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Mathilde Fernandez : Faire et refaire jouer la corde sensible

Mathilde Fernandez : Faire et refaire jouer la corde sensible

Mathilde Fernandez - Crédit Estelle Hanania 1
Depuis plus d’un an, tout le monde parle de son projet ascendant vierge avec Paul Seul. Mais c’est sous son vrai nom que Mathilde Fernandez revient avec un nouvel EP pour débuter cet été : Sensible. Un disque solaire où les émotions sont reines. Nous avons donc parlé de sensibilité, de la Russie et des inspirations de l’artiste.

Back to basics. Après avoir fait trembler les dernières heures de l’Histoire du club avec son acolyte Paul Seul, Mathilde Fernandez décide de retourner à la source de sa musique, en solo cette fois. Son nouvel EP Sensible, ne contient pourtant pas beaucoup de morceaux, et pourtant, il est bourré de sincérité. Et à l’air de la surproduction musicale, comme on vous l’a souvent dit dans les pages de ce média, sortir peu mais de la bonne musique, c’est politique. Rajoutez à cela un disque sorti totalement en indé (pas de label derrière tout cela) et une prise de risque artistique une fois de plus, on obtient alors un véritable diamant brut. Ne délaissant pas complètement son côté « discoteca » où elle s’est entrainée avec ascendant vierge, on y retrouve des morceaux plus oniriques et atmosphériques comme « Fard ». Un EP qui s’articule autour d’une émotion reine, qui régit tout : la sensibilité.

Manifesto XXI : Ton nouveau disque s’intitule Sensible. Te considères-tu comme quelqu’un de sensible ?

Mathilde Fernandez : Évidemment. Je pense même que tous les humains le sont – peut-être pas Jeff Bezos [rires]. Mais on a tendance à un peu l’oublier parfois. Et c’est un des points de départ qui m’a donné envie d’écrire le morceau « Sensible », et de le nommer le disque ainsi.

Manifesto 21 - Mathilde Fernandez
© Estelle Hanania

Ce morceau a été donc le point de départ de cette nouvelle œuvre ?

Pas vraiment, l’écriture de ces morceaux a été un peu dispatchée sur plusieurs années. Ces dernières années, j’ai plus travaillé avec Paul Seul sur notre projet ascendant vierge. Dans Sensible, il y a des morceaux qui ont été faits avant, pendant et après notre rencontre. Et c’est à la fin que j’ai trouvé que le terme « sensible » était le lien entre tous ces morceaux. Dans « Temple sourire », je parle du sourire. Dans « Fard », un peu des marques qui restent sur le visage liées à la honte, à la gêne. « Sensible » évoque un peu le burn out qui nous ramène à notre condition d’humain, alors que dans « Erotive », j’y parle de désir et d’amour. Donc la question de donné un titre à cet EP ne s’est pas posée longtemps.

Ces quatre morceaux sont-ils donc des extraits du journal de bord de tes émotions durant ces dernières années, puisqu’ils ont été écrits sur la durée ?

Je ne sais pas trop. C’est vrai que l’on pourrait croire que ces quatre titres sortent plus de mes entrailles. Il n’y a pas de personnage qui est joué, je suis vraiment moi. Mais de là à dire que c’est un journal, je ne crois pas. Je ne fais pas de différence entre les moments où j’écris « Sensible », et le moment où j’écris « Influenceur » pour ascendant vierge.

Je ne voulais plus que les gens soient debout et m’écoutent religieusement comme à la messe.

Mathilde Fernandez

Je ne voulais pas trop m’étendre sur ascendant vierge puisqu’aujourd’hui, c’est sur toi en tant que Mathilde Fernandez que je voulais me concentrer. Mais c’est vrai que l’on ressent une envie de faire plus de morceaux qui donnent envie de danser dans Sensible contrairement à tes précédents albums. L’expérience ascendant vierge a-t-elle nourrie ce projet ?

C’est assez rigolo, car c’est plutôt l’inverse qui s’est passé. « Temple sourire » existait déjà avant que je rencontre Paul. C’était à une époque où je voulais que les gens dansent. Pour mes concerts, je ne voulais plus que les gens soient debout et m’écoutent religieusement comme à la messe. C’est pourquoi dès le début ce morceau avait déjà une rythmique différente de ce que je faisais avant. Et ensuite j’ai rencontré Paul. Et c’est à ce moment-là où le problème de faire danser mon public ne s’est plus posé. Et ascendant vierge nous a pris beaucoup d’énergie et de passion pour sa création, puisqu’on a décidé de créer tout l’univers qu’il y a autour. Du coup, mon projet personnel a un peu été mis en pause. Puis après la sortie de Vierge, je me suis remise sur Sensible. Mais j’avais envie de retourner à quelque chose de plus intime. C’est là que j’ai décidé de mettre le morceau « Fard », qui a la base était un morceau que j’avais écris pour le donner à Christophe pour son album. C’est le dernier morceau de l’EP, mais je trouve que c’est une belle porte de sortie, car c’est un retour aux sources.

