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Romy Alizée. La fureur du désir

Romy Alizée. La fureur du désir

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« FURIE, c’est un refrain punk, hurlé dans un micro empoigné par un gant de velours. » À 29 ans, Romy Furie Alizée expose fièrement ses fantasmes et sa vision du féminisme à travers ses photos érotiques. Pour son premier livre, FURIE, celle qui se décrit comme une femme chienne et photographe, rassemble une série d’autoportraits peuplés de créatures soumises à ses désirs. L’ambiance rock un poil surréaliste des clichés dresse en creux le portrait d’une jeunesse queer aux plaisirs assumés, d’un absolu de liberté. Conversation fleuve avec une artiste dont chaque photo questionne les normes de la sexualité et les standards de beauté.

Manifesto XXI – Je vais te poser une question con, mais ça vient d’où ce pseudo « Furie » ?

Romy Furie Alizée : Y a deux trois ans, mon Facebook a été supprimé et j’étais un peu vexée ! J’ai perdu tous mes contacts en une seconde, et en re-créant mon compte j’ai mis Romy Furie, comme j’étais énervée. (rires) Un pote m’a dit que mon nouveau blaze était génial, qu’il fallait le garder, et je l’ai gardé pour tous mes trucs un peu porno, de performeuse.

C’est une collection sur combien d’années, ces photos ?

C’est assez récent en fait, je pense que j’ai commencé début 2017. Avant je faisais surtout des photos d’autres personnes, et j’ai eu besoin de faire plusieurs choses en photo avant de rentrer dans cette partie de l’auto-portrait qui est plutôt ce qui faisait sens depuis le début mais je n’osais pas encore trop… me mettre en scène, me mettre en danger.

Donc le livre marque vraiment une étape dans ton travail…

Oui, ça met en forme plusieurs choses qui étaient un peu en suspens, que je testais, et là ça a fait sens tout mis ensemble.

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©Romy Alizée

Quels sont les premiers retours sur cet objet (de désir) ?

Le livre peut très facilement être reçu comme un objet pornographique alors que non, ce n’en est pas un. On l’a présenté (mon éditrice et moi), et on nous a dit : « C’est trop audacieux », « C’est du porno, c’est pas de l’art ». Je n’ai jamais voulu aller frapper à la porte des institutions, je sais d’emblée que c’est mort, mais mon éditrice y est allée et on a eu des remarques de type « C’est trop audacieux » de la part d’institutions qui veulent défendre la jeune création. On est clairement en mode chasse aux sorcières. Il faut que ça reste dans les formes. Ou alors, si c’est scandaleux, il y a aura un scandale par an. Mais y a pas besoin de plus, et y a pas envie d’avoir plus. La pornographie est accessible aux plus jeunes, il suffit de te taper « X » sur Internet. Par contre, dans un musée, une œuvre montrant du sexe qui pourrait déclencher des discussions intéressantes, eh ben ça non ! Il faut que ce soit dans une pièce à part où il y a écrit « -18 ans ». Alors que le musée, c’est là où on apprend les choses.

Je suis plutôt surprise qu’on puisse me qualifier d’artiste porno, puisque la pornographie est partout et elle sert à vendre. Les codes de la publicité sont porno. C’est vraiment une hypocrisie ambiante.

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©Romy Alizée

En quoi avoir été toi-même modèle t’aide à guider tes sujets ?

Je sais pas si ça m’aide à diriger… Les premières personnes que j’ai dirigées, je leur ai peut-être fait faire l’inverse de ce qu’on m’avait toujours demandé. C’était l’anti « ce que j’avais appris ». Par la suite, j’ai plutôt mis l’accent sur l’empathie. Envers les personnes, ce que je leur demande de faire, en parler avec elles, m’assurer qu’ils et elles sont bien d’accord. Finalement les portraits c’est pas difficile, mais quand je demande aux gens d’être dans mes auto-portraits, il faut que j’explique un peu la photo… C’est plus essayer de penser à l’après-photo en fait. J’essaie plutôt de faire les photos avec les « bonnes » personnes pour éviter des conflits.

Comment tu vis cette mise à nu ? Est-ce que ça te travaille encore après quand tu regardes le résultat ?

