Bien s’informer, c’est important mais ça demande du temps. Alors chaque lundi, la rédaction de Manifesto XXI vous présente sa revue de presse pour bien commencer la semaine. Dedans, retrouvez des infos essentielles, des enquêtes marquantes, des débats, des images fortes, des actus queers et féministes…
Si la fin de semaine dernière a été accaparée par le décès du prince Philippe, des infos essentielles vous auront peut-être échappé : voici les news et publications essentielles de la semaine du 5 avril, répérées et sélectionnées par la rédaction de Manifesto XXI. En visite en Turquie, la représentante de l’Union européenne s’est vue refuser un siège, la chanteuse Hoshi a été la cible de commentaires sexistes diffusés à la radio, des ONG ont porté plainte contre le travail forcé des Ouïghours, et enfin on en apprend toujours plus sur des dîners mondains qui s’organisent en toute illégalité dans des sphères proches de l’État… Dans cette édition XXL, découvrez aussi une mise au point sur la reconnaissance de la responsabilité de la France dans le génocide au Rwanda.
La semaine en bref
Poisson d’avril ! – Le scandale de la semaine dernière, ce sont bien sûr les agapes clandestines organisées par le collectionneur Pierre-Jean Chalençon et le chef Christophe Leroy. C’est un reportage diffusé sur M6 qui a révélé l’information. Interrogé dans le reportage où il évoque la présence de ministres à ces repas, Pierre-Jean Chalençon s’est ensuite défendu d’une « blague » et d’un « poisson d’avril »… mais le parquet de Paris a ouvert une enquête et les deux organisateurs ont été placés en garde à vue. Est-il vraiment de bon sens d’aller déguster des morceaux de comté et des œufs au plat à 200 euros en pleine pandémie ? Certainement pas, mais cela n’a pas empêché starlettes et politiques de se précipiter au Palais Vivienne. Face au mécontentement général et la pression médiatique qui s’accroit, l’ancien ministre Brice Hortefeux a reconnu samedi soir sa participation à un déjeuner… Qui sera le ou la prochain·e ?
Histoire d’en rire, comme désormais nous pouvons trouver des tests quiz pour tout, vous pouvez découvrir quel·le participant·e célèbre de ces dîners vous correspond !
Islamophobie – Marwan Muhammad, ancien directeur du Collectif contre l’islamophobie en France, dissous en octobre 2020, fait le point sur sa situation et celle des musulman·es de France pour le Middle East Eye. L’occasion aussi de revenir sur la lourde part de responsabilité de la présidence Macron dans la normalisation des idées d’extrême droite mais aussi sur le tournant ubuesque qu’a pris sa propre vie ces derniers mois.
La jeunesse n’emmerde plus le Front national ? – C’est l’info qui a fait froid dans le dos lundi de Pâques : Le Monde a publié les résultats d’une enquête des instituts Ipsos et Ifop qui montre qu’après l’abstention, le Rassemblement national est le premier parti crédité pour les intentions de vote des 25-34 ans. L’article commente en finesse les dynamiques à l’œuvre chez l’électorat des « primo-votants », mais souligne bien que ce mouvement est aussi la conséquence de la politique de dédiabolisation portée par Marine Le Pen… Ambiance pour la présidentielle.
Sofagate – Lors de la dernière rencontre entre l’Union européenne et les autorités turques, aucune chaise n’était prévue pour la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen. Loin d’être un simple oubli, il s’agit bien d’une provocation de la part de la Turquie qui a récemment quitté la Convention d’Istanbul sur les violences faites aux femmes. L’article de The Conversation souligne à juste titre deux choses à propos de cet incident : l’absence de réaction de Charles Michel, président du Conseil européen, et l’incapacité de l’UE à parler d’une seule voix sur le plan de la représentation diplomatique.
Les Inrocks – Mathieu Pigasse, propriétaire du groupe médiatique Les Nouvelles Éditions indépendantes, vient d’annoncer un changement de nom, adoptant celui de Combat, ainsi qu’un passage des Inrocks au format mensuel. Un nom qui nous invite plutôt à nous s’interroger sur la politique de résistance mise en place par la direction d’un média qui a vu une soixante de salarié·es licencié·es depuis 2014. Une enquête Arrêt sur images détaille plus longuement la déconfiture du titre de presse culturelle.
