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GRAND AMOUR : discours amoureux contre le VIH

GRAND AMOUR : discours amoureux contre le VIH

Dans Fragments d’un discours amoureux, Roland Barthes écrit à propos du sentiment d’amour qu’il ne lui reste plus qu’à « être le lieu de l’affirmation. » Le film Grand Amour est lui né d’une collaboration entre AIDES, une association de lutte contre le VIH, et les scénaristes du studio Les monstres, Clément Guinamard et Nicolas Mongin. Comme un rêve poétique, ce film hybride, diffusé sur TF1, est le lieu du discours amoureux, et donc de l’affirmation : celle de la nécessité pour les corps de se retrouver, s’explorer, se désirer, et s’informer pour aimer. 

Réalisé en seulement une semaine, Grand Amour convoque de nombreuses références et des sentiments pluriels. Le long-métrage circule entre les chambres de l’hôtel Grand Amour, amoureusement situé rue de la fidélité dans le 10e arrondissement de Paris. Il nous amène à la rencontre de personnages « dispersés comme des friandises dans un calendrier de l’Avent« , d’après la jolie formule de Clément. Ces friandises savoureuses et éclectiques contribuent à constituer un casting unique, composé, entre autres, de Nicolas Maury, Stéphane Bern, Ana Girardot, Grand Corps Malade, Flora Fishbach, Joey Starr, tous·tes aussi poétiques que sincères. Pour mieux saisir l’étincelle qui a permis de réaliser ce projet, nous avons rencontré ses deux scénaristes non loin de l’hôtel Grand Amour. Animés par la passion des projets à venir et la difficulté à achever leur dernier, ils partagent l’envie de continuer à imaginer et à s’exprimer. La forme aboutie de ce premier long-métrage laisse présager un futur prometteur pour ces deux regards à la détermination évidente. 

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Cette collaboration artistique est l’endroit d’une rencontre entre deux visions de l’amour, celles des deux scénaristes. Pour ce film, ils se sont fait confiance et ont créé un discours amoureux fluide et complémentaire. Le regard de Clément est rêveur, celui de Nicolas technique. Les deux se retrouvent dans un regard aimant et ils ont « aimé tout le monde sur le tournage, les acteurices, les équipes, chaque personne présente ». Nicolas l’appelle « la première grande partouze culturelle », Clément y voit une “histoire de l’amour à travers la culture« . Les deux ont mis au service de la lutte contre le VIH et de l’association Aides un agrégat de passions humaines, de poésies et de rencontres. Devant et derrière la caméra, un corps collectif s’est formé, mu par une « urgence d’agir et de créer« . 

Un film réalisé pour l’association Aides

Ces discours filmiques, poétiques et humoristiques sont aussi et surtout une façon d’appeler aux dons pour l’association Aides, dans un contexte où la crise sanitaire a eu de lourdes conséquences, aussi bien sur les associations comptant sur les dons de rues que sur les personnes vulnérables. Pour cette raison, Aides a mis en place un événement « e-culturel » : Aides fête l’amour, « Pour dire “oui à l’amour et non au sida« . Cette prise de parole de l’association à travers Grand Amour transmet les outils d’une lutte dans laquelle l’affirmation de la prévention passe aussi comme un acte de poésie, de désir et d’humour. Les comédiennes, actrices et performeuses drag Rose & Punani sont nos guides dans cet hôtel habité et font de cette prévention un acte aussi drôle qu’essentiel en poussant les portes des chambres, et de nos intimités. 

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Rosa & Punani © Les Monstres / TF1

Diffusé sur la plateforme MyTF1, l’enjeu de ce long-métrage est d’autant plus important qu’il sublime des modèles méconnus voir exclus des programmes traditionnellement produits par la chaîne pour ses « publics cibles ». En mêlant la culture populaire à une poésie intime et engagée, Grand Amour devient une ode à la visibilité, à la fluidité et à la beauté, pour sensibiliser, émouvoir et aimer, par-delà les genres et les orientations. Il n’était pas question pour Clément et Nicolas de se censurer dans la façon de mettre en scène leur imagination, permettant à Grand amour de s’affranchir de certains cadres formels. Ce collectif n’aurait pas pu se constituer sans le partage d’envies et de regards, notamment celui de Laurent Laffite de la Comédie Française, metteur en scène associé. Le film dépasse l’idée « d’un programme LGBT » ou d’une campagne de sensibilisation et s’ancre dans les interstices de chaque individualité en offrant de la subjectivité aux questions de désirs. Une mission aussi périlleuse que nécessaire : celle de montrer la pluralité des modèles sur des grands canaux de diffusions, de rappeler, même à sa grand-mère ou son grand-oncle, qu’une charge virale indétectable = un virus intransmissible, que la capote existe, que la PREP aussi, que l’amour peut s’épanouir dans une grande pluralité de modèles et que nous partageons tous.tes du sensible. 

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© Les Monstres / TF1

Le sociologue Didier Eribon écrit l’importance de se raccrocher à des images, des modèles ou des récits, pour l’affirmation de soi, de ses sexualités et d’expériences minorées. Clément affirme que ce film peut-être une forme d’échappatoire, il permet de dire à des spectateur·rices « On est là, vous pouvez être libres ». Et la force des modèles de liberté est aussi accentuée par le regard des deux scénaristes structuré par un amour et une bienveillance palpables. Clément y voit à travers elleux des idoles, tandis que Nicolas entretient avec elleux un rapport iconographique, « comme une peinture de Raphaël. » C’est cette bienveillance portée à chaque personne devant et derrière la caméra qui nous invite à aimer.