J’ai une absence totale de gêne, ou je n’ai jamais de regrets. Il y a peu de choses que je pourrais regretter à partir du moment où c’est moi qui fais les images et j’ai pas du tout de honte. Je m’en fiche totalement. Même quand j’étais modèle, c’était assez rare que je sois mal à l’aise. Il y avait une distance de fait… J’ai aucun mal à défendre mes images et à me mettre dans des positions un peu trop trash pour certaines personnes. Voire ça me plaît vraiment de dépasser les limites du convenable, du consensuel dans l’image érotique.

Moi prendre une bite dans chaque main avec une gueule de meuf blasée, ça m’amuse.

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©Romy Alizée

Est-ce que parfois quand même tu ressens ce petit tiraillement entre l’image que tu pourrais vouloir obtenir de toi et le résultat ?

Non, sur les auto-portraits non. Je prends toujours dix photos et j’en choisis une. Ça a rarement à voir avec le « est-ce que je me trouve bien ? ». C’est un ensemble graphique. C’est un tout, les gens placés et moi. Ce sont rarement des images qui me mettent en valeur volontairement. Il y a des photos où on voit mon gras, mais ça ne fait pas du tout partie des choses que je vérifie avant de valider une image où j’apparais.

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©Romy Alizée

Mais ça vient d’où cette distance ? Ça a toujours fait partie de toi ou c’est un travail de conscientisation ?

Pour le coup en étant modèle, ça n’a pas toujours été hyper simple. Je posais beaucoup nue, et y a eu des moments où j’ai eu l’impression d’être la meuf « grosse » du milieu des modèles parisiens. Pas parce que j’étais effectivement grosse, mais parce que dans ce milieu c’est très normé, donc je ne pouvais qu’être grosse. Ensuite il y a des périodes où j’étais plus ronde, et dans ces périodes-là j’ai mis énormément de distance en étant vraiment dans une démarche de « continuer à faire ». Pourtant je me suis pris des bâches, des mecs déçus quand j’arrivais pour un shoot… Comme je suis photogénique du visage, des fois on oublie un peu qu’en fait, ben… j’ai un peu les fesses plates, que mes seins sont comme ça… Ça m’a sûrement affectée, mais ça ne m’a jamais fait arrêter. En ce moment je me pose encore pas mal de questions sur l’image, à quel point on fabrique une image de soi, et l’érotisation de son propre corps, les codes que l’on véhicule.

Parce que ce qui me fait le plus peur, c’est d’être consensuelle.

Parce que j’ai quand même bien compris que le féminisme et la culture queer étaient tolérés à partir du moment où on ne franchit pas les petites barrières imposées, et ça me fait super peur. Je n’aime pas quand les représentants de l’acceptation, avec des grands slogans, sont des nanas très normées, puisque je me demande à quel moment ça peut toucher ? Parce qu’adolescente ce qui m’a détruite, je pense, c’est d’avoir eu des modèles qui avaient peut-être des discours mais qui étaient très normées. Les meufs qui m’ont permis de souffler, c’étaient des nanas anti-glamour.

C’était qui ?

Y avait Kim Deal des Pixies, Lydia Lunch, Kim Gordon… Plutôt des meufs du rock, du garage. Siouxsie and the Banshees, des sortes de choses hyper théâtrales, premier degré et pas du tout dans la séduction. Peaches aussi. La première fois que je l’ai vue, j’ai scruté, j’essayais de voir si elle était bien gaulée ou pas (rires). Quand je me suis dit « elle est normale, ça va ! », j’étais hyper rassurée ! Mais c’est peu de modèles.

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©Romy Alizée

Comment as-tu commencé à vouloir poser ?

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J’ai posé pour la première fois à 19 ans, habillée. Quand j’étais ado, j’adorais les magazines de mode et les livres de photo, surtout les photos un peu de cul. J’avais vu des femmes qui pissaient en image, un peu habillées SM avec une attitude désinvolte, une image de Gilbert Berquet, et ça m’a pas mal marquée. Je pense qu’à l’époque, j’idéalisais la posture de la modèle comme étant une « représentation de la féminité » et je voulais accéder à ça. Parce que toute mon enfance je me suis plutôt sentie exclue de ce milieu, et via la photo j’ai accédé à ce truc qui m’avait manqué, dans le sens où ce n’est pas rassurant de se sentir exclue d’un… marché.

