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Posh Isolation, label du romantisme éternel

Posh Isolation, label du romantisme éternel

Posh Isolation, label danois, voit le jour en 2009. Peu présents au niveau médiatique, ils sont pourtant une ressource précieuse pour les auditeur·ices en quête d’expérimentation qui se fait tout en douceur. Quels sont les ingrédients du succès de ce label, qui vit secrètement depuis plusieurs années ?

En arpentant les pages interminables d’une recherche lancée concernant Posh Isolation, on récolte peu d’informations. En plongeant plus loin, quelques interviews tentent en vain de déceler l’ambition des deux fondateurs, Christian Stadsgaard (Vanity Productions) et Loke Rahbek (Croatian Amor). Le moins ils en disent, le mieux c’est, à la grande frustration de l’auditeur·ice. Ou peut-être ne veulent-ils que notre bien ? Loin de la hype et de la pollution numérique, ils laissent planer le mystère pour pousser à la contemplation sonore. Un pari risqué dans une époque où chaque projet musique doit être soutenu par une stratégie marketing bien ficelée. Mais le label danois tient bon : plus de dix ans plus tard, leurs sorties fonctionnent toujours autant. 

Posh Isolation, une grande famille nordique

Si la musique se fait partout, il y a des villes phares qui dynamisent les sorties d’aujourd’hui. On citera Londres, Paris, New York, Berlin en priorité. D’autres villes se font connaître pour leurs scènes spécialisées, telles que Manchester dans la UK club music ou l’indie rock, Nashville pour la folk, Seattle pour l’alternative rock, et ainsi de suite. Pour les aguerri·es de la musique, Copenhague se distingue aussi des autres, mais plus en subtilité. Ce n’est toutefois pas pour ses lieux florissants, ni pour une scène précise, mais plutôt pour son énergie. La scène locale attire par une puissance magnétique presque indéchiffrable, qui se manifeste dans les œuvres de Posh Isolation, mais aussi par l’union des acteurices de la scène locale comme Scandinavian Star, Varg²TM, Puce Mary, Vanessa Amara, et Yen Towers. 

Les fondateurs du label : Christian Stadsgaard et Loke Rahbek.

Cette unicité est possible grâce aux dispositifs mis en place par les deux fondateurs du label. Avec les années, ils ont ouvert leur porte à plus d’une trentaine d’artistes scandinaves cherchant un avis, du soutien, ou un nouveau toit sous lequel produire. Posh Isolation, rassemble des projets sonores qui ne se ressemblent aucunement. Cela pourrait s’expliquer par le fait qu’ils se ressemblent dans leur différence. Selon Statista, la pop et le rock étaient les genres favoris des danois·es en 2020. Moins de 10% des sondé·es apprécieraient la art music, ou tout ce qui relève du contemporain. Un élément primordial pour justifier le rassemblement de tous ces artistes sous le même label : une envie de porter une vision de la musique au-delà de ce qui se consomme. 

Les mécanismes d’une révolte silencieuse

Dans une interview avec le média Vice, publiée en 2014, Loke Rahbek, l’un des fondateurs, sort de l’ombre pour expliquer qu’« une œuvre suffisamment forte est capable d’exprimer un point de vue sans avoir à la commenter ». Ce qui pourrait être perçu comme de la timidité est finalement un geste bien mesuré : les membres de Posh Isolation ne voient pas l’utilité de parasiter nos systèmes d’information si leurs œuvres parlent d’elles-mêmes. Le secret se cacherait peut-être même dans le nom du label : ce projet sera celui de l’isolation potentielle des mécanismes de l’industrie de la musique. Une industrie qui prône de plus en plus la production et non la création. L’emploi du terme « posh » symboliserait non pas un snobisme matériel mais symbolique. Iels se paient le luxe de trouver d’autres solutions à leur visibilité et ascension de leurs projets. Artistes, mais élégamment révolté·es. Nous avons ici un bel exemple d’une entité qui prône de faire les choses différemment ; et celui-ci dure dans le temps. La vision de Posh Isolation s’inspire également des développements durables qui font la renommée de la logistique urbaine de la ville. Posh Isolation, c’est aussi bien un statement politique et écoresponsable : nul besoin de polluer si l’urgence ne se présente pas.

Ensuite, il y a l’importance du DIY dans les visuels des créations éditées chez Posh Isolation, ce qui les rend reconnaissables parmi tant d’autres. Deux aspects prédominent dans leurs œuvres visuelles : l’intimité et le collage. Les pochettes de Posh Isolation nous plongent dans la vie privée de leurs auteur·ices. Souvent, une photo aux couleurs neutres met en scène un détail corporel anonyme, ou un mouvement, un corps en action. Les images sont symboliques d’introspections, les personnages étant souvent seuls et rêveurs. 

La pochette chez Posh Isolation est aussi un lieu de collage. Parfois, les visuels s’ornent de plusieurs éléments minimalistes qui font l’identité du label. Un flou artistique agrémenté d’un lettrage fin. Une calligraphie subtile au-dessus d’imagerie d’évasion, évoquant une nostalgie omniprésente. 

