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Homosexuel·le·s dans l’Europe nazie, une exposition inédite

Homosexuel·le·s dans l’Europe nazie, une exposition inédite

L’exposition « Homosexuels et lesbiennes dans l’Europe nazie » documente l’oppression et la persécution des personnes queers pendant la période nazie. Fruit d’un important travail scientifique et de collecte d’archives, c’est une première au Mémorial de la Shoah, dans le 4ème arrondissement de Paris, visitable gratuitement jusqu’en février 2022.

Une seule salle pour retracer le parcours de milliers d’homosexuels et de lesbiennes qui ont été oppressé·es, condamné·es, déporté·es et parfois assassiné·es par le régime nazi. Si l’exposition laisse un  goût de trop peu, elle constitue une première incursion précieuse et inédite dans les études historiques sur cet épisode longtemps tu ou raconté avec imprécision en France. Pour commencer, il importe de donner des chiffres : la répression des personnes homosexuel.les dans l’Europe nazie c’est plus de 100 000 personnes queers fichées, 50 000 condamnées et environ 15 000 personnes déportées en camp de concentration.

L’homosexualité sous le Troisième Reich

Avant l’ascension du nazisme, de nombreuses lois européennes punissaient déjà les pratiques homosexuelles entre hommes. L’oppression des personnes LGBTQI+ par le régime nazi trouve son assise légale dans le fameux paragraphe 175 du code pénal allemand datant de 1871, lequel stipule que « les actes sexuels contre nature qui sont perpétrés, que ce soit entre personnes de sexe masculin ou entre hommes et animaux, sont passibles de prison ; il peut aussi être prononcé la perte des droits civiques ». Il ne sera abrogé qu’en 1994. Ce premier texte de loi servira donc au régime à organiser la répression et la condamnation des homosexuel.les qui se précisent dès 1933. Si le paragraphe 175, comme la plupart des textes législatifs européens, ne concerne pas les femmes lesbiennes, elles sont également victimes de discriminations homophobes et c’est à juste titre qu’elles sont incluses dans l’exposition.

Code pénal de l’Empire allemand du 15 mai 1871, @Mémorial de la Shoah

L’exposition au Mémorial de la Shoah insiste sur l’ambiguïté et les paradoxes du régime nazi vis-à-vis de son esthétique homo-érotique. Les valeurs virilistes et la camaraderie masculine étaient au cœur de l’idéologie nazie. Plusieurs hauts dignitaires, comme le chef des SA, Ernst Röhm, ou Hans Blücher étaient ouvertement homosexuels. Cependant, on vit d’un mauvais oeil ces rapports qui étaient interprétés comme le signe d’une dévitalisation de la société et en 1934, la nuit des Longs Couteaux et et l’assassinat d’Ersnt Röhm marquent un tournant. Les homosexuel·les sont alors éloignés et éradiqués du parti nazi. Cette croisade s’intensifie avec la fermeture systématique des lieux de rassemblement homosexuel, l’interdiction des magazines et le pillage de l’important Institut de sexologie de Magnus Hirschfled, un des pionniers du premier mouvement de libération homosexuelle, dont les écrits seront détruits sur les grandes autodafés de 1933.

Dans le temps long, des histoires minoritaires

L’exposition a pour mérite d’insérer cette histoire dans le temps long. Certes, les formes d’oppression varient et s’intensifient dans l’Europe nazie. Toutefois, au lieu de faire des répressions du régime hitlérien, une singularité et une aberration expliquée uniquement par l’inhumanité de la pensée fasciste, l’exposition met en évidence une certaine continuité dans la stigmatisation des communautés LGBT en Europe. Continuité légale notamment, en nous montrant comment les lois pénalisant les relations homosexuelles entre hommes ont été la norme dans l’Europe du XXème siècle, et surtout, comment ces lois ont préexisté et souvent survécu au Troisième Reich dans de nombreux pays. Ce qui constitue un parti pris essentiel à l’heure où des pays comme la Hongrie votent encore des lois homophobes, nous avertissant encore une fois de la fragilité des vies des personnes hors des normes de genre. 

Continuité également dans la mise sous silence des stigmatisations subies par les communautés LBTQI+, l’exposition revenant sur la difficulté d’établir une histoire des triangles roses (signe dont était marqué les déporté.es homosexuel.les) et le laborieux travail de mémoire et reconnaissance qui en découle. Dans les années 80, c’est l’association Act Up qui reprendra dans sa lutte contre le VIH le tristement célèbre triangle rose, inversé, pour dénoncer l’inaction et le désengagement meurtriers des pouvoirs publics vis-à-vis des communautés homosexuel.les largement touchées par la maladie.

Ce travail de recherche tend finalement à la levée des silences de l’Histoire ainsi que des voiles qui recouvrent ces histoires particulières, individuelles et intimes de ces vies marquées par les violences. La salle est en effet ponctuée de portraits et de récits de vie de personnes lesbiennes, gays ou non-conformes aux normes de genre qui ont traversé cette période nazie avec douleur, sans même parfois y survivre. Loin de tout schématisme, ces encarts assurent une large inclusion au sein du récit de l’exposition et ouvrent le visiteur aux infinies nuances et complexités des vies queers. Magnus Hirschfeld, Robert Oelbermann et Rudy Palace, Klaus et Erika Mann, Chawa Zloczowze et Hella Olstein, Rudolf Bradza, George Couturier : autant de personnalités importantes ou plus anonymes dont les mémoires se trouvent honorées.

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Chawa Zloczower et Hella Olstein, couple de lesbiennes en France en 1934, @Mémorial de la Shoah

Connaître son histoire et découvrir ces vies queers pionnières, réprimées mais résistantes, c’est se donner les moyens de reconnaître et prévenir les nouvelles formes d’oppression. Cette exposition nous rend plus que jamais conscient de l’importance des luttes queers. N’oublions et ne minimisons jamais cette partie de notre histoire si nous voulons répondre à l’injonction passionnée de Charlotte Delbo, déportée à Auschwitz en tant qu’opposante politique, dans Une connaissance inutile :

« Je vous en supplie / Faites quelque chose / Apprenez un pas / Une danse / Quelque chose qui vous justifie / Qui vous donne le droit / D’être habillés de votre peau de votre poil / Apprenez à marcher et à rire / Parce que ce serait trop bête / A la fin / Que tant soient morts / Et que vous viviez / Sans rien faire de votre vie. »


Homosexuels et lesbiennes dans l’Europe nazie
Mémorial de la Shoah
Du 17 juin 2021 au 6 mars 2022
Entrée libre

Image en une : Soirée costumée à l’Institut de Sexologie. Magnus Hirschfeld, à droite, tient la main de son amant. Source : Mémorial de la Shoah

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