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Photographes confiné·es – 1/4

Photographes confiné·es – 1/4

Care, évasion, tendresse, colère : pendant le confinement, 16 femmes photographes nous ont partagé leur vision de cette période éprouvante. Retour sur leurs regards et récits.

En période de crise, les femmes sont les premières à trinquer. Les inégalités se creusent, les droits sont menacés et la visibilité dans l’espace médiatique… réduite. Les femmes photographes n’ont pas fait exception : le 10 avril, M le magazine du Monde choisissait de présenter le travail de 16 photographes confinés. Dans cette sélection, que des hommes. À peu près au même moment, Télérama commettait la même erreur d’omission.

En réponse à cette invisibilisation, la rédaction de Manifesto XXI a donc invité 16 femmes et personnes non-binaires, photographes à raconter leur expérience du confinement, et partager des images prises pendant la période, ou qui faisaient écho aux défis de cette crise.

Alors qu’on nous parle parfois de deuxième vague et de reconfinement, nous vous proposons de redécouvrir cet été ces mots et ces images qui nous ont tant ravi·es.

Emilie Hallard

Kali, 2019, extrait de la série « Les corps incorruptibles⁠ » © Emilie Hallard

Miroir miroir du confinement. Au début on a dû subir des milliers de tutos et d’articles grossophobes t’expliquant combien tu devais maintenir ta ligne à coup de trucs light faits maison et d’abdos-fessiers… alors que nous étions nombreux.ses à trouver combien c’est formidable de trainer en survêt’ et de ne plus avoir à se maquiller et à porter de soutif. Nous avons commencé à prendre le temps de regarder nos poils pousser. Et même de s’en étonner. Des pratiques body-positive devenant mainstream. Pas mal. Vraiment.

Mais on en a eu aussi un peu marre de traîner en pyjama, de s’admirer et d’apprendre à s’aimer sans maquillage et avec plus de cellulite. Finalement est apparu le challenge « Don’t rush », créé en Angleterre par des étudiantes afrodescendantes, où d’un coup de pinceau, on passe comme par magie du pyjou à la tenue de gala et au make-up de folie. Et on fait tourner le challenge aux copines. Petit coup de boost pour l’ego. Et so what ? Ça fait du bien aussi au moral. Même les soignantes l’ont repris. Et ça fait du bien surtout de pouvoir choisir, de montrer qu’aucune femme n’est négligeable, que nous sommes toutes belles, mais chacune à sa manière.

Et c’était franchement formidable de voir toutes les minorités et corps dissidents s’approprier le challenge : les butchs, les filles en chaises roulantes, les filles voilées, les grosses, les femmes du monde entier, et même les actrices de Orange Is The New Black, se sont mises sur leur 31 en nous lançant des regards provocateurs et malicieux… pour notre plus grand plaisir… J’espère que de tout ceci, les plus privilégiées d’entre nous qui aurons eu le temps et la possibilité de travailler sur nous-mêmes et nos représentations, aurons appris à être plus bienveillantes vis-à-vis d’elles-mêmes, à s’aimer sous différents aspects et que nous tomberons un peu moins dans les pièges des diktats de la mode et de la société occidentale hétéro-patriarcale et de leurs injonctions de beauté, et de là, que nous jugerons moins nos sœurs.

En ce moment : On Riots, Grief and Parties, au MACBA (Barcelone)
À venir : C*NSORSH*P, à la Galerie &co119 (Paris)

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Alexia Fiasco

© Alexia Fiasco
© Alexia Fiasco
© Alexia Fiasco
© Alexia Fiasco
© Alexia Fiasco

Passage Haguette.⁠
Le 8 mai 2020, Saint Denis.⁠

Plus que deux jours avant le début de la fin du confinement.⁠

Erdal est inquiet. Il aurait aimé rester dans cette bulle pour toujours.⁠

Quand on t’enferme parce que t’es un militant kurde en Turquie.⁠
Quand on t’enferme parce que tu traverses à la nage la frontière grecque.⁠
Quand tu t’enfermes parce que t’as pas tes papiers en France.⁠
Le confinement, tu connais bien. ⁠

Quand il n’est pas au foyer, il a l’habitude de squatter l’appart du passage Haguette où il n’y a jamais personne.⁠
Sauf ce premier jour de quarantaine. ⁠
Deeqo, est là. Il ne la connaît pas.⁠
Deeqo est une ex-réfugiée somalienne de nationalité suédoise.⁠
Elle parle anglais comme une Américaine. Elle parle fort.⁠
Deeqo a chopé le corona.⁠
Deeqo a claqué la porte en laissant les clés à l’intérieur de l’appart.⁠
Mais Deeqo est marrante et deviendra son amie.⁠

C’est la pote de l’une des meufs de la coloc d’à côté.⁠
Entre les deux apparts, son rire résonne et fait passer le temps plus vite qu’il n’aurait dû.

En ce moment : The Time Is Now, vente au profit des luttes antiracistes organisées par Paper Journal et Galerie Number 8.
À venir : Fotografia Europea, à partir du 17 octobre (Reggio Emilia, Italie)

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Julia Grandperret-Motin

Avril 2020 © Julia Grandperret-Motin
Avril 2020 © Julia Grandperret-Motin
Avril 2020 © Julia Grandperret-Motin

Avril 2020

Cette période est pour moi un véritable appel au lâcher-prise et à la contemplation. Se retrouver face à soi-même. En lutte quotidienne pour calmer cette petite voix qui nous impose d’être productif, de « mettre à profit » ce temps ; qui n’est en fait que possiblement une pause, un temps de réflexion. Découlant surtout d’un état anxiogène, de crise. 

L’action, la pression et le mouvement tentent de laisser place à l’oisiveté, au flottement, et à l’acceptation de l’incertitude. J’ai la chance de pouvoir penser et intérioriser ce moment dans un cadre naturel, devant la mer, constamment présente. Animée uniquement par la marée et le ressac. Cette série vient d’un rituel qui consistait à prendre la même pièce, la même vue à des heures différentes. Encore et encore ! La contemplation et la patience étant à l’ordre du jour…! J’espère aussi offrir un peu d’embruns, d’air, de beauté et de douceur à ceux bloqués dans les villes.

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Chloé Sassi

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Été 2019⁠ © Chloé Sassi
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Été 2019⁠ © Chloé Sassi

Ce n’est pas une photo de confinement, c’était l’année dernière mais c’était un peu pareil parce qu’on était déjà confinées entre nous dans ce phalenstère merveilleux, quatre femmes, un chat, la petite fille de Wendy, et puis cette beauté dans tous les recoins.

Là-bas c’est une zone suspendue, une brèche, j’y reviens souvent en rêve, c’est le type d’espace qui te redonne la foi dans l’harmonie du monde, qui te fait comprendre qu’en fait ce que tu cherches existe, et c’est juste ici, là, autour. Il y a ces nymphes qui courent partout toutes nues dans un château dissolu. C’est l’été, tu as tes rotules rôties par le soleil, aucune pollution sonore, visuelle, juste le sentiment d’un présent permanent.⁠

Alors de temps en temps ces jours-ci quand j’étouffe je me projette là-bas, je m’y déploie en pensée. Il y a des endroits comme des images-refuge, et déjà savoir qu’ils existent c’est pouvoir les habiter un peu. Que cette vision vous en donne un petit goût et invoquez les vôtres.

A venir : Libre collectif aux éditions Le Rayon Vert
Première exposition de Lusted Men
TAKE CARE Festival aux Magasins Généraux (Pantin) les 18, 19 et 20 septembre.

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