#BalanceTonTatoueur – Cheek (media qui fait partie de Combat) a justement publié une longue enquête sur les comportements agressifs et problématiques du tatoueur star Tin-Tin. Organisateur du Mondial du tatouage, il est reconnu comme une des figures pionnières de la discipline ayant permis la reconnaissance de la pratique comme art en France. Une légitimité qui aura nourri des comportements tyranniques pendant plusieurs années : l’article rapporte des « colères » redoutées, au moins deux cas de cyber-harcèlement, la séquestration d’une employée lors d’un conflit, et quantité de remarques sexistes et homophobes faites à des clientes ou des employé·es.
Rafale Papers – Mediapart a révélé que la vente à l’Inde de 36 Rafales en 2016 s’est faite dans une ambiance de corruption à tous les étages. Si les ministres et industriels français (ici Dassault et Thalès) ont pour habitude de vendre des armes de guerre contre commissions à des régimes étrangers, Mediapart explique en accès libre comment l’affaire a été « enterrée à la fois par la justice et par l’Agence française anticorruption au nom de la raison d’État ».
Sénégal – Le Diplo revient sur les causes profondes démographiques, économiques et politiques des soulèvements au Sénégal le mois dernier – mortels pour 11 jeunes manifestants de 12 à 35 ans. L’article se focalise notamment sur le ressentiment de la jeunesse contre des banques et des politiques corrompus, toujours tournés vers Paris qui ne fait que défendre ses propres intérêts avec l’implantation d’enseignes ravageuses pour une économie sénégalaise déjà dans l’impasse.
Test de féminité – Une nouvelle athlète, Aminatou Seyni, s’est vue interdire une compétition sportive – les JO de Pékin – en raison de son taux d’hormones naturelles. Hyperandrogénie pour les uns, violation des droits humains pour l’ONG Human Rights Watch. Maëlle Le Corre, venue récemment grandir la rédaction de Madmoizelle, nous y explique en quoi ces règles sont sexistes et racistes.
Ouïghours – Nous continuons notre suivi sur l’univers des empires du textile, ses intrications géopolitiques et les personnes qui fabriquent nos vêtements : quatre ONG et une femme ouïghoure portent plainte contre le groupe Inditex (Zara, Pull&Bear, Massimo Dutti, Bershka, Oysho, Stradivarius), Uniqlo, SMPC (Sandro, Maje, Claudie Pierlot, De Fursac) et les chaussures Skechers. Les chefs d’accusation : recel de travail forcé et crime contre l’humanité.
Le patriarcocène, c’est fini ! – L’autrice Agnieszka Żuk signe pour AOC un magistral article sur les manifestations féministes en Pologne suite à l’interdiction de l’avortement. On y comprend la place de l’Église dans la constitution polonaise de 1989 et comment les nationalistes polarisent contre les progressistes « occidentaux ». Un article ultra-sourcé qui narre trente ans d’actions guerrières et courageuses des femmes polonaises pour le droit à disposer de leur corps.
L’ENA supprimée – La menace planait depuis le début du mandat, l’annonce est désormais faite : l’ENA va être remplacée par un Institut du service public (ISP). Emmanuel Macron pourrait y passer quelques mois, pour comprendre quelque chose de ce susdit service public qu’il met tout son talent à détruire. Eugénie Costa, dans le Bondy Blog, fait un pas de côté pour nous expliquer ce qu’est un·e énarque et pourquoi la suppression de l’ENA ne supprime pas les énarques ni, malheureusement, Emmanuel Macron.
La ligue des justicières – La première coalition féministe vient d’être créée au Nigéria, dans un pays où ce terme est considéré comme une insulte : le New York Times dresse le portrait de treize femmes engagées sur de nombreux fronts (violences faites aux femmes, harcèlement au travail, autonomie financière, visibilité médiatique, accès aux protections hygiéniques) à l’origine du collectif. Il a récemment joué un rôle central dans les manifestations contre les violences policières, apportant une assistance juridique, matérielle et un soutien psychologique aux manifestant·es et aux victimes d’abus.
