Du 14 au 17 juin 2018, la première édition du festival EROS FEMINA propose de célébrer les sexualités féminines et tous ses fantasmes, à travers une programmation pluridisciplinaire : expo, projections, débat, atelier…
« L’idée est de questionner les représentations des désirs féminins en montrant la diversité, en prônant la qualité artistique et en optant pour la variété en matière de sujet, de support et de programmation. Parce que c’est utile et parce que c’est nécessaire ! » : Derrière ces quelques lignes et ce point d’exclamation bien affirmé, se cachent Lucie B et Lucille M, les fondatrices d’Eros Femina. Elles se sont rencontrées en travaillant pour le collectif Jour et Nuit, et leurs désirs et la dimension politique du désir, les ont amenées à imaginer ce festival de création et de réflexion sur la sexualité. Entretien sans tabou.
Manifesto XXI – Ça fait longtemps que vous avez pensé à monter EROS FEMINA ?
Lucie : Ça fait un an et demi environ qu’on a commencé à contacter tout le monde. Il y a beaucoup de projets et de festivals autour des genres et des sexualités, on n’est pas le premier. Mais notre idée c’était vraiment l’idée de rassembler un peu toutes ces visions de l’érotisme, ces visions des corps et des sexualités, et surtout de l’ouvrir à un large public. Parce que généralement, c’est des événements qui se font autour d’un type de public, soit le milieu queer ou averti. On a essayé, et c’est peut-être ambitieux, on va voir ce que ça va donner.
Organiser un festival comme ça en 2018, ça a un écho particulier. Pendant #metoo, le discours de Natalie Portman disait qu’il nous fallait « une révolution du désir ». Comment vous avez reçu tous les événements du mouvement ?
Lucille : À la base, il y a un an et demi, on se demandait souvent si c’était parce qu’on s’intéressait au sujet qu’on voyait beaucoup plus de choses passer, ou si c’était un mouvement global, et en fait ça a pris de l’ampleur, il y a eu une libération. Les raisons pour lesquelles on a voulu monter ce festival, ont une résonance actuelle et finalement, c’est juste que le festival s’ancre bien dans quelque chose qui est en train de se passer aujourd’hui.
Lucie : C’est vrai qu’on a remarqué que cette année, il y avait beaucoup d’événements qui tournaient autour du sexe, des genres, des sexualités, et pas forcément dans les milieux alternatifs. Je pense à pas mal de choses dans les facs. Par exemple, j’ai été à un colloque « Espace genrés, sexués, queer » à l’école d’archi, il y a aussi eu des conférences autour de la pornographie avec Ovidie à Sciences Po, il y a des choses dans les musées… En gros, le débat commence à s’ouvrir, même si bien sûr il y a des militantes qui font ça depuis toujours. On s’en est rendu compte aussi dans l’organisation du festival parce qu’on a rencontré quelques mairies qui ne peuvent pas encore se positionner sur ce sujet-là, parce que c’est encore très touchy, mais qui sont en tout cas, ouvertes à la rencontre et qui étaient curieuses de savoir ce que c’était. Mais pour l’instant, on ne peut pas compter là-dessus.
Vous présentez quelque chose qui tourne autour de l’érotisme, et ça reste quelque chose de difficile de monter cet événement, alors que le porno est partout. Comment vous percevez cette différence entre les deux?
Lucille : C’est compliqué pour moi comme question, parce qu’à la base tu peux dire, l’érotisme, c’est quelque chose de beaucoup plus subjectif et finalement la pornographie, c’est quelque chose de beaucoup plus graphique. Pour autant, est-ce que cette définition, elle se prête vraiment à la distinction ? Parce que tu as aussi tout ce qui est post-pornographie qui reste de la pornographie…
C’est quoi votre définition du post-porn ?
Lucie : La pornographie sous un angle esthétique et militant mais pas à l’opposé de la pornographie mainstream, plutôt dans la continuité. Il y a des choses à jeter dans la pornographie mainstream mais comme dans tout sujet. Mais pourquoi on continue à en regarder en fait ? Pourquoi ça continue à nous exciter ? C’est des sujets qu’on va soulever lors de la conférence.
Souvent on distingue l’érotisme de la pornographie, en rattachant l’érotisme au féminin. Qu’est-ce que ça vous inspire cette dichotomie ?
Lucille : Je trouve que la question est compliquée, parce que je trouve l’imaginaire érotique appartient à chacun. Après chacun va mettre ce qu’il veut dans érotisme et pornographie. Mais effectivement, t’as plus ce truc de la pornographie où tu vas voir la femme qui est beaucoup plus objet que sujet – par exemple chez Erika Lust, donc cette distinction, elle tient plus non plus. C’est plus forcément la pornographie qui va montrer la femme comme objet, donc où est-ce qu’on met la limite ? Tu avais ce truc de l’érotisme, c’est quelque chose d’esthétique et la pornographie, c’est quelque chose de beaucoup plus cru mais ça se tient plus non plus forcément. André Breton, je crois, disait: « L’érotisme des uns est la pornographie des autres ».
