentement. Récapitulatif des prises de position de la majorité.
En France, le concept juridique de violences sexuelles sur mineur·es ne connaît aucune spécificité au niveau du consentement. Autrement dit, un·e enfant victime de violences sexuelles de la part d’un adulte n’est pas considéré·e victime par défaut en vertu de son âge. Qu’il ou elle ait 3 ans, 8 ans, 12 ans, il ou elle doit prouver que l’adulte a usé de « violence, contrainte, menace ou surprise » à son encontre. Sans « preuve » du contraire, l’enfant, fût-il/elle en bas âge, dispose aux yeux de la loi d’un consentement éclairé à la relation sexuelle que l’adulte lui impose.
Mise à jour le 18 avril 2021 : la loi ayant été votée le 15 avril 2021, vous trouverez un récapitulatif de son contenu à la fin de l’article.
Un paysage législatif français gravement défaillant
En 2018, le tribunal de Pontoise jugeait une fois qu’une fillette de 11 ans « tétanisée » était consentante (et « pas farouche » [sic]) à une relation sexuelle avec un adulte. L’opinion publique s’en émut. En l’absence d’un Ministère des droits des femmes, la « Secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes », Marlène Schiappa, s’était trouvée obligée de faire semblant de quelque chose. Elle s’est dès lors heurtée (sans trop maugréer) à cette problématique juridique de spécialité française : si on qualifie de viol une relation sexuelle entre un·e adulte et un·e enfant sans preuve de contrainte, on a une présomption de culpabilité ; ce qui va à l’encontre de notre présomption d’innocence. En effet, qu’est-ce qui nous prouve que les enfants ne disposent pas d’un consentement éclairé quand des adultes leur font avoir des relations sexuelles avec eux ?
Tentons de répondre à cette abjecte et pourtant systématique proposition sans nous arracher les globes oculaires. On pourrait par exemple, proposer de croire l’enfant qui dit avoir été violé·e. Oui, mais c’est sans compter qu’aux yeux de la justice française, on ne peut déjà pas faire confiance aux femmes ; alors à des enfants… Enfants qui, lorsqu’ils ou elles dénoncent des viols, sont d’ailleurs immédiatement suspecté·es d’être manipulé·es par leurs mères. De ce fait, les violences sexuelles sur mineur·es n’ont aucune différence de fond avec les autres violences sexuelles ; elles sont juste punies plus durement. Quand la culpabilité est prononcée… ce qui arrive, comme nous le montre l’exemple précédent, plutôt jamais.
L’épisode Schiappa
Schiappa a alors eu une idée pour éditer une loi sans pour autant trop inquiéter les pédocriminels. C’était la brillante proposition du « délit d’atteinte sexuelle sur mineur par pénétration ». Pas un crime, un délit. Dans la tradition française du « délit sexuel ». Certes, il ne s’agit nullement d’établir une présomption de non-consentement pour les enfants contrairement à ce qui a été communiqué ; certes, aucun violeur d’enfant ne pourrait plus jamais être qualifié de criminel. Mais on a changé des mots dans la loi et ça, c’était une promesse gouvernementale. Et puis tant pis pour tout ce qui ressort de l’agression mais pas de la pénétration. C’était déjà très compliqué comme ça.
Cette Loi Schiappa sur les violences sexuelles a été dénoncée unanimement (et l’est toujours) comme largement insuffisante. Mais elle avait au moins pour elle de proposer l’allongement de la durée de prescription. Une mesure rendue nécessaire par la récurrence de l’amnésie traumatique chez les victimes. Ce mécanisme courant de refoulement des faits, d’autant plus fréquent avec les traumatismes survenus durant l’enfance, empêche souvent de porter plainte avant la prescription. Cependant, à la surprise générale, le gouvernement s’y est finalement opposé. Pourtant, cette inoffensive proposition de loi était portée par sa propre majorité. L’allongement de la durée de prescription a manifestement semé la panique en interne. On ne peut qu’imaginer pourquoi. La loi, purgée de cette seule proposition pertinente, fut votée en 2018. Elle a fini, bon an mal an, par s’enterrer dans la honte intersidérale.