Matière à penser
Féminisme d’État lave plus blanc – Une tribune de nos intellectuel·les préféré·es gronde dans le blog de Mediapart. Contre l’État policier qui a fini de se mettre en place dans notre pays, avec son système de répression « préventive », d’arrestations arbitraires et de surveillance massive. Contre la fabrication du « musulman » et du « gauchiste » comme épouvantail politique. Contre le féminisme-washing qui justifie toutes ces dérives qui n’en sont pas puisqu’il s’agit d’un cap. D’un faisceau. Bref, d’un fascisme rampant qui ne dit pas son nom.
Minute Gramsci – Alors qu’on parlait dans notre paragraphe précédent du vieux monde qui se meurt, du nouveau qui tarde à apparaître et des monstres qui surgissent dans ce clair-obscur, le Diplo met en accès libre une archive qui revient sur la philosophie de l’italien Gramsci, sans doute une des plus galvaudées de ce début de siècle (avec Nietzsche et Spinoza chez les incels). Elle revient sur les fondamentaux de cette pensée puissante, philosophie-monde, de combat, de gauche profondément.
Race(s) – Le quotidien d’opinion AOC a constitué un dossier des contributions publiées sur son site autour de la race. La ligne éditoriale étant très ouverte, il s’agit d’un bon panorama des différents arguments sur la question, chacun remis dans leur contexte théorique et politique, permettant de mieux comprendre les termes d’un débat qui se réduit souvent à un dialogue de sourd·es.
La semaine en images
Darmanin – Faut-il rire ou pleurer ? Une chose est avérée, les « vices » du ministre de l’Intérieur ne datent pas d’hier, comme nous le confirme le trombinoscope de la promo 2015 de Sciences Po Lille qui a refait surface la semaine passée. Une trouvaille qui ne manqua pas de déchaîner la toile avec cette référence aux strings qui dépassent…
Hoshi par Pénélope Bagieu – Visiblement, le chroniqueur Fabien Lecœuvre est resté bloqué sur les standards de beauté des années yéyé. Ainsi, mercredi 7 avril, sur la web radio indépendante Arts-Mada, le chroniqueur a tenu des propos inacceptables sur le physique de la chanteuse Hoshi, qu’il dit trouver « à vomir ». Une énième illustration de la bêtise patriarcale qui donne la nausée. Heureusement, un élan de mobilisation a apporté son soutien à la chanteuse, dont Pénélope Bagieu qui, avec cette illustration, rend à Hoshi la tendresse qu’elle mérite.
Action culture, drôles de cloches – En ce lundi de Pâques 2021, les cloches retentissaient pour la culture. À l’initiative d’étudiant·es du Théâtre national de Strasbourg, des femmes et des hommes dont le travail est actuellement jugé non-essentiel se mobilisaient sur des places publiques. Une demi-douzaine de lieux ont été investis à Paris. Pendant une minute, on pouvait lire sur leurs torses « jeunesse piétinée, culture sacrifiée », « on veut rêver ». Rendez-nous la culture.
Aya Nakamura – Pour le mois d’avril, Vanity Fair consacre une enquête sur la construction du mythe moderne que représente Aya Nakamura. On vous laisse admirer la couverture.
Cultures queers et transféministes
Poésie saphique en chansons – Pauline Paris vient de sortir un album où elle met en chanson les magnifiques poèmes de Renée Vivien. Jeanne magazine a mené un entretien avec elle pour l’occasion et en partage librement des extraits en ligne. On y parle bistros, poésie, et Dessous lesbiens de la chanson française, un livre dont Pauline Paris est co-autrice.
Conférences féministes – Née il y a un an, la Féministerie propose des ateliers et rencontres en visio-conférence sur divers thèmes féministes, pour valoriser les voix alternatives et accompagner la décontraction du plus grand nombre. L’organisation innove et proposera désormais des conférences payantes sur des thèmes pointus. Le premier rendez-vous est fixé au mercredi 21 avril 19h pour une discussion exclusive avec Amandine Gay sur le sujet de « la justice reproductive ». Réserver.
Le documentaire
Infektion – Le must-see de la semaine passée, c’est ce documentaire du New York Times sur la création et l’infusion des fake news dans nos sociétés. Si les rumeurs de déstabilisation ont dû exister dès lors que plus de deux homo sapiens se sont retrouvés au même endroit au même moment, la conceptualisation contemporaine de la fake news, le « confusionnisme » (ne plus savoir distinguer le vrai du faux et se désintéresser des faits, donc de la démocratie), on la doit au KGB. De là, elle va voyager. Oh comme elle va voyager.
À rattraper
Syrie – Cette semaine, on a enfin écouté la cinquième saison de l’excellent podcast Mécaniques du journalisme. Les quatre épisodes de 15 minutes sont narrés par Jean-Philippe Rémy, le journaliste du Monde qui a couvert les attaques au gaz sarin de Bachar Al-Assad contre les habitant·es de Damas. La série raconte à la première personne comment Rémy et son photographe Laurent Van der Stockt se sont infiltrés dans un territoire impénétrable aux journalistes, comment ils ont découvert l’horreur et comment ils ont ramené les preuves – sans espoir tangible qu’elles n’auraient aucune résonance sur le cynique échiquier de la scène internationale.
Mise au point
Dans une France amnésique du Rwanda et de son implication dans le génocide qui s’y est déroulé en 1994, la remise du rapport Vincent Duclert sur « La France, le Rwanda et le génocide des Tutsi (1990-1994) » le 26 mars dernier au président de la République n’a pas fait tant que ça l’effet d’une bombe. Pourtant, des responsabilités françaises y sont reconnues dans un génocide ayant fait 800 000 morts.
Retour sur les faits : depuis l’indépendance du Rwanda vis-à-vis de la Belgique, en 1962, le pays développe une proximité avec la France. En 1990, dans le contexte du discours de la Baule, François Mitterrand souhaite faire du Rwanda le laboratoire de sa politique africaine : soutenir militairement les pays africains qui s’engageraient sur la voie de la démocratisation. Le président français entretient des liens amicaux avec le chef d’État rwandais, Juvénal Habyarimana, et diligente une mission militaire dans le pays, qui forme notamment des militaires rwandais, auteurs par la suite du génocide. Il restera bien trop longtemps aveugle à la situation, par une lecture ethnicisante erronée et par ses intérêts néo-coloniaux. Le rapport est accablant : « La France s’est longtemps investie au côté d’un régime qui encourageait des massacres racistes. »
Au fur et à mesure que les incidents envers les Tutsi s’aggravent, comme l’explique l’article approfondi du Monde, des notes issues du terrain alertent des risques génocidaires. Elles sont ignorées par l’état-major du président et des « liaisons parallèles » pour joindre les forces françaises au Rwanda, en communication téléphonique directe avec le palais présidentiel, se mettent en place. Le Rwanda représente le paroxysme des dérives institutionnelles de la Vème République, avec des décisions présidentielles opaques et sans aucun contre-pouvoir.
Le rapport, déjà très conséquent, reste incomplet, n’ayant pas pu accéder à l’intégralité des archives et n’utilisant pas de sources orales. Il reste pour autant un pas important de la politique mémorielle engagée par Emmanuel Macron, indispensable dans sa volonté de « réinvention de l’axe afro-européen ». Pour en apprendre davantage sur l’actuel Rwanda, on vous invite à lire les mots magnifiques de Gaël Faye accordés dans un entretien au Grand Continent il y a deux ans.
Sélection et rédaction : Albane Barrau, Apolline Bazin, Salvade Castera, Anouk Durocher, Anne Plaignaud, Luki Fair
Image à la une : Plat du chef Christophe Leroy.
Visibilité trans, Manifeste des 343, UNEF : Revue de presse #10