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Surdouée de la techno, u.r.trax a tout pour devenir une légende

Surdouée de la techno, u.r.trax a tout pour devenir une légende

Elle pourrait être l’héroïne d’un roman. À 18 ans seulement, u.r.trax joue dans les meilleures salles d’Europe et fait partie des line-up les plus excitants. Le respect qu’inspire son parcours précoce se renforce à sa rencontre : l’artiste exprime un sens politique aigu, déterminée à créer du collectif à travers la musique et la nuit. 

Mon identité est politique, j’ai envie de la faire exister » résume-t-elle, comme un credo, au cours de notre entretien. En 2020, on classait u.r.trax parmi nos artistes à suivre. La pandémie a repoussé à plus tard la reconnaissance de ce talent mais depuis que la fête a repris, la jeune DJ enchaîne les dates et les belles sorties, comme son single « Atom Heart » sur le très reconnu label Trip de Nina Kraviz ou encore l’EP U R Tra$h ! chez Lobster Theremin. Pendant la fashion week, on a aussi aperçu sa fine silhouette brune défiler chez Coperni. Vendredi 11 mars, elle organise la première édition parisienne de sa soirée Under Rave, qui propose de réunir « les artistes de demain avec une vision alternative de la musique électronique ». Tout l’indique : u.r.trax est en piste, dans la cour des grand·es et pour longtemps. Pour mieux comprendre la philosophie de ce petit oiseau de nuit qui s’est imposé si vite, on lui a posé quelques questions sur ses ambitions.

Early bird

Inès Boullant (son vrai nom) a commencé la musique à 4 ans par la batterie, avant de s’emparer d’autres instruments, dont le piano et le saxophone. La jeune femme s’initie progressivement au monde de la nuit qui l’attire pendant ses années lycée. À 14 ans, elle entre au mythique Tresor, et c’est à peu près la même année qu’elle s’initie à la MAO, comme le raconte ce long portrait publié l’année dernière dans Trax. YouTube, Discogs et les documentaires lui permettent d’étancher sa soif de connaissance sur les musiques électroniques. Elle commence à mixer à 16 ans. Assise sur le canapé de AMS Booking, son tourneur, elle se rappelle ses premiers pas : « Forcément au début mes parents étaient inquiets parce que, de l’extérieur, c’est un milieu qui peut faire peur, et de l’intérieur aussi, je comprends. » Elle vaincra les a priori en leur partageant sa passion : « Maintenant ma mère vient avec moi quand je fais une date à Paris. Elle kiffe vraiment la techno, je lui ai fait aimer. » Avant d’être le nom de ses soirées, Under Rave est son manifeste, la somme de ses premiers émois techno, les impressions décryptées de ses premières sorties. 

Je n’aime pas me définir comme ça, mais je reste une meuf queer racisée. Je sens que j’ai le devoir d’exister pour les autres meufs qui ont envie de faire de la musique.

u.r.trax


Pourtant, au tout début, u.r.trax ne se rêvait pas DJ : « Avant de mixer, je voulais surtout organiser des soirées. » Une envie qui l’amène à travailler à l’accueil artiste chez Possession en 2019, expérience qui lui permettra de parfaire sa culture techno et découvrir l’envers du décor : « Ça m’a surtout appris que ce n’était pas facile de faire des soirées. » Elle y fait la rencontre déterminante d’Hector Oaks, qui signera son EP Fear Enough sur son label, et de Sentimental Rave qui devient une sœur d’armes de platines. C’est avec elle que u.r.trax a partagé l’affiche de la toute première date Under Rave à Rouen : « Il y a eu vraiment un coup de foudre amical, et puis musical. D’habitude je n’aime pas trop faire des b2b, par exemple je ne voudrais jamais en faire avec un mec. Mais avec elle tout est à part égale, et ensemble on fait des choses qu’on n’aurait jamais faites en solo. » 

Mais depuis sa découverte de la nuit, la compétition qui peut faire rage entre orgas et artistes est venue aiguiser le regard de la jeune femme sur le milieu. « C’est malheureux parce que je suis super jeune et ça ne fait pas quinze ans que je fais de la techno » observe-t-elle, avant d’enchaîner sur une note très déterminée : « Ces désillusions créent aussi beaucoup d’espoir et d’envie. Avec le chemin que je parcours, en comparant les expériences, je me demande ce que je pourrais faire pour changer les choses. » Sa hantise, c’est « l’esprit requin » comme elle l’appelle. « Moi, encore plus en ce moment, je veux juste être entourée de personnes qui sont dans un bon esprit. C’est ensemble qu’on fait des choses, pas en se tapant sur la gueule. » 

Projets tentaculaires

Le pendant de ce rejet, c’est l’envie de rencontrer et porter la génération d’artistes à laquelle elle appartient. « Il y a plein de headliners très talentueux·ses mais il faut aussi trouver un espace pour celles et ceux qui ne remplissent pas des salles de quinze mille personnes. Il y a des pépites partout et le but c’est de les faire croquer autant que possible » expose-t-elle.