Et voilà que le sujet ressort aujourd’hui de façon fracassante. Par la mobilisation citoyenne et le courage des victimes. Merci à Camille Kouchner, son livre La Familia Grande et #MeTooInceste. Le groupe PS de l’Assemblée propose alors une loi portée par la députée Isabelle Santiago. Elle est adoptée en première lecture le 18 février. Ceci malgré une obstruction de – quelle surprise ! – la majorité. Ce n’était que le début du grand huit.
Un Parlement à la botte de l’exécutif
Depuis le début des débats, soit les députés LREM boudent, soit ils sont tous d’accord pour mettre du sucre dans le réservoir d’essence. Certainement un peu des deux. Devant une loi unanimement jugée nécessaire, LREM a bloqué le texte. Les déput·é·es ont pinaillé chaque virgule en sessions de travail, pour finalement contrer le texte en délibération. Lâchant que de toute façon, iels opteront pour un autre texte, celui de la sénatrice UDI Annick Billon. Le Sénat, cette maison des hommes en fin de vie où l’on considère que l’enfance s’arrête au jour des 13 ans. Et que donc les violences sexuelles sur mineur·es de plus de 13 ans n’ont pas de spécificité particulière du point de vue du consentement. Un choix justifié en invoquant des raisons de rapidité, argument risible puisqu’ils avaient depuis 2017 pour prendre des mesures.
Qu’est-ce qui peut bien expliquer cette attitude minable de petits joueurs ? Nous ne pouvons ici esquisser ici que des pistes de réponses. Mais leur accumulation donne un bon tableau de la position de LREM vis-à-vis des violences sexuelles. Et des violences sexuelles sur mineur·es en particulier. À croire que c’est un axe politique. Car le problème fondamental que cette liste révèle, c’est l’alignement des parlementaires vis-à-vis de l’exécutif. Le mercato chroniquement catastrophique des gouvernements LREM successifs est, nous allons le voir, totalement rongé par la misogynie. Qu’attendre alors pour la reconnaissance des violences faites aux femmes et aux enfants ?
Un exécutif à l’ADN violent et patriarcal
Tout commence avec le premier gouvernement Edouard Philippe. Ce dernier dissout le ministère chargé des Droits des femmes dès son arrivée au pouvoir. Il bricole un secrétariat d’État où les femmes disparaissent, au profit de l’égalité hommes-femmes. Il fait subir à la France deux ans de Marlène « Celle que personne n’avait jamais demandé » Schiappa, soit la seule personne capable de mettre d’accord un incel de 4chan et une féministe de Tumblr. On recrée le Ministère deux ans plus tard. On nomme à sa tête Elisabeth Moreno, une tech executive qui n’a depuis ouvert la bouche que pour quelques sorties sexistes. Elle reste sinon totalement muette malgré ce deuxième mouvement #MeToo qui secoue la France.
Le gouvernement Castex réussit à faire encore pire. Il nomme ministre de l’Intérieur un rejeton de l’extrême droite catholique, empêtré dans des affaires de viol jusqu’au cou. Rappelons que cet homme est le premier flic de France. Donc le chef de celles et ceux qui doivent protéger et accompagner les femmes et enfants victimes de violences. Pas très grave. La police n’a de toute façon ni l’envie ni les moyens de s’acquitter de cette tâche. La preuve ici (ne lisez pas si ça va bof aujourd’hui).
En outre, Castex nomme un ministre de la Justice ignorant mais surtout sceptique des chiffres du viol en France. Ce n’est pas un prérequis au métier, de connaître ce genre de dossier ? Ah non. Il n’était pas avocat pourtant avant ? Ah bon. Il n’a peut-être pas eu le temps ou l’occasion, en trente-cinq ans de pénal, de prendre l’ampleur des violences sexuelles. Peu crédible ? C’est peut-être plutôt que notre ministre de l’Intérieur, alors que la lutte contre les violences faites aux femmes est nommée grande cause du quinquennat (sans qu’on ne leur ouvre de ministère), est un ardent anti-féministe. Aux femmes de juger du degré de foutage de gueule. Il les a toutes faites. De la défense passionnée de Georges Tron (ça n’a pas bien vieilli !) aux diatribes postillonnantes anti-MeToo. On se sent mieux protégées tout de suite, non ?
