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Le dimanche au Rosa Bonheur des Buttes, la fête anti-blues

Le dimanche au Rosa Bonheur des Buttes, la fête anti-blues

Si tu passes un dimanche soir au beau milieu des Buttes Chaumont, tu entendras peut-être « Toxic » de Britney Spears qui résonne du fin fond d’un vieux pavillon en pierre. C’est le Rosa Bonheur, une institution où plein de garçons parisiens viennent finir leur weekend, et le lieu qu’a choisi d’explorer Manon pour la rentrée de sa chronique « Tous les jours c’est samedi soir ».

Ça faisait longtemps qu’on ne s’était pas lu ! La vie fait qu’on se retrouve pour cette rentrée en plein dans les Buttes Chaumont et pas n’importe où ni n’importe quand : au Rosa Bonheur un dimanche soir. C’est la fin du week-end. Le moment de la semaine le plus badant à ce qu’il paraît. Pas pour tout le monde. Au milieu des Buttes Chaumont, une queue de dingue s’étire devant le Rosa Bonheur. Normal, c’est la rentrée. « Je viens ici parce que c’est la seule soirée qui réunit pas mal de mecs du milieu gay de tous horizons » m’explique Thomas, 30 ans, lunettes de soleil.

On est sans étiquette, c’est la politique du Rosa des Buttes. Si les gens veulent venir parce qu’ils aiment l’endroit, qu’ils s’y sentent bien et qu’ils se reconnaissent dans nos valeurs, ils viennent. On n’est pas là pour faire du marketing et attirer les gouines et les pédés avec une comm’ aguicheuse.

Zouzou, patronne du Rosa

Le dimanche au Rosa des Buttes, c’est LA soirée. « Le dimanche, clairement, la guinguette a été prise comme ça par un public plutôt garçon. Enfin, il y a aussi des meufs ! La preuve, je suis là » plaisante Zouzou, la patronne des lieux. Elle s’appelle Céline, mais on l’appelle Zouzou parce que « je suis née dