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Xavier Dolan, le golden boy queer d’une décennie

Xavier Dolan, le golden boy queer d’une décennie

Dans ce cycle de 5 chroniques, l’auteur et journaliste Hanneli Victoire décrypte certains phénomènes pop des années 2010 qui ont marqué la culture des jeunes queers, à l’aube d’une décennie de luttes et de conquêtes politiques.

2009, festival de Cannes. Un jeune réalisateur québécois de tout juste 20 ans se présente sur la croisette. Son premier film, J’ai tué ma mère, bricolé avec une petite subvention de la région Québec, a été sélectionné dans la prestigieuse catégorie Un certain regard. Un an après, il récidive avec Les amours imaginaires, délicieuse comédie dramatique sur fond de Dalida. Dès lors, son nom est sur toutes les bouches. Son esthétique colorée unique, ses playlists kitsch et chics, et surtout son omniprésence au générique – de réalisateur à monteur en passant par acteur – font de lui un petit ovni du cinéma indépendant. Ouvertement gay, ses films le sont aussi. À lui seul, Xavier Dolan a façonné une bonne partie de l’esthétique queer d’une décennie. 

Un réalisateur détonnant 

Rares sont celles et ceux à avoir su se tailler une place aussi unique chez les cinéphiles. Devenu mainstream un peu malgré lui, Xavier Dolan, fils de producteur et habitué aux plateaux depuis petit, avait pourtant tout de l’outsider arty taillé pour ne pas dépasser les salles d’art et d’essai. Des histoires simples, des budgets minis, des plans ultra-inventifs et une BO vintage seront la clé de son succès. Au-delà de tout, c’est surtout son acharnement qui paie. Huit films en dix ans, devant et derrière la caméra, au script et à la DA, le chiffre, même pour un “fils de” relève de la légende. Pour la journaliste et critique de cinéma Marilou Duponchel « C’est quelqu’un qui est très vite devenu l’icône d’une génération parce que ses films sont en lien direct avec l’époque, ont une résonance particulière, soulèvent des questions liées au polyamour, au genre, à la sexualité, à la famille…» Et pour cause, qui n’a pas ouvert de grands yeux ébahis en visionnant, adolescent, la scène de sexe entre le personnage principal joué par Dolan lui-même et son amant, issue de son premier film J’ai tué ma mère, sur la chanson devenue iconique Noir Désir du groupe Vive la fête ? S’il y a bien une chose que Dolan revendique dès le début, c’est son homosexualité, et celle des personnages qu’il incarne, autant dans J’ai tué ma mère, que Les Amours Imaginaires et son plus récent Matthias et Maxime. Réalisateur gay de film gay ? Dolan refuse l’étiquette tout net en cinglant la Queer Palm, le prix cannois récompensant les films LGBT+ qui souhaitait lui remettre en 2012 pour son long-métrage Lawrence Anyways « Que de tels prix existent me dégoûte. Quel progrès y a-t-il à décerner des récompenses aussi ghettoïsantes, aussi ostracisantes, qui clament que les films tournés par des gays sont des films gays ? On divise avec ces catégories (…). » Le ton est posé. Malgré lui, Dolan devient tout de même avec ce troisième film un réalisateur mondialement acclamé, et une icône queer à part entière. 

Un univers queer immédiatement reconnaissable 

C’est probablement dans son deuxième film, l’iconique Les Amours Imaginaires que le style du réalisateur est à son paroxysme : des ralentis, des tubes vintages mélancoliques, des amours impossibles et des couleurs éclatantes, les références queers sont multiples. « Son style se situe dans ce paradoxe entre une affirmation, une volonté de ne pas être affilié à tel ou tel cinéphilie et un cinéma pétri de références, qui condense à lui seul une petite histoire contemporaine du cinéma avec ce goût prononcé pour une forme extrêmement sophistiquée et inventive, ce goût pour les ralentis, pour une certaine excentricité, pour une palette chromatique très vive et très précise. Ce sont des images qui évoquent le cinéma de Wong Kar Wai, de Pedro Almodovar, de Gregg Araki…» nous détaille Marilou Duponchel. La recette fonctionne immédiatement. Pour Alex, jeune homme gay, Xavier Dolan représente beaucoup : « ses films ont accompagné mes années lycées. Je me suis tellement reconnu dans ses différents personnages, tout résonnait très fort en moi et l’esthétique m’a d’emblée sidéré tant tout était beau et bien travaillé. » Ariel, jeune homme trans, abonde : « j’adore revoir ses films, mes émotions sont toujours intactes, même dix ans après, c’est une vraie madeleine de Proust de mon adolescence. » Plusieurs de ses scènes sont depuis devenues cultes, et ont largement dépassé le petit public queer et art & essai. Marilou Duponchel explique : « Dolan est vraiment le cinéaste de la « marge », par les thèmes qu’il convoque, et dont l’ambition est de se déplacer vers le centre pour l’occuper pleinement. C’est quelqu’un qui ne cesse de citer Titanic comme référence absolue de cinéma ou encore Peter Jackson, la saga Harry Potter… Je crois que c’est vraiment l’une de ses ambitions que de faire un cinéma grand public, grand spectacle, un cinéma du divertissement tout en y fondant des préoccupations LGBT, et plus généralement des préoccupations de son temps. » 

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Icare du cinéma ?

Cinéaste devenu mannequin, réalisateur de clip pour les stars comme Adèle ou Indochine, Dolan marque la pop culture de la décennie 2010’s en s’imposant comme l’un de ses chefs d’orchestre. Quitte à en faire trop ? Son attitude de démiurge, créateur total à la fois scénariste, réalisateur, interprète, monteur et directeur artistique agace vite, on lui reproche sa mégalomanie. Si on grince des dents pour le choix d’avoir fait jouer à un homme cis le rôle d’une femme trans (Melvil Poupaud dans Lawrence Anyways), l’adaptation de la pièce de théâtre de Lagarce Juste la fin du Monde avec un casting cinq étoiles l’éloigne définitivement de son style d’origine qui a tant séduit. Pour Alex : « Franchement, c’est à partir de ce film que j’ai commencé à moins l’aimer, le fait qu’il y est autant d’acteur·ices connu·es et que ce soit une adaptation d’une grande pièce, ça brisait un peu la magie des débuts, où on avait l’impression d’être “en petit comité” avec des histoires simples et belles. » Ce déclin se confirmera avec le film d’après, Ma vie avec John F Donovan, superproduction hollywoodienne à la création laborieuse (des heures monstrueuses de rush, Jessica Chastain coupée au montage) qui est un échec retentissant, autant critique que populaire. Son huitième et dernier film, Matthias et Maxime, qu’il voulait comme un retour aux sources de son cinéma d’origine ne séduit pas plus, le charme est rompu. Alors qu’on l’a retrouvé après trois ans d’absence à la télévision avec la sortie de La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé en septembre 2022, le réalisateur a depuis annoncé sa retraite de réalisateur. Ariel conclut : « j’ai bien aimé la série, car on y a retrouvé un peu de son esthétique et que les problématiques traitées étaient intéressantes. Même si j’ai été un peu déçu de ses derniers films, Xavier Dolan reste pour moi une bonne partie de mon adolescence, et je continuerai toujours de l’aimer et de penser à lui en écoutant Dalida. » Bang bang, Xavier Dolan shut us down. 


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Illustration : © Léane Alestra

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