Du fameux « marché à la bonne meuf » ? (citation de King Kong Théorie de Virginie Despentes, ndlr)

Exactement ! Je l’ai relu il y a pas longtemps, et j’ai re-ressenti ce que j’avais éprouvé en le lisant à la vingtaine. Elle pose des mots sur ce que pas mal de nanas ont ressenti, le sentiment de « ne pas en être ». J’ai commencé à poser aussi pour ça, « pour en être ». Après tout il n’y a pas de raison que ce soit réservé à une catégorie de personnes, même si sur le moment je n’avais pas conscience de tout. Il y a dix ans, body positive et machin… ça n’existait pas ! Sur mon deuxième shooting j’ai été agressée par un photographe, et ça m’a donné un élan, envie de faire plus, d’aller un peu plus salir l’image nickel qu’on doit avoir. Tout ce qui était trop glamour je le faisais avec des copines mais pas avec des mecs, ça ne m’intéressait pas. Petit à petit, ça a révélé une autre facette de moi.

J’ai toujours été assez excitée par le fait d’endosser le rôle de la mauvaise fille, parce que je n’avais pas de problème de réputation, d’image à tenir…

J’ai pas de problème de famille, je n’ai que ma mère et ma sœur qui sont à fond avec moi. J’ai grandi avec un grand sentiment de sororité.

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©Romy Alizée

Tu disais que poser avec un regard blasé t’amusait. Pourquoi ce choix ? On se demande si tu es comme ça dans la vraie vie !

C’est ce que les gens retiennent, je ne l’ai pas tout le temps ! Ce que j’aime bien, c’est qu’il y ait un peu d’absurde, de second degré. C’est improbable la photo avec les deux bites par exemple. Une copine m’a dit : « On ne sait pas ce que tu fais avec, si tu es sur écoute ou quoi. » Et cette gueule très années 50 pose beaucoup de questions. C’est plutôt pour proposer une autre lecture, pour ne pas tomber dans le consensuel, jouer la reprise de pouvoir.

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©Romy Alizée

Tu joues beaucoup avec l’esthétique pin-up, il y a aussi une photo où tu poses dans un fauteuil à la Emmanuelle. Qu’est-ce que ça veut dire pour toi toutes ces icônes ?

Ça m’amuse de jouer avec des modèles avec lesquels j’ai grandi. J’adorais Dita Von Teese, mais c’était premier degré, comme un idéal à atteindre. J’aime toujours ce côté très joueur, ces femmes, les pin-up, ont eu des vies incroyables. C’est pas des nanas qui étaient lisses. La Cicciolina, c’est pareil. Avec ses fleurs et son nounours, les gens ne devaient pas avoir beaucoup d’estime pour elle et elle a été élue députée, elle a gravi les marches. Elle devient un personnage insaisissable, super complet. J’ai commencé toute cette esthétique au flash avec cette pote, je trouve qu’elle a un physique incroyable.

Pourquoi performes-tu autant la femme dominatrice dans ces autoportraits ?

C’est un vrai amusement pour moi. Quand j’étais plus jeune, j’ai vu Desperate Living de John Waters et ça m’a rendue ouf. Y a une grosse reine horrible à la fin et j’adore ces personnages-là, les faire vivre en image, et j’adorerais faire un film. Quand on lit des textes de féminisme radical, il y a souvent ce fantasme de société dominée par la femme. Ce n’est peut-être pas ce que l’on voudrait dans les faits, ce qui est souhaitable, mais y a des modèles autrement plus excitants qui se dégagent et je pense justement que dans l’art on peut aller plus loin. J’adore faire un personnage extravagant, et encore, je suis plutôt sage je trouve. Même si dans la vraie vie intime je ne suis pas dans la domination hardcore, ça fait quelque chose. Des gens m’écrivent, et moi c’est ça que j’ai cherché toute ma vie, des modèles, des choses à regarder.

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