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« Nous sommes capables de vivre autrement » : la ZAD racontée par Marguerite Imbert

« Nous sommes capables de vivre autrement » : la ZAD racontée par Marguerite Imbert

De Notre-Dame-des-Landes on connait surtout les images violentes d’expulsion et d’affrontements entre zadistes et gendarmes au printemps 2018. On connait moins les peurs, les espoirs et la rage qui ont traversé les communautés installées à la ZAD à ce moment-là : C’est ce que raconte un premier roman au souffle épique, Qu’allons-nous faire de ces jours qui s’annoncent ? 

Hazel et Dorian, trentenaires parisiens en quête d’une vie meilleure, ont choisi de quitter Paris pour élever leur enfant à la ZAD. Iels se sont installé sur un terrain prêté par un paysan rebelle, et iels y ont construit leur propre maison écoresponsable. Les jours s’écoulent doucement, au rythme des moments de vie commune, de la cuisine bio et des éveils de leur fils. Alors que les menaces d’expulsion du gouvernement se rapprochent, les tensions entre zadistes s’accroissent. Des conflits politiques mis en sourdine jusque-là refont surface, tout comme des vices humains comme l’envie ou la cupidité. En face, dans le camp « adverse », il y a Bastien un jeune gendarme marqué par une mission en Afghanistan. La ZAD sera, des semaines durant, un terrain d’affrontement entre deux mondes qu’on a souvent présenté comme opposés.

Sous la plume de Marguerite Imbert, toute une galerie de personnages pleins de nuances prend vie. Qu’allons-nous faire des jours qui s’annoncent ? (Albin Michel) raconte le désarroi de celles et ceux qui ne trouvent pas leur place dans le monde actuel, et ne sont pas armés d’un optimisme à tous crins. Sorti en février, le livre est un peu passé inaperçu dans le flot de publications de la rentrée littéraire d’hiver et les news covid déprimantes. Il résonne pourtant singulièrement avec les envies de quitter la ville qui se sont multipliées avec la pandémie. Rencontre avec son autrice. 

Manifesto XXI – Pourquoi avoir choisi cette construction en dyptique, entre des zadistes et un jeune gendarme ? Qu’est-ce que ça te permet de raconter, d’exprimer ?

Marguerite Imbert : La construction en diptyque : parce que c’est l’histoire d’un dialogue qui n’a pas eu lieu. Ces deux camps se sont fait face, se sont scrutés pendant des semaines jusqu’à n’avoir plus que l’autre à l’esprit. C’est l’histoire d’une déshumanisation réciproque qui ne profite à aucun des adversaires, d’une obsession infructueuse. Je trouve plus intéressant d’évoquer la résistance en montrant contre quoi elle résiste, et comment. C’est l’intérieur contre l’extérieur, avec tout ce que ça implique de réflexions sur le territoire. Diptyque aussi parce que je voulais restituer cette atmosphère de polarisation en la faisant trébucher sur elle-même. 

Les citadins de gauche sont assez malheureux, je pense, parce qu’ils sont harcelés par les paradoxes.

Marguerite Imbert

On sent une envie d’être juste, non manichéenne, dans ta description des personnages. Il y a presque une ambition « naturaliste ». As-tu eu des retours de lecteurices zadistes ?

On ne peut pas être manichéen quand on parle d’humain, sauf à être de mauvaise foi (ce qui est un style littéraire à part entière !) S’il y a bien un message auquel je tiens, dans ce livre, c’est que les gens font ce qu’ils peuvent et que la pureté des causes dépasse toujours l’individu. J’avais très peur de trahir un groupe, une communauté, un état d’esprit. Je voulais accorder à chaque personnage la même tendresse, la même curiosité. C’est l’un des charmes du métier de romancière, je trouve : on peut très bien prétendre que chaque personnage est également important. Pour en revenir à la ZAD, je me suis focalisée sur les portraits, et la restitution d’une philosophie. J’ai été très soulagée de voir que certains intéressés s’y sont reconnus. 