Le line-up de la première parisienne d’Under Rave incarne pleinement son idéal : à l’affiche, on retrouve les jeunes pousses Unklevon, Vel et Eloi, mais aussi le producteur très en vue Schacke, basé à Copenhague. Au diapason des revendications de l’époque, u.r.trax fait appel à Act Right pour assurer le côté prévention des violences sexuelles. L’artiste veut faire les choses dans les règles de l’art, ou plutôt renouveler les règles du jeu. Elle rêve aussi de développer une scénographie sur mesure pour ses nuits : « Ça m’intéresse de ramener du ludique dans l’expérience de la teuf. » D’ailleurs, la DJ nous cite sans hésiter le joyeux crew des Sœurs Malsaines comme collectif inspirant de la scène parisienne. « Elles ont une bonne approche des choses » commente-t-elle.

Sur Instagram, son avatar est une petite pieuvre rouge, emblème dessiné par son amie Félicie Billionaire, que l’on retrouve aussi sur les visuels d’Under Rave. « Ce sera notre mascotte. Ça annonce des trucs. Là j’organise des soirées, mais peut-être que je vais monter un label ou d’autres choses plus tard… Ce n’est que le début en tout cas » explique-t-elle, espiègle. La collaboration et l’idée d’une aventure commune font néanmoins partie intégrante de la manière dont elle envisage sa carrière : « Au-delà de toutes ces manifestations concrètes, ce qui m’intéresse c’est de rencontrer de nouveaux et nouvelles artistes qui me font kiffer, et faire des choses ensemble. »

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Ambition, intégrité et discipline 

À fond dans sa lancée, u.r.trax ne s’arrête jamais vraiment… au point que l’auto-régulation est un sujet d’auto-dérision et de création. Le titre de son dernier EP le raconte : « Quand j’ai fait cet EP l’été dernier, j’étais dans une phase de self injonction. L’idée avec U R Tra$h !, c’était de retourner la pression que je me mettais. C’est pour ça que j’ai demandé au graphiste de faire un doigt qui pointe vers soi, pour dire you are trash, stop, be proud. » C’est après avoir produit ces cinq morceaux aux titres évocateurs (« Dying Generation », « Race Against the Time »…) que l’artiste a pu déchiffrer sa propre énigme. Au quotidien, le yoga et le développement personnel font partie de la routine pour canaliser son énergie créatrice et ses doutes. Pendant le confinement, u.r.trax confie avoir mixé chez elle au moins trois heures par jour pour apaiser une crise de légitimité, de syndrome de l’imposteur : « Je struggle up toujours avec ça, mais j’ai des mécanismes pour passer au-dessus, notamment travailler. »

© Tony Grenes

C’est parce qu’elle a été inspirée par des artistes comme VTSS – « Quand je vois où elle en est, je me dis que dans dix ans elle aura fait péter tous les plafonds. Elle dans un super bon esprit, toujours à vouloir donner de la visibilité aux autres » – que la prodige de la techno française est déjà très consciente de sa responsabilité. « Je n’aime pas me définir comme ça, mais bon c’est la société qui le veut : je reste une meuf queer racisée. Je sens que j’ai le devoir d’exister pour les autres meufs qui ont envie de faire de la musique. Moi ça m’a aidée de voir des filles faire des choses. » En matière de figures d’inspiration hors musique, elle cite deux femmes très politiques (« de l’ancien monde ») : Angela Merkel (« c’est un peu la honte, mais c’est vrai ») et Hannah Arendt. À rebours d’une époque qui demande des prises de position quasi quotidiennes, elle préfère taire ses opinions la plupart du temps et dit facilement préférer l’action : « Je préfère agir silencieusement que de m’exprimer bruyamment avec rien derrière. » 

D’ailleurs, le programme de 2022 est déjà bien chargé, avec un ou plusieurs EP à venir (suspense) et surtout une version live qui se prépare : « J’aimerais proposer un album, pour imposer quelque chose de moi en tant qu’artiste, faire un live et apprendre de nouvelles techniques. J’aurai bientôt un coach vocal. » Avec sagesse, mais ce qu’il faut d’impatience pour confirmer sa fougue, elle conclut dans un sourire : « Je ne me donne pas de date butoir pour l’album, j’ai envie que ça suive ma temporalité intérieure, d’attendre que ce soit le bon moment, mais… bientôt. » 


Under Rave
w/ u.r.trax, Schacke, Eloi (live), Unklevon (live) & VEL
Vendredi 11 mars au Trabendo

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