Compositeur de bandes-son, chanteur, producteur pour les noms marquants de l’hyperpop, ambient ou experimental pop, Casey MQ cherche à déconstruire l’idée de production mainstream et y apporter une touche de douceur décomplexée et humble. En août, il a laissé le monde entier entrer dans sa chambre d’ado avec son LP babycasey. On a voulu se glisser un peu plus dans son univers.
Casey MQ navigue entre diverses sphères créatives en tant que compositeur, producteur, chanteur et, plus récemment, organisateur de soirées virtuelles avec Club Quarantine. Subtilement, il s’est faufilé avec sa voix cristalline sur les albums de Suicideyear, 2nd Son, DJ Charme, Sparrows ainsi que sur le dernier album de Oklou. Cette dernière évoque d’ailleurs ses talents multiples dont l’écriture. On l’aura compris, Casey MQ a toujours été un touche-à-tout et souhaite tirer vers le haut ses contemporains. Le 14 août, il se lance sous les projecteurs avec son album solo babycasey, sur lequel il magnifie l’affection vouée aux icônes de sa jeunesse. Ensemble, nous avons discuté de la déconstruction de la culture pop, la testostérone dans les boys bands et le possible futur numérique de l’espace club.
Manifesto XXI – Est-ce que tu associes tes sons à de l’hyperpop tout comme nous pouvons le faire pour des artistes telles que Charli XCX, SOPHIE, Grimes ?
Casey MQ : Je n’ai jamais particulièrement associé ma musique à de l’hyperpop mais si les gens veulent utiliser ce terme, c’est cool aussi. Selon moi, ce qui est excitant avec la pop comme ethos c’est qu’il y a toujours de l’espace pour se développer au niveau du son. À travers l’histoire, la définition même de la pop a pu évoluer. Un sous-genre tel que l’hyperpop est intéressant car il a pour objectif de l’exploiter à de nouvelles fins, d’en tester ses limites, même si les fondements du genre sont déjà établis. Pour moi, le but est de toujours faire évoluer la pop tout en la déconstruisant.
Comme tu le dis si bien, l’hyperpop est bien une réinterprétation, voire une critique, de la culture populaire. Quelle est ton approche du mainstream ?
En grandissant, je tentais toujours de dissimuler le fait que j’appréciais le Top 40. La vérité est que ce rejet venait d’un sentiment de honte. Aujourd’hui, je me rends compte que j’ai toujours été friand de ces sons, et je considère leur beauté à leur juste valeur.
Je fais de la pop à ma façon, ce qui veut souvent dire que mes influences sont assez présentes. Parfois, je me réveille et je suis pris de l’envie d’écrire une chanson avec une approche plus traditionnelle : claire et directe. D’autres jours, ce ne sera pas le cas. Je pense que c’est notre réalité en tant qu’humain. Chaque jour est subtilement différent du précédent dans la façon dont nous pensons le monde et comment on s’y identifie.
Pourrais-tu énoncer quelques œuvres qui t’ont inspiré dans ton cheminement artistique ?
Quelques œuvres qui m’ont profondément impacté au niveau émotionnel et m’ont permis de me construire en tant que personne… Il y a Channel Orange de Frank Ocean, Liebaustraum de Liszt, Blue de Joni Mitchell et les jeux vidéo Tony Hawk Pro Skater. Un bon nombre de mes ami·es ont également eu un impact sur mon parcours artistique. Notamment Oklou, qui m’inspire constamment.
Tu as d’ailleurs travaillé en tant que producteur sur le dernier album de Oklou, mais aussi celui de Austra, entre autres. Tu produis également les bandes originales de certains films comme Firecrackers (de Jasmin Mozaffari, ndlr). C’est important pour toi d’être présent sur plusieurs tableaux ?
Oui, j’ai beaucoup de plaisir à explorer les choses nouvelles. Je suis toujours curieux de voir comment le résultat final peut avoir un impact sur moi après coup. J’adore particulièrement l’aspect collaboratif lorsque je parviens à m’imprégner de la vision de l’artiste. Selon la personne avec qui je travaille, l’approche peut être très différente et novatrice. Cela m’enthousiasme d’essayer de discerner l’idée de cette personne et d’y contribuer afin qu’elle puisse atteindre le résultat final tant attendu.
Un sous-genre tel que l’hyperpop est intéressant car il a pour objectif de l’exploiter à de nouvelles fins, d’en tester ses limites, même si les fondements du genre sont déjà établis. Pour moi, le but est de toujours faire évoluer la pop tout en la déconstruisant.
Casey MQ
Y a-t-il une différence entre la production pour d’autres artistes et la création de bande originale pour un film ?
À mon avis, il y a beaucoup de similarités. Lorsqu’on fait une bande-son, il faut tenter de retranscrire de manière évidente la vision ou l’histoire pour que l’audience puisse assimiler l’idée principale, méditer dessus puis l’internaliser. La même chose prend place lors de la création d’un album ou, plus précisément, d’une chanson. On se pose souvent les questions : « Est-ce que l’idée initiale est atteinte ou ai-je choisi un nouveau parcours ? Est-ce que ça me convient de prendre cette nouvelle direction ou dois-je me recentrer pour ne pas perdre de vue cette idée primaire ? » Ce type de questions sur la narration se pose pour toute forme d’art.
En parlant d’album, pourrais-tu nous en dire plus sur babycasey qui semble être un hommage aux boys bands ?
Lorsque je pense à ma jeunesse, les boys bands ont été une force qui résonnait en moi. La multiplicité de leur présence a interagi avec tous les domaines de ma vie : la musique, la mode, l’homoérotisme, leurs personnalités. Je les admirais beaucoup et j’avais beaucoup de plaisir à voir tout ça interagir à la télé.