Idoles contemporaines, figures poétiques : une histoire aux multiples références

La manière de présenter le projet aux acteur·rices est elle-même poétique. En guise de scénario, Clément avait dessiné les chambres de l’hôtel, qu’il avait attribuées aux acteur·rices, quasi tous·tes déjà imaginées pour chaque rôle. Chaque être n’avait plus qu’à se rencontrer et former des solos, des duos ou des groupes d’affinité. On pense à la chanteuse Yseult, sculpturale en osmose avec le danseur étoile Germain Louvet, à la jeune comédienne Anaïde Rozam récitant un texte de Johnny avec AloÏse Sauvage, à Chiara Mastroianni qui réveille l’imaginaire de Chambre 212 de Christophe Honoré avec Laurent Laffite, à Doria Tiller et François Sagat qui revisitent Sailor et Lula de David Lynch dans une sorte de rêverie chorégraphique. La mise en mouvement des corps, sculptée par le travail de Frédéric Fontan, chorégraphe et producteur associé, renforce la beauté de la rencontre et des dialogues. L’histoire de chaque scène s’inscrit aussi dans celle de l’hôtel, dont Clément et Nicolas transmettent les anecdotes. « Chaque chambre porte ses histoires« ,  de vie, d’amour, et de sexe, et le souvenir vient servir le jeu des acteur·rices et l’émotion retranscrite. Acteur·rices dont on ne citera pas tous les noms, pour garder quelques surprises de rencontres au détour d’une chambre ! 

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Yseult et Germain Louvet © Les Monstres / TF1

Clément fait aussi référence à la pièce Les idoles de Christophe Honoré, dans laquelle se joue l’histoire des figures centrales de la jeunesse du réalisateur, toutes emportées par le sida : Dans Grand Amour, Marina Foïs récite un texte de la pièce qu’elle interprétait sur scène et fait ainsi revivre l’émotion du sujet, l’impact du VIH sur plusieurs générations et l’importance de l’information et de la sensibilisation. Ce texte résonne différemment chez chacun·e et vient comme un trait d’union entre les idoles disparues et la poésie de figures contemporaines. Cette poésie, que l’on retrouve dans la scène d’improvisation de Raya Martigny, Felix Maritaud et Anne-Lise Maulin à partir de la chanson « Quand on a que l’amour » de Jacques Brel  : 

« Quand on a que l’amour, c’est qu’on a fait le choix » (Felix Maritaud) 

« On ne peut pas aimer les autres, si on ne s’aime pas soi-même » (Raya Martigny) 

La musique, source d’inspiration, récitée ou re-interprétée, est au cœur de Grand Amour et tient une place de choix pour les scénaristes. Elle agit comme catalyseur d’émotion et d’union, entre des hymnes de la culture populaire et de la création contemporaine (la bande-son originale est signée Casual Melancholia). Ce mariage se retrouve dans la scène où Luc Bruyère, artiste aux multiples talents, accompagné par Jérémy Chatelain au piano, livre une interprétation d’ « Idées noires » de Bernard Lavilliers et Nicoletta. Les boucles sont bouclées et de nouvelles boucles se créent. 

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Luc Bruyère © Les Monstres / TF1

#fetelamour : une synergie artistique et médiatique

Par-delà les références au cinéma de Demy, de Lynch ou d’Honoré, les airs de nouvelles vagues accentués par d’intenses regards caméra, l’esthétique déjà affirmée des deux scénaristes, il y a la nécessité pour les corps de se retrouver, que ce soit dans une chambre close ou dans une scène de cruising, à deux, ou à plusieurs. Ils·Elles se retrouvent dans une certaine idée du beau, pluriel et protéiforme, dans lequel la mode en tant qu’artisanat occupe un rôle à part entière. La présence du vêtement vient restructurer les corps, et Tiphaine Menon, la styliste du film, a joué un rôle central, faisant dialoguer des grands noms avec des maisons prometteuses, comme Nicolas-Lecourt Mansion. 

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Grand Amour s’inscrit pleinement dans les lignes du studio Les Monstres, dont le travail a aussi été rendu possible par Hélène Orjebin, productrice, et Claire Bejanin, productrice associée. La volonté de ce studio de création est de permettre à des artistes de s’exprimer, en acceptant leur différence. Le studio veut dire aux gens relégués à une certaine marge de la société « que derrière chaque personne se cache une lumière. » Le film participe à l’inversion d’une certaine norme et offre des espaces de rencontres entre différents univers et différentes sensibilités. Des espaces où l’amour et le désir font loi et sont armés pour se battre. Grand amour est une réunion de famille, où acteur·rices de la Comédie Française retrouvent des figures du cinéma contemporain, de la musique, de la danse, des figures de la scène underground et des artistes émergent·e·s, des technicien·e·s, une association et des rêveurs·euses, pour parler d’amour, de prévention, de sexe et de désir. Ce grand collectif témoigne de la nécessité de lutter contre le VIH, d’affirmer son désir et son amour et d’écouter son sensible. 

Alors, puisque nous y sommes si bien invité·e·s, prenons les armes de l’amour et luttons contre le VIH par l’information et le soutien à la campagne de dons mise en place par Aides dans le cadre de la « Fête de l’amour ». Les participant·e·s de cette création nous ont ouvert les chambres de l’hôtel Grand Amour, pour celleux qui en ont les moyens, faire un don reviendrait à payer sa nuit (ou sa sieste crapuleuse), pour que les seules choses contagieuses soient le désir, la bienveillance et l’amour. 

« Fête l’amour », première édition le 4 juillet 2020 pour « marquer un tournant dans la lutte contre le VIH / Sida » 

Film disponible sur MyTF1 jusqu’au 3 août

A la Une : Felix Maritaud, Raya Martigny et Anne-Lise Maulin © Les Monstres / TF1

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