… l’une des choses que je retiens de la ZAD, c’est que nous sommes moins stupides et dépendants de ce système qu’il voudrait nous le faire croire.

Marguerite Imbert

Tu décris très bien les dilemmes des citadins « de gauche » qui aspirent à vivre autrement. Ton expérience à la ZAD t’a-t-elle permis de mieux gérer (ou pas) tes contradictions quotidiennes ?

Les citadins de gauche sont assez malheureux, je pense, parce qu’ils sont harcelés par les paradoxes. Pour un individu de la classe moyenne en milieu urbain, il est parfaitement impossible de ne pas se rendre complice, bien malgré soi, d’un système gourmand et destructeur. Il suffit d’acheter de la lessive ou de surfer sur le web. Il faut bien vivre. Mais l’une des choses que je retiens de la ZAD, c’est que nous sommes moins stupides et dépendants de ce système qu’il voudrait nous le faire croire. Nous avons du pouvoir, dans nos mains, dans nos cerveaux : si on perdait nos objets de consommation demain, on n’en mourrait probablement pas. Nous sommes capables de vivre autrement. De remettre en question l’ordre établi, de fabriquer nos propres moyens de subsistance. Cela ne signifie pas qu’il faut le faire. Mais nous sommes plus forts que nous le croyons : les ZAD à travers le monde nous le prouvent. C’est un sacré service, il me semble.

Trouver et incarner son identité véritable serait la solution à tout, nous rendre légitimes et dignes d’amour. On aurait toujours raison quand on est soi-même. Mais qu’en est-il des gens qui n’arrivent pas à définir ce soi ?

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Marguerite Imbert

La honte d’être soi (ou une forme de culpabilité) semble relier les personnages principaux d’Hazel, Dorian et Bastien. Peut-on lire les choses de cette façon ?

On peut complètement lire les choses de cette façon ! Cela rejoint ce que je disais plus haut : c’est difficile de ne pas avoir une mauvaise opinion de soi-même au XXIème siècle. On participe plus ou moins passivement, comme autrefois, à l’exploitation des plus faibles, mais maintenant on est au courant. Il n’y a pas d’échappatoire à soi-même. L’individu est censé se construire des pieds à la tête, être un pur concentré de lui-même. Trouver et incarner son identité véritable serait la solution à tout, nous rendre légitimes et dignes d’amour. On aurait toujours raison quand on est soi-même. Mais qu’en est-il des gens qui n’arrivent pas à définir ce soi ? Des apatrides de l’égo, ceux qui n’ont que des rêves contradictoires et ne savent pas ce qui les rendra heureux ? Bastien et Hazel sont comme ça. Ils suivent une trajectoire parallèle, incapables de s’ancrer dans leur environnement et de s’y sentir les bienvenus. Et je crois que beaucoup de gens sont comme ça également. 

Que peut-on faire des jours qui s’annoncent ? Politiquement déjà, et puis quels sont tes prochains projets ?

Les jours s’annoncent hagards, on est tous crevé·es… Je suis troublée par la résignation politique générale. Quitte à enfoncer des portes ouvertes, je dirais qu’en nous méfiant de l’idéalisme, nous perdons notre ambition sur le long-terme. Et par ambition, je veux parler d’objectifs sociaux. Mon roman parle d’un dialogue qui n’a pas lieu, mais l’actualité est bourrée d’occasions manquées. J’aimerais bien qu’on commence à transposer tous nos bouquins de développement personnel sur le développement collectif… Quant à mes projets, eh bien j’ai signé pour un roman SF assez déjanté chez Albin Michel Imaginaire. On y parlera d’écologie, de pieuvres cocaïnomanes et de pirates… Teasing de sitcom. (rires) 


Qu’allons-nous faire de ces jours qui s’annoncent ?, Albin Michel
320 pages

Image à la Une : © Valk, 2018, via Flickr

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