Il est vrai que « Fard » est le morceau le plus atmosphérique et le plus à l’opposé des derniers morceaux sur lesquels on t’avait vu. C’était une volonté de perdre un peu ton public récent qui ne te connaissait pas à tes débuts ?

C’est exactement ça. Pour moi, il valait mieux annoncer ce projet de cette manière en jouant sur ce contraste. Alors que le reste de Sensible n’est pas aussi calme. J’aime bien jouer là-dessus.

En plus de « Fard », il y a également une reprise acoustique de « Sensible ». Tu voulais nous offrir quelque chose de plus intime avec cet EP ?

En général, la construction de mes morceaux commence souvent au piano. Je suis très attaché à cela, c’est pour ça qu’il y a aussi une version acoustique de « Sensible » sur l’EP. On a un peu perdu ce côté très simple de piano-voix dans la pop. C’est assez thérapeutique.

On a tendance à associer la sensibilité à la fragilité. C’est complètement différent.

Mathilde Fernandez

Tu abordes souvent des thèmes sombres, mais de manière très solaire. Pourquoi cette envie de jouer également sur ce contraste ?

Je ne pense pas le faire exprès [rires]. Ça ne m’intéresse pas d’écrire de morceaux qui n’ont pas un minimum d’empruntes de tristesse. Il faut que ça soit passionné, des larmes ou du rire. Je suis toujours dans l’extrême là-dessus. Et toujours dans la volonté de faire quelque chose de plus pop que je faisait sur Hyperstition par exemple, beaucoup plus synthwave.

Mathilde Fernandez - Crédit Estelle Hanania 1
© Estelle Hanania

En 2019, tu présentais ton projet de performance Ensemble au Palais de Tokyo avec Cécile Di Giovanni, où vous traitiez de l’effondrement de notre société et de la menace de la crise écologique. Quelques mois plus tard, la pandémie est arrivée. Ça t’a effrayée de voir tout ça arriver plus rapidement que prévu ?

Avec Cécile, on voulait juste offrir un tableau de ce qu’était notre réalité. On est pas des scientifiques, donc loin de nous d’avoir la prétention de dire qu’on était des lanceurs d’alerte sur ce sujet. Mais oui, je ne te cache pas que l’on était un peu troublées quand c’est arrivé peu de temps après. A posteriori, on retrouvait beaucoup de signes d’Ensemble qui sont arrivés ensuite. Mais loin de moi de dire qu’on était des prophètes [rires]. Mais ça nous pendait au nez, on le savait un peu toutes et tous. C’est juste arrivé un peu plus rapidement que ce qu’on imaginait.

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Beaucoup te comparent souvent dans le timbre de voix à Kate Bush. Et c’est vrai que lorsqu’on écoute le morceau « Sensible », on sent le spectre de cette artiste qui plane. À quel point cette femme t’inspire ?

Ça vient naturellement, mais il est clair que ces envolées très aigües ont quelque chose de très « Kate Bushien ». En tant qu’artiste, on a toutes et tous un peu nos mentors sur lesquels on s’inspire sans le vouloir. Mais il y a des artistes comme Christophe qui m’inspire beaucoup.

Tu aimes souvent offrir des versions alternatives sur tes morceaux. Dans ton EP, on y découvre également une reprise de « Temple sourire » en russe. Pourquoi avoir choisi cette langue ?

J’ai des origines polonaises du côté de ma mère. Et les frontières de la Pologne ont pas mal bougé au cours de ce dernier siècle. Mon arrière grand-mère est donc née russe. Et le russe est une langue qui est un peu restée dans ma famille. J’avais beaucoup de CD de musique russe. Et puis comme pas mal de gamines de ma génération, j’étais aussi une grande fan de t.A.T.u. Et je trouvais leurs morceaux plus intéressants quand ils étaient chantés en russe plutôt qu’en anglais. Et à côté de ça, je me suis toujours donné des challenges de chanter des morceaux dans des langues étrangères. Et enfin, il faut savoir qu’il y a une communauté de gens qui me suivent en Russie. Ce pays a ce côté vachement romantique et fataliste qui fait echo à ma musique je pense. C’est tout cet ensemble qui m’a poussée à faire cette reprise.

Pour finir, tu as travaillé avec beaucoup d’artistes. Qui est le ou la plus sensible selon toi ?

C’est dur de répondre. Pour revenir à ce que je disais avant, je pense que Christophe arrivait à faire ressortir ça chez les gens. Mais pour l’avoir connu, il était sensible mais c’était un roc. On a tendance à associer la sensibilité à la fragilité. C’est complètement différent. C’est une belle conclusion ça. Ah si : il y a aussi le dernier EP de Sarah Maison. Il me rend heureuse. Mais en fait, il y a tellement de sensibilités différentes.

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Crédits Image mise en avant : © Estelle Hanania

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