Voilà pour le tableau. Décidément, la République qui n’en finit pas de marcher a une relation très, très bizarre aux violences sexuelles. Et ça n’a pas attendu Darmanin. Alors en attendant la contre-attaque au Sénat comme dans un bon Star Wars, voilà ce qu’on peut trouver dans la première adoption à l’Assemblée de cette loi socialiste et ses différences avec le texte au Sénat :
L’âge du consentement à l’Assemblée
La loi propose qu’en dessous de 15 ans, toute pénétration (acte bucco-génital compris) par un·e adulte soit qualifiée de viol. Ceci sans qu’on n’ait plus besoin de prouver, enfin, la violence, la contrainte, la surprise ou la force. Sanction : 20 ans de prison. Même automatisme pour les atteintes (actes sexuels ne relevant pas de la pénétration). Dont les sanctions ne sont pas en reste : 10 ans de prison, 150 000 € d’amende. Rappelons une dernière fois que jusqu’ici dans le droit français, un·e enfant même en bas âge, nourrisson pourquoi pas, est considéré·e sans preuve matérielle du contraire comme consentant·e de façon éclairée à une relation sexuelle avec un·e adulte.
Dupond-Moretti a flippé et s’est lourdement exprimé contre cette proposition. Puis il a finalement déclaré accepter que peut-être, il se pourrait qu’un enfant puisse ne pas disposer d’un consentement éclairé à des relations sexuelles qu’un adulte lui propose. C’est bien parce que son Président de patron lui a demandé. Mais heureusement, il avait une parade au Sénat.
L’âge du consentement au Sénat
Le Sénat, dans son texte divers droite (LREM incluse), a accepté le seuil de 12 ans révolus. Par contre, il a refusé le seuil des 15 ans. Le Sénat laisse donc la qualification de viol sur mineur·e de plus de 12 ans à charge pour les plaignant·es de prouver la violence, contrainte, force ou surprise. Et à la discrétion des juges de décider si on daigne les croire ou pas. On vous laisse vous reporter au début de cet article pour voir comme ça marche bien. Une pensée ici pour Julie, violée entre ses 13 et 15 ans par 20 pompiers. Son insupportable combat pour faire valoir justice n’aurait pas lieu si les enfants de moins de 15 ans étaient protégé·es.
La clause « Roméo et Juliette »
À l’Assemblée, LREM veut protéger les « amours adolescentes ». C’est beau. Pour la députée Alexandra Louis, une telle chose consiste à prouver une différence d’au moins 5 ans d’âge entre plaignant·e et accusé·e. L’appellation « amours adolescentes » camoufle donc des relations entre mineur·es et majeur·es. Non pas que ce soit un tabou – rien ne devrait être tabou quand on s’attaque aux violences sexuelles – mais pourquoi fausser les termes du débat ? C’est justement ces zones grises qui cultivent la culture du viol et ouvrent la porte à la permissivité des violences. Bon. Peut-être qu’il ne faut pas chercher plus loin que le fait que cette formule nous vient de Dupond-Moretti.
Cette clause « Roméo et Juliette » est une invention américaine. Signe que LREM est ravie d’importer des USA quand il ne s’agit pas de théorie critique féministe ou décoloniale. Protéger les amours adolescentes, c’est donc référencer une fillette de 13 ans qui se suicide par amour d’un homme majeur. C’est symptomatique de la romantisation de la violence dans notre système parlementaire et judiciaire. Devant le constat que LREM décode la société contemporaine par le prisme d’une pièce de 1590, la députée Isabelle Santiago, forte d’une alliance inattendue avec le MoDem, a proposé plutôt de supprimer la clause et d’aménager le texte pour les couples qui s’étaient rencontrés alors qu’ils étaient tous les deux mineurs.
