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Malibu : puiser la créativité dans le chaos

Malibu : puiser la créativité dans le chaos

Le 9 octobre, la productrice Malibu échauffera la salle de la Gaîté Lyrique avant la performance de Lorenzo Senni. C’était l’occasion pour Manifesto XXI d’apprendre à connaître la jeune artiste française qui était dans notre radar depuis quelque temps déjà.

Autour de sa personne, plane le secret. Pourtant, la jeune musicienne joue sur tous les tableaux. Grande mélomane, sa résidence mensuelle sur la radio londonienne NTS, United In Flames, représente ce que Malibu sait faire de mieux : des collages musicaux mêlant vestiges du passé et sons du futur.

Le nom de son émission est d’ailleurs très révélateur de son œuvre. Dans le chaos et les flammes se trouve son inspiration. Pourtant, ses productions naviguant dans l’ambient sont propices à la rêverie. Malibu a besoin de mélancolie pour nourrir sa créativité. Délicats, aériens, poétiques, ses morceaux apaisent. Elle nous parle de ces contrastes dans cette interview qui nous laisse entrevoir un peu plus sur cette artiste dont le deuxième EP est en préparation.

Manifesto XXI – Hello Malibu, on commence par une question large : pourrais-tu nous évoquer tes premières amours musicales ?

Malibu : Je pense que l’aspect visuel de ma musique vient du cinéma et de films que j’ai vus petite et vers lesquels je reviens aujourd’hui. À l’époque je ne me rendais pas forcément compte de l’importance d’une bande-son, mais je vois aujourd’hui que je reviens vers certains films spécifiquement pour cela. Dans la bibliothèque de mes parents, je me souviens avoir choisi American Beauty à neuf ans. Je l’ai regardé parce que la couverture m’intriguait, et le film n’a pas déçu. Aujourd’hui, j’y repense et j’en conclus que c’est la bande-son qui instaure cette ambiance si unique au film, ça représente presque 50% du film.

La façon dont est perçue ma musique n’est pas de mon ressort, mais je sais que je fais toujours de la musique de façon imagée. À chaque fois que je produis ou que quelque chose m’intéresse, c’est qu’il y a eu une stimulation imaginaire dans ma tête. Il y a quelque chose qui se rattache au rêve, au daydreaming.

Ce sont des termes qui sont beaucoup évoqués lorsqu’on parle de ton travail. Ta musique, tes visuels, tout fait place à la rêverie et au mystère. Est-ce que l’adjectif « éthéré » t’inspire ?

Oui. Je pense que ma musique se rattache carrément à ce terme. Sans être une grande fan de fantastique, je trouve que ça s’y marie bien.

Il y a un autre aspect qui me semble important dans ton travail, la mélancolie. En 2017, tu figures sur la compilation mono no aware aux côtés d’Yves Tumor, James K, SKY H1, M.E.S.H… « mono no aware » est un terme japonais qui évoque le pathos passager, une tristesse en mode de vie. Cet élément est-il important dans ta création ?

Je dirais même que c’est le moteur premier de ma production. Pour être productive, je dois être mal. Ma créativité se déclenche lorsque je me retrouve dans ces états, avec ces émotions intenses, comme pour beaucoup de musicien·nes. De la même façon que tu peux te sentir euphorique et avoir envie de faire de la musique. D’un extrême à un autre, c’est l’intensité qui prime. Lors d’un passage triste, j’ouvre mon ordi, car j’ai envie que ça se ressente dans ma musique. C’est à la limite de la thérapie.

Après, c’est à double tranchant. Je me dis aussi que si je me suis habituée à faire de la musique dans ces états, c’est que je n’arrive pas à en faire sans. Parfois j’ai envie de m’éloigner de cette tristesse, donc je bloque les sentiments et je m’éloigne de l’ordi. Du coup, la musique vient de moments très spécifiques où je me sens apte à créer, à y déverser cette énergie et à être confrontée à tout ça. C’est compliqué.

Oui et cela se ressent. J’ai l’impression que tu fais surtout de la musique pour toi. Tout ce qui entoure le monde de la musique, c’est-à-dire la fame, la frénésie, ne semble pas t’intéresser ?

Pas vraiment, non. C’est intéressant. En ce qui concerne le rythme de l’industrie, vu que je produis lentement ou, du moins, rarement, je ne sais pas si je suis un bon investissement pour un gros label. Après, il faut se mettre en tête que tout ça ne veut rien dire. Il y a des bons groupes signés sur des gros labels qui ne sortent pas beaucoup de choses, ou peu fréquemment. C’est suffisant aussi, car quantité ne veut pas forcément dire qualité. 

Mais il faut se le rappeler, car la pression est constante. T’as l’impression que les gens sortent des trucs tout le temps. Tu te dis : zut ! je dois aussi rester d’actualité et sortir des choses, que ce soit pop ! Dans ces moments-là, je pense à tel·le ou tel·le artiste qui a sorti des choses il y a vingt ans et qui demeurent des références. Je préfère ça à cinq ans de fame, même si j’adorerais recevoir des cadeaux aussi (rires). Ça peut être attractif.