C’est indéniable que babycasey évoque cette sphère-là mais c’est avant tout une ode à l’enfance et l’évocation d’une joie constante, l’innocence et le plaisir. Il y a également une certaine intention de cerner ces émotions, les analyser et voir comment elles apparaissent également dans mon présent.
L’aspect émotionnel semble de plus en plus ancré dans les boys bands d’aujourd’hui, qui souhaitent se détacher du pur divertissement. Je pense notamment aux membres de Brockhampton qui évoquent frontalement leurs émotions et peines. Crois-tu que le boys band peut aider à redéfinir la masculinité et le queer ?
Oui, c’est une progression qui m’enthousiasme. L’Art a cette capacité de redéfinir la façon dont nous communiquons et nous nous comprenons. C’est toujours assez complexe de comprendre entièrement la personne en face de nous – réalistiquement parlant, ce n’est pas possible. L’Art nous permet de voir comment les gens assimilent les choses, s’y identifient ou l’expriment. Cela nous laisse l’opportunité de l’accepter et d’en embrasser son humanité. C’est une forme de communication et un mode d’expression pour les choses que l’on ose très peu souvent exprimer. Je ne pense pas que ce processus d’expression puisse s’arrêter ; nous existons dans cette vie ainsi et l’Art est une source de réinterprétation du monde et permet la compréhension de perspectives variées.
Pour cet album, tu t’es basé sur des textes écrits dans ta jeunesse. Est-ce que babycasey s’est présenté comme une forme de thérapie émotionnelle ?
Exactement ! En me concentrant de plus en plus sur le projet et en identifiant que je voulais évoquer mon adolescence, l’album s’est précisé et j’ai clarifié mon approche stylistique au niveau de l’écriture. Ces textes ont servi de piliers sur lesquels me baser et ont donné de la clarté à la musique créée. J’ai aussi pu revoir des vidéos de mon enfance dans lesquelles je performais et ça m’a vraiment impacté. La performance est un phénomène qui est très présent dans ma vie, et de revoir ces vidéos au fil de cette année m’a permis de comprendre à quel point ce désir de performance a pu s’intégrer dans ma vie de tous les jours.
J’ai aussi remarqué que beaucoup de plaisir qui émane de ces vidéos vient de l’approche que je pouvais avoir au succès. M’aligner avec ces vidéos d’enfance m’a permis d’être plus en osmose avec la personne que je suis aujourd’hui et c’était essentiel pour cet album. Si le succès et la récompense ont, par moments, leur place dans notre travail ou art, c’est important de ne pas en faire la source récurrente de notre passion.
Que peux-tu nous dire sur ton titre « The First Song I Ever Wrote », qui dure 19 secondes ?
C’est tout simplement ça : la première chanson que j’ai écrite. Ou, si je suis honnête, sûrement la seconde. J’avais un cahier de partitions de musique que j’utilisais pour écrire simultanément chaque parole ainsi qu’une note. J’avais 10 ou 11 ans et mon père a réussi à enregistrer le tout et à en préserver le résultat pendant des années. J’ai donc décidé d’inclure une partie de cet enregistrement dans un nouveau contexte afin de jouer avec pour qu’il fasse sens dans ma nouvelle réalité.
Lorsque je pense à ma jeunesse, les boys bands ont été une force qui résonnait en moi. La multiplicité de leur présence a interagi avec tous les domaines de ma vie : la musique, la mode, l’homoérotisme, leurs personnalités.
Casey MQ
Tu es donc plutôt partisan de cette recherche d’archivage dans la création musicale contemporaine ?
C’est génial. L’archivage est très intéressant car on regarde toujours le passé avec la perspective du présent. La façon dont on interagit avec ce matériel dans le présent permet de reformuler le contexte et impacter durablement le futur. C’est pour cette raison que je soutiens le sampling en musique. De voir les sons enregistrés dans le passé s’intégrer dans le présent déconstruit notre considération de temps.
Tu es le co-fondateur de Raven’s Vision, un collectif queer basé à Toronto. En 2020, tu es devenu l’un des quatre co-fondateurs de Club Quarantine, un club queer virtuel. Crois-tu que le web est un espace safe pour les communautés queer ?
Je pense que le terme « espace safe » a ses limitations car chacun·e est libre de faire ce qu’iel veut dans l’espace public. C’est de la responsabilité de chacun·e d’y être présent·e de manière « safe » et bienveillant·e. En tant que personne initiant un évènement public, c’était primordial de me concentrer sur les règles et de faire savoir à autrui l’intention de cet espace. Idéalement, les gens se sentiraient assez à l’aise de communiquer et de s’exprimer avec de potentiels étrangers. Je pense que cette nécessité émerge aussi bien dans le monde réel qu’en ligne.
À ton avis, quel est le futur de la vie nocturne ?
Question compliquée. Pour moi, la vie nocturne a toujours été un lieu de rencontre et de jeu. On peut y exprimer et mettre en performance ce qu’on n’ose pas forcément dans la vie de tous les jours. On y retrouve également la joie de devenir commun avec des étrangers. C’est beau mais on peut aussi y retrouver beaucoup de désordre. Pour te répondre plus concrètement, je crois que nous retournerons à cet espace car c’est un désir naturel ; nous allons simplement voir plus d’intersectionnalité entre l’espace digital et la vie « réelle ». C’est une autre forme d’interaction communautaire mais qui promet plus de possibilités. C’est ce qui a pu se passer dans le cadre de notre Club Quarantine, sur Zoom.
Image à la Une : © Mary Chen & Haley V. Parker
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