L’inceste
Comme le gouvernement a les fesses sur le grill, le ministre de la Justice a voulu faire semblant d’être sans concession. On calque toute relation incestueuse avant 18 ans sur la présomption de non-consentement des mineur·es de moins de 13 ans, et que ça saute. Étonnant : il s’était exprimé avec beaucoup plus de réserve lorsque la sénatrice Annick Billon avait ouvert le débat. C’était il y a un mois.
La proposition socialiste est la même, sauf qu’elle n’a pas la limite des 5 ans. Eh oui, il ne faut pas oublier que pour le Sénat et le gouvernement, dans le cas d’un inceste où les deux parties ont moins de 5 ans d’écart, il faut toujours apporter preuve de violence, contrainte, force ou surprise (bonne chance). Rappelons que les agressions incestueuses entre mineurs représentent environ, même si les estimations sont difficile, un tiers des agressions incestueuses. Et ce chiffre n’est pas compliqué à trouver. Cette clause « romantique » disqualifie donc virtuellement un tiers de victimes.
Le mode de prescription
L’Assemblée demande l’imprescriptibilité des violences sexuelles sur mineur·es. Pour deux raisons. Premièrement, les agressions sexuelles sur mineur·es déclenchent souvent de l’amnésie traumatique. Ensuite, et les enfants non protégé·es ne peuvent s’armer judiciairement qu’une fois adultes et le trauma intégré. L’imprescriptibilité serait un grand écart notre arsenal juridique actuel : nous ne disposons que de six petites années en cas d’atteinte sexuelle sur mineur·e (rappelons-nous qu’il s’agit en France d’un délit, pas d’un crime !).
Là-dessus, c’est un non définitif de la part du gouvernement. Pas question, en 2018 comme en 2021, en cas d’atteinte comme de viol. Le gouvernement préconise plutôt une prescription glissante : un autre crime ou délit sexuel sur mineur·e annule la précédente prescription. Dans la théorie c’est pertinent. Mais en pratique cela nécessite plusieurs condamnations, là où on n’arrive pas à en obtenir tout court pour les violences sexuelles sur mineur·es. Motif du rejet de l’imprescriptibilité : cela rendrait la prescription non-proportionnelle avec d’autres crimes et lui donnerait une qualité d’exception.
Parce que ce n’est pas quelque chose qui demande une mise en œuvre exceptionnelle, le phénomène de violences sexuelles sur mineur·es en France. Une épidémie dont on prend tout juste l’ampleur. Deux à trois enfants par classe ; dans l’écrasante majorité agressé·es par un·e membre de la famille, à savoir des hommes dans 97% des cas ; des plaintes en hausse et des condamnations en baisse. Des violences qui font système, couvertes par la protection de l’enfance, le corps médical, la police, nos représentants. Un système implacable dont les chiffres pourtant largement sous-estimés feraient tomber Dupond-Moretti de sa chaise, si ceux des viols contre les femmes l’avaient déjà interloqué. Mais rassurons-nous pour lui : le Sénat soulignait en 2019 l’absence totale « de données statistiques précises sur le sujet des violences sexuelles dans notre pays ». Évidemment cela n’a pas fait trembler la marche de la République pour autant.
Mise à jour le 18 avril 2021 : la loi a été adoptée le 15 avril 2021, sur le texte de la sénatrice Annick Billon. Le seuil du consentement passe néanmoins à 15 ans, 18 en cas d’inceste. Le viol, soit tout acte génital, anal, oral sur mineur·e de moins de 15 ans (18 en cas d’inceste) expose à 20 ans d’emprisonnement. Pour les atteintes sexuelles, 10 ans et 150 0000 € d’amende. La clause Roméo et Juliette demeure. Le Parlement entérine la prescription glissante après 30 ans.
Image à la Une : Still tiré du clip « Deux cauchemars dans mon histoire » de l’association Face à l’inceste.