En tout cas, tu es hyper soutenue par tes acolytes de la scène française en essor, ou underground, comme tu le dis. Tu as également le soutien de Julianna Barwick, avec qui tu pars en tournée, on y reviendra. Quels sont tes conseils pour bâtir une réputation lorsqu’on n’a pas forcément envie de rentrer dans tous ces jeux ou que l’on est de nature timide ?

Je ne sais pas trop. Ma présence en ligne avant était l’inverse de ce qu’elle est aujourd’hui. C’était l’époque aussi, je vais dire « la belle époque », celle de Tumblr. Vers 2012, avec mes ami·es qui faisaient de la musique, on se parlait non-stop. Il y avait beaucoup d’excitation à connecter avec les gens, à se montrer, à partager. 

Malibu
© Malibu

Aujourd’hui, ça m’a épuisée. Ce n’est pas que je veux être mystérieuse. C’est juste que ça ne m’intéresse plus trop de montrer ma vie personnelle. Dans tous les cas, dès qu’on poste quelque chose aujourd’hui, les gens vont toujours le comprendre à leur façon, ça ne sert pas forcément de guider. 

Bref, ça va paraître évident, mais il ne faut pas hésiter à rester soi-même tout en explorant tous les styles musicaux. Explorez jusqu’à trouver votre son. Je suis passée par tellement de genres différents, mais il y avait toujours des éléments communs : je mettais toujours beaucoup de réverbération, jamais de percussions. Au bout d’un moment, tout devient plus clair. Il faut savoir ce que tu aimes, ou du moins ce que tu n’aimes pas. Mais là encore, si on veut passer du tout au tout, allons-y !

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Justement, en parlant de ça, dj lostboi est ton alias. Changer du tout au tout doit-il se faire à travers un alias pour se sentir libre d’explorer un tout autre genre ?

dj lostboi n’est pas très éloigné de ce que je fais d’habitude. C’était surtout éviter la pression de faire que des morceaux « originaux ». Au départ, c’était un soundcloud pour lâcher des edits ou des collages sonores. Aucun son n’est original avec dj lostboi : j’utilise des samples, des midi. C’est histoire de m’amuser un peu, d’être un peu moins cathartique. Ce n’est pas mon journal intime.


As-tu d’autres alias cachés ?

Belmont Girl sur youtube. C’est simplement des edits et loops de sons.

Cette multiplicité se projette-t-elle également dans ton approche professionnelle ? Est-ce que tu produis pour d’autres par exemple ?

Non, je ne produis pour personne. Par contre, j’ai travaillé avec la Suédoise Merely qui est la personnification du terme « éthéré » à 100%. Je l’ai aidée pour de la production additionnelle : ajouter un truc à un moment, proposer une idée d’intro ou outro. J’aime bien donner mon avis sur la structure d’un morceau. J’ai aussi collaboré avec Dark0. Il m’envoyait des textes à enregistrer en voix parlée ou chantée. Pour mon meilleur ami Detente, qui a joué la guitare sur mon premier EP, j’ai passé ma voix. J’aime beaucoup participer et me sentir utile. Ce genre de collaboration me fait du bien.

Une autre forme de collaboration s’est faite avec Julianna Barwick. Tu pars en tournée avec elle à partir de mai 2022. Comment s’est organisée cette tournée ?

J’étais aux États-Unis, et on s’est retrouvées au même concert où j’ai brièvement joué. Onze mois plus tard, elle m’a écrit un mail avec une proposition. Tous les ans, le label Joyful Noise Recordings fait une série de douze vinyles différents, chacun étant curaté par un·e gros·se artiste. Il y avait St. Vincent, Cate Le Bon, Mary Lattimore, David Lynch et, donc, Julianna Barwick. Ce label lui a donné l’opportunité d’épauler l’artiste de son choix en ayant son vinyle pressé sans coût additionnel. Elle m’a demandé et je ne pouvais pas dire non : c’était l’occasion de sortir mon premier EP One Life. Sinon je ne l’aurais jamais fait. En même temps que sortait ce vinyle, les amis du label new-yorkais UNO m’ont épaulée pour le marketing. C’est via ces deux labels que mon projet a pu prendre vie. Je suis honorée qu’elle [Julianna Barwick] me fasse confiance comme ça et qu’elle m’ait soutenue. C’est quand même une légende dans l’ambient.


En dehors de cette tournée, as-tu d’autres projets que tu aimerais évoquer ?

Je travaille sur mon deuxième EP, mais sans pression. Le 6 octobre, je fête aussi les cinq ans de mon show mensuel United In Flames sur NTS. C’est ma façon de rester d’actualité en partageant de la musique que je fais, que j’aime, d’avoir des invité·es qui m’inspirent. Pour cet anniversaire, ce sera la DJ suédoise Femi qui m’accompagnera. 


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