Qu’est-ce que vous pouvez teaser un peu sur les conférences ?
Lucie : La première table ronde, ce sera « Déconstruction des normes corporelles et sexuelles » donc vraiment parler des diktats et des tabous autour des corps, des sexualités, avec une bloggeuse érotique, qui s’appelle Aristo-Chatte. C’est la première qu’on a rencontrée par rapport au festival. Il y aura aussi un sexologue du Cabinet de curiosités féminines qu’on a rencontrée en novembre, on aimait beaucoup ce qu’elles faisaient. C’est une plateforme web, et elles font des podcasts. Elles font des ateliers tous les mois, tous les deux mois, sur toute sorte de sujet, que ce soit les tabous, les fantasmes, les orgasmes, la sexualité masculine.
Ça nous semblait intéressant de toute façon d’inclure un atelier et pas seulement expositions, tables rondes. Quelque chose d’une peu participatif aussi, même si ça va être une jauge limitée, mais c’est déjà ça. La troisième intervenante, c’est Marine Muller, qui a monté un projet qui s’appelle La Chatte au Miel, qui est un projet érotico-féministe. Elle a photographié toutes sortes de femmes autour du monde qui travaillaient autour de l’érotisme. On aimait beaucoup ses photos et son propos.
Dans la sélection des artistes exposées, est-ce que vous avez une œuvre que vous aimez particulièrement ?
Lucie : Moi j’aime beaucoup les collages de Flore-Kunst. C’est une technique assez particulière, le collage, et je trouvais ça intéressant de l’inclure dans la programmation. J’aime beaucoup aussi le travail de Cassie Raptor, ça reste très poétique, et les gens peuvent y voir ce qu’ils veulent, sans que ce soit creux. C’est pas non plus des photos très directes, comme celles de Romy Alizée par exemple, qu’on aime beaucoup, ça marche tout à fait différemment. Et c’est vrai que, c’est ce qu’elle me disait, le fait que ça reste abstrait et poétique, ça libère la parole.
Lucille : Après pour tout vous dire, on a les artistes mais on sait pas encore forcément quelles œuvres ils vont exposer.
À propos des artistes, est-ce que vous allez exposer des hommes ou pas du tout ? Comment ça s’intègre à la démarche du festival ?
Lucille : La sexualité féminine par les femmes, c’est très intéressant et bien sûr c’est légitime. Mais on s’est posé la question, et en fait, finalement, si on veut que les choses changent, et s’il faut qu’on ait quelque part une évolution dans tout ce qui est représentation des désirs et de la sexualité féminine, les homme ont totalement leur place dans le débat et dans le fait de faire évoluer les choses. C’est intéressant d’avoir une vision d’homme, sensible à la démarche, au propos et à la façon dont c’est traité. Après, on a une majorité de femmes, l’idée c’était quand même de promouvoir la création féminine. Mais on s’est posé la question, et on s’est dit que les hommes avaient totalement leur place dans le débat et que si on avait des œuvres qui nous paraissaient intéressantes et qui étaient réalisées par des hommes, il n’y avait aucune raison de refuser.
Dans la bio de votre KissKissBankBank Lucie, tu dis que tu as beaucoup traîné du côté de la scène rock. Dans quelle mesure certaines grandes figures féminines du rock ont pu inspirer ta démarche ?
Lucie : Déjà, personnellement, j’ai remarqué que depuis toujours j’ai préféré les artistes féminines et souvent les « rockeuses », que ce soit Courtney, L7, Patti Smith, enfin des grandes quoi. Et le fait qu’elles se mettent en scène, qu’elle se réapproprient leurs corps, la sexualité, en plus généralement des femmes qui ont des voix très puissantes, ça a dû m’influencer dans mes goûts, qu’ils soient musicaux, esthétiques, mes choix personnels. Dans cette envie de valoriser la création féminine, de vouloir libérer, enfin « libérer », c’est un grand mot, en tout cas, valoriser la parole des femmes.
À quel point aujourd’hui faire ce genre d’événements, c’est encore une démarche rock ? Comme vous l’avez dit c’est accepté, mais c’est toujours un débat.
Lucie : C’est à demi-transgressif, parce que nous on n’a pas l’impression que ce soit tellement transgressif mais en fait on a quand même eu quelques résistances, que ce soit au niveau des institutions, ou d’autres gens, des commentaires.