La correspondance entre visuels et sons est systématique. Selon les fondateurs, il faut que chaque projet mis en avant ait une cohérence avec le reste. Il y a donc aussi une envie de pousser la musique hors du champ sonore et d’en faire un projet artistique au sens large. Encore une fois, rien d’étonnant pour un label de Copenhague, ville qui cultive le design, la mode, la cuisine, et l’architecture. Les membres de Posh Isolation sont artistes avant d’être musicien·nes; l’union de leurs divers talents devient une force qui fait durer leur philosophie dans le temps.

Prôner la sensibilité : un mouvement mondial d’éternel romantisme

Puis, il y a le message même porté par la musique que produit Posh Isolation. En 2016, Electronic Beats s’essaie à l’exercice d’interviewer Loke Rahbek. Étonnement, les échanges évoquent très peu la musique. Au lieu de ça, Sophia Rotas et lui parlent de bonheur, ses répercussions, et comment rester heureux·se. Loke Rahbek, tout aussi sensible que ses créations, dit être heureux, car le soleil brille et les fleurs éclosent. Banal, penseront certain·es. Puissant, diront d’autres. Aujourd’hui, très rares sont les artistes qui explorent les choses simples qui participent à notre bien-être. 

oqbqbo & Scandinavian Star « Dandelions »

Toutefois, en creusant plus loin, ces propos ne sont pas anodins venant d’un Danois. En 2022, une étude statistique établit que le Danemark est le deuxième pays le plus heureux au monde, juste après la Finlande. Les études sont basées sur les résultats dans six domaines : le PIB, la sécurité sociale, l’espérance de vie, la liberté de choix et d’expression, la perception de la corruption présente dans le pays, et la générosité de la population.

Selon ces mêmes statistiques, le Danemark devance la Finlande au niveau de la générosité des habitant·es, PIB par habitant·e, et de la sensation de corruption. Il fait bon vivre dans le nord, parce que les éléments sont rassemblés pour faciliter le bonheur de la population. Mais il semblerait aussi que la quête de bonheur soit une priorité. C’est quelque chose que les membres du label intègrent, tel que nous pouvons le voir dans les projets de Varg2TM, oqbqbo, Scandinavian Star, Puce Mary, Schacke, ou encore Age Coin.

Le bonheur est symphonique. Les projets de Posh Isolation se reconnaissent indistinctement par leur énergie exaltante. Les productions, souvent d’électronique atmosphérique ou ambient texturée, saturent nos esprits et pour faire vibrer nos cœurs d’un trop-plein de sentiments. Il y a quelque chose de l’ordre du céleste qui s’y présente : comme si chaque écoute souhaitait nous mettre en apesanteur. Les productions sont cryptiques, coupées, parfois inabouties. Habituellement, les artistes comme Vanessa Amara, CTM, retournent vers les sons plus organiques de leurs instruments. Chez Posh Isolation, l’instrument classique cohabite avec la musique électronique, faisant le pont entre deux mondes qui occasionnellement s’opposent. 

Les membres du label aiment ajouter des bribes d’enregistrements sonores poétiques pour soutenir leurs visions de vie, ou leurs états d’âme. « Data Carriers » de KYO (à ne pas confondre avec notre groupe national), « The Sea Is Treacherous And Bountiful » de Internazionale, « Music For Breakups » de Varg²TM et MorningStar, ou encore « Hello » de Frederik Valentin et Fine Glindvad sont de très beaux exemples de cette approche.

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Si ce ne sont pas des enregistrements, ce sont des voix aux réverbérations célestes. Alternativement, les paroles sont indistinctes, ou parsemées d’un grain qui leur donne l’aura d’un message venu d’ailleurs. Un message bienveillant qui sera notre guide. Dans ce cas, le bonheur ne se présente pas uniquement sous forme d’endorphines. Les artistes de Posh Isolation usent de leur médium comme un journal intime ouvert, ou tout potentiel désespoir est exploré ou analysé. Le malheur, selon eux, n’est pas opposé au bonheur, mais plutôt un outil pour mieux y accéder : toute plaie peut guérir.

De plus, on apprend de ses douleurs. Le dernier album de Croatian Amor, Remember Rainbow Bridge (2022), illustre cette philosophie. Le producteur lègue ce LP à son enfant adolescent, afin de lui expliquer cette étape si importante dans la vie d’un être. C’est le moment de la bascule vers l’âge adulte, où les émotions se chamboulent parfois au point qu’on ne puisse plus les gérer. Peuplée d’enregistrements et de moments de latence, cette œuvre retrace les souvenirs de Croatian Amor pour mieux guider son enfant. Finalement, le malheur, tout comme le bonheur, est universel. En l’évoquant tout aussi naturellement que nos joies, la musique peut être un refuge vers lequel se diriger.

Aujourd’hui, si la « déconstruction » se fraye un chemin dans nos discussions, il est important de regarder dix ans en arrière pour réellement mesurer l’impact de Posh Isolation. La vulnérabilité se rend plus visible; la communication de celle-ci à travers la musique devient un moyen d’apaiser ses propres maux. Pouvoir créer avec le cœur sur la main est un phénomène assez récent, mais de plus en plus répandu. Aujourd’hui, ce thème s’explore dans des genres bien variés : dans les travaux ambient de Malibu ou Oklou, les flows des sadboys tels que Yung Lean, l’indignation indie pop de Gus Dapperton ou Girl in Red, pour n’en citer que quelques un·es.


Photo principale tirée des archives de Posh Isolation

Vous pouvez suivre le label sur Instagram, Facebook, ou Bandcamp.

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