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Simo Cell : « Je me méfie du système et de la formule »

Simo Cell : « Je me méfie du système et de la formule »

C’est indéniablement l’un des producteurs les plus intrigants de sa génération. Rencontre avec Simo Cell, à l’occasion de sa venue au festival Le Bon Air.

En accompagnant depuis plus d’une décennie les évolutions de la scène électronique française, qu’il participe à déterminer et façonner, le Nantais est une permanente surprise et un inclassable expérimentateur. Ayant travaillé avec des labels tels que BFDM ou Fragil Musique, mais aussi avec les britanniques Livity Sound, Timedance ou Wisdom Teeth, il ne se prive pas d’influences internationales. À l’occasion du festival Le Bon Air, qui a lieu du 11 au 12 août à Marseille, il nous a parlé de son prochain opus YES.DJ, de son label TEMƎT, de son engagement écologique et de son envie de changer un système vieillissant.

Manifesto XXI – Salut Simo Cell, tu vas jouer au festival Le Bon Air à la Friche Belle de Mai. Est-ce que tu viens souvent à Marseille ?

Simo Cell : J’aime Marseille. J’y viens parfois parce que j’ai pas mal de potes qui habitent ici, de plus en plus d’ailleurs. Il y a plein de gens de ma scène qui y sont, comme Dizonord par exemple.

Peux-tu nous parler de ton mini album YES.DJ, qui sortira le 21 septembre 2021 (disponible en précommande sur Bandcamp ici, ndlr) ? Qu’est-ce que tu y racontes ? Le visuel sonne très rave, il rappelle l’expo de flyers par Dizonord qui a lieu justement en ce moment à Marseille…

Oui c’est vrai, il y a un côté rave 90’s dans ce visu. Le smiley au milieu est un token, un ticket boisson d’un festival londonien. Avec cet EP, je vais sortir un fanzine qui est en fait une collection de tickets boisson. C’est une longue histoire : à la fin de chaque teuf, je me retrouve avec des tickets boisson dans les poches. Je me suis mis à les collectionner et je les ai gardés dans une banane. Un jour, alors que je n’avais pas de compte Instagram, je me suis dit que je pouvais troller le réseau en créant un compte où je ne posterais que ces petits bouts de papier. Ce truc a bizarrement pris, j’ai même reçu des demandes de promoteurs de soirées pour mettre leurs tickets boisson en avant.

YES.DJ, pochette © DR.ME

Le compte s’appelle Drink Ticket Selector. Depuis, il m’est arrivé qu’en soirée on me file des tickets boisson conçus exprès pour moi pour que je puisse les reposter. Aussi bizarre que ça puisse paraître, je suis devenu un influenceur en la matière (rires). Je me suis pris au jeu, c’est devenu une obsession : je suis triste quand on ne me donne pas de tickets boisson en soirée (rires). Le disque que je sors en septembre a une esthétique très club en effet, et comme je ne savais pas trop si les clubs allaient être ouverts, ça me tenait à cœur de trouver quelque chose qui créait du lien, une histoire autour.

Qu’est-ce qu’on pourra trouver dans ce fanzine ?

Notamment des textes de potes sur ce qu’est leur rapport à culture club, aux soirées, surtout compte tenu du contexte actuel.

J’ai fait le deuil du « quand ce sera comme avant », je pense que pas mal de choses vont changer. Ça fait un an et demi, et les signaux de reprise sont toujours très fragiles.

Simo Cell

YES.DJ est un EP nostalgique ?

Non, je ne crois pas. C’est plutôt l’aboutissement de quelque chose. J’ai fait le deuil du fait que ça ne sera plus comme avant, je pense que pas mal de choses vont changer. On l’entend beaucoup ce « quand ce sera comme avant… » : ça fait un an et demi, et les signaux de reprise sont toujours très fragiles. Donc non, pas de nostalgie. J’ai mis du temps à écrire ces morceaux, certains remontent à 2018, d’autres ont été écrits pendant le confinement… Je voulais produire un EP vraiment réfléchi, parce que j’avais le temps et l’envie de sortir de cette injonction à produire des choses tout le temps, à être dans la quantité. Je me suis dit que si des morceaux écrits en 2018 me plaisent toujours, ils ont peut-être plus de chances de résister à la patine du temps.

© Brieuc Weulersse

Je me suis aussi beaucoup posé la question du rapport au club, qui est mon background. Est-ce que ça faisait toujours sens de sortir une musique club alors qu’ils sont fermés ? C’est une musique qui est physique, qui existe par les fréquences basses, et parce qu’on l’écoute avec d’autres personnes ; il y a une dimension collective. J’ai décidé d’assumer ce truc jusqu’au bout et de jouer avec tous les codes de la culture club. Dans ces six morceaux, j’ai pris tous les styles que j’adore jouer en club et j’en ai fait ma tambouille.

Ce serait con après une période comme ça de tout refaire comme avant.

Simo Cell

Le 22 juin 2020, tu as écrit une tribune dans Libération pour prôner un changement de paradigme écologique dans le métier de DJ. Est-ce que quelque chose a changé depuis ?

Déjà, ce qu’il faut dire, c’est que c’est un combat de longue haleine. On met du temps à sortir de ses patterns. On a tellement de mauvaises habitudes et on ouvre les yeux tellement tard… Après cette tribune, j’ai eu beaucoup de retours positifs, notamment celui d’Anetha, une DJ techno qui a une énorme aura. Mais dans l’échelle alimentaire des DJs, plus on monte et plus c’est compliqué. Je me prends des réflexions parfois, alors que la tribune n’avait pas pour but de pointer du doigts les mauvaises pratiques, on en a tous·tes. Je voulais questionner ma pratique et voir comment à mon échelle je pouvais faire la différence, même si j’ai conscience d’avoir une position un peu privilégiée en tant qu’artiste, qui me permette de prendre ces décisions. La prochaine étape pour moi est de partager mon expérience et de montrer comment ça se passe sur le terrain. Il y a un gap entre la théorie et les faits, et maintenant que je mets tout ça en pratique, je me rends compte à quel point c’est compliqué, et très important de le partager.

Je suis conscient qu’actuellement, le secteur culturel est le premier à subir les fermetures, et qu’on a besoin de faire des dates et de voir son public. On n’a pas de visibilité sur l’avenir et c’est difficile d’organiser des « tournées durables » : si j’ai envie de rester un mois aux États-Unis par exemple, pour pouvoir faire plein de dates, il me faudrait au moins six mois de visibilité qu’actuellement je n’ai pas du tout ! À mon niveau, je n’ai pas encore trouvé la bonne formule mais je teste : je tente de prendre moins l’avion, je privilégie le bus quand je peux… mais ça peut être compliqué et devenir une source potentielle de stress.

Dans la tribune, tu parlais aussi de la starification des DJs. Tu crois que cela va changer ?

Je ne peux pas vraiment me prononcer. Ce que je peux dire, c’est qu’économiquement, je pense que ce ne sera plus vraiment viable. Ce sera de plus en plus coûteux de se déplacer et d’être programmé·e, avec la hausse du cours du pétrole, entre autres problèmes. À quel moment certains comportements vont-ils simplement devenir ringards ?

Logo du label TEMƎT

Peux-tu nous parler de TEMƎT, ton nouveau label ? Quand est-ce que tu as senti que c’était le bon moment pour se lancer ?

Cela me faisait super peur de lancer un label compte tenu de la charge de travail. Mon manager m’a encouragé, notamment en argumentant que je deviendrais plus indépendant, qu’un label permet de créer toute une équipe autour de soi, que c’est aussi un moyen de découvrir des nouveaux talents… Un label, c’est un univers artistique à part entière. Le déclic est peut-être venu de Judaah, le boss de BFDM : je voyais comment il aimait avoir son propre label. Il est épanoui, il a sa team, dont je fais partie ; quand on tourne, il y a une ambiance de colonie de vacances avec OKO DJ, J-Zbel et les autres… En 2018, j’ai commencé à traîner avec Low Jack qui avait lui aussi son propre label, Gravats. Il était complètement investi et passionné. Les deux m’ont inspiré et donné envie.

Pour rester intéressant·e en tant qu’artiste, il faut toujours se remettre en question et en difficulté.

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Simo Cell

Quels sont tes projets en cours et à venir avec TEMƎT ?

En septembre, la sortie de YES.DJ. Récemment, j’ai aussi sorti un EP avec Elise Massoni. C’était une position différente, une sortie concept avec une vidéo. L’idée était de sortir de l’aspect uniquement musical pour développer une vision pluridisciplinaire. À la rentrée, je vais sortir les disques des newcomers du label, avec la volonté de pousser de jeunes talents. D’ailleurs ce sont des gens de la région de Nantes, et j’en suis très heureux.

Avec le label, j’ai envie de travailler avec des danseur·ses, de la vidéo, de créer des spectacles un peu différents pour que ce soit un vrai laboratoire créatif. Je suis convaincu que pour rester intéressant·e en tant qu’artiste, il faut constamment se remettre en question et se mettre en difficulté. Je me méfie grave du système et de la formule : dès que je trouve une formule qui marche, je l’utilise un temps, mais après j’essaie de m’en éloigner parce que c’est là qu’on devient rigide, moins intéressant·e, moins créatif·ve. Il y a cette idée de partir, d’aller voir ailleurs, de se mettre en danger, réellement.

Tu t’intéresses aussi à l’intelligence artificielle et tu produis aussi avec ça…

Oui, il y a plusieurs logiciels, plein de plug-in qui sortent, comme Magenta de Google. Ils analysent des banques de données qui contiennent des millions de morceaux. L’IA traite ces banques de sons harmoniquement et génère des pistes, des partitions, des rythmiques ou des mélodies. Parfois c’est horrible, parfois c’est génial. Le travail de producteur·rice devient celui d’un·e D.A., où tu viens choisir ce qui t’intéresse. Ce sont autant de choses qui me donnent envie de tester et d’expérimenter avec les IA, surtout pendant cette période : c’est un peu bête de s’arrêter un an et demi pour vouloir à tout prix refaire la même chose qu’avant. Il y a aussi Vocaloid, un logiciel japonais de synthèse vocale. C’est vraiment l’ordinateur qui chante, ça ne remplace pas la voix humaine mais ça crée une nouvelle esthétique. Vocaloid a lancé des stars virtuelles au Japon, comme Hatsune Miku. C’est un concept difficile à saisir en tant qu’Occidentaux·les : nous avons un rapport au réel avec une dualité corps/esprit très christique, alors que les Japonais·es sont animistes, il y a beaucoup moins de barrières à aller supporter un hologramme. J’aime beaucoup la perception du réel que tu peux avoir avec l’animisme.

J’ai envie de conclure avec une question sur une notion qui m’a l’air importante pour toi : l’hybridation. Comment ce concept te nourrit-il ?

Je pense que dans la grande ruche humaine, il y a différents profils. Certains profils sont plus conservateurs, d’autres plus dans la destruction créatrice. Il n’y en a pas un type qui est mieux que l’autre, les deux sont nécessaires. Il faut pouvoir innover tout en protégeant le patrimoine. Mais personnellement, je n’ai jamais été attaché aux traditions, aux rites ; je veux chercher la difficulté, remettre en question, explorer. Mélanger les codes à ma sauce. Au fond, c’est l’idée des interstices, de créer des niches. Je pense que plus on développe une vision singulière, plus on a de chances de s’affranchir des modes et de faire perdurer son œuvre.


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Image à la une : © Brieuc Weulersse

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