Lucille : Quand on a réfléchi au festival, on s’est dit que oui, il y avait un certain militantisme derrière parce que oui on a un message. On a souvent eu la réflexion quand on a parlé du projet que c’était courageux de notre part, et en fait, ça nous a fait tiquer parce qu’on était pas du tout dans un truc où il y avait quelque chose de courageux derrière. C’était assez naturel, on s’est pas dit qu’on faisait quelque chose qu’il allait falloir porter, assumer.
Lucie : Surtout qu’on peut le faire aussi grâce à toutes les femmes qui ont contribué au mouvement féministe, à tous les événements qui sont passés aussi avant.
Lucille : Ça nous avait pas paru quelque chose qu’il faudrait « assumer ».
Étant donné les réticences institutionnelles que vous avez pu rencontrer, comment avez-vous fait pour monter un événement pareil ?
Lucie : Les collaborations. On s’est rendues compte petit à petit en rencontrant plein de gens qu’il y a une énorme solidarité, entre les projets féminins, queer, etc. Franchement, c’est comme ça qu’on peut continuer à exister, même si c’est sûr, au bout d’un moment ça sera peut-être plus viable. On se met tous à faire des crowdfundings parce que personne n’a de thunes dans ce monde, il y a plus d’argent dans la culture.
Franchement, on se demande s’il y en a déjà eu !
Lucie : Pour les gros, oui, pour les gros musées, les gros festivals.
Tout à l’heure on parlait de libération, il y a un truc là-dessus dans la description du festival. On est censé être libéré et en même temps, on s’est toutes et tous aperçu à un moment ou à un autre que cette libération elle reste circonscrite à un certain cadre et à ses injonctions. Quelle expérience avez-vous des limites de ce discours sur la liberté sexuelle des femmes ? Est-ce que que vous avez déconstruit des choses par rapport à la presse féminine par exemple ?
Lucille : En fait, c’est vrai qu’on a tendance à penser qu’on est super libéré, que c’était horrible avant… Puis après, tu commences à réfléchir peut-être un peu plus à ta sexualité quand tu as vingt-cinq ans que quand t’en as quinze. En réfléchissant à ta sexualité, en ayant des expériences personnelles, en entendant les discours qui te font rugir. Comme ce discours qu’on a encore beaucoup, qu’une nana qui va coucher à droite à gauche, en gros, « c’est une grosse pute » et puis un mec, « c’est normal, c’est un mec, il a des pulsions, c’est pas de sa faute« . Quand tu as quinze ans, tu entends ça, tu te formates et t’as pas le recul nécessaire. Et puis quand on te dit ça à vingt, vingt-cinq ans tu commences à criser et à te dire qu’il y a un petit problème, que c’est pas tout ça fait normal. Quant à la presse féminine, j’ai arrêté d’en lire depuis un moment. C’est toujours l’éternel débat de la femme est un objet sexuel mais finalement on se pose pas vraiment la question de son désir à elle. « Fais plaisir à ton copain« , « comment être une bonne amante« , mais comment te faire plaisir toi, concrètement c’est pas vraiment dans le débat.
Lucie : Je me rappelle qu’au collège, je lisais énormément de presse féminine et petit à petit je me suis rendu compte que déjà, c’était toujours la même chose, toujours les mêmes articles, à la même période, et puis c’est pas intéressant. C’est toujours le même point de vue.
C’est quoi pour vous les derniers vrais tabous à faire tomber ?
Lucie : Ce qui est autour des fluides corporels, mais pareil depuis quelques temps, il y a quand même beaucoup de livres, de projets, qui se font autour de ça, c’est cool.
Lucille : Là, on parle de sexualité, et on est quand même des personnes qui s’intéressent à plein de questions, mais je sais que, mettons dans mon entourage personnel, il y a des gens avec qui parler de masturbation, ne serait-ce que ça, ça reste un tabou. On le perçoit pas forcément mais je pense que ça reste un tabou énorme.
La masturbation féminine ?
Lucille : Oui ! Ne serait-ce que des choses comme ça qui peuvent presque paraître basiques et sur lesquelles tu te dis qu’il n’y a pas de débat à avoir ça reste vachement tabou. Et après, les éternels tabous sur les règles, et puis à un moment dans la sexualité, il y a ce truc de la performance, et du fait de te dire à un moment, j’ai pas forcément de désir, ça tu vas pas le dire, « j’ai une baisse de libido« , ou alors « j’ai jamais eu d’orgasme de ma vie« , tu vas pas forcément le dire, alors que finalement ce serait plutôt constructif d’en parler, et puis de voir.
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Propos recueillis par Laurie Boussat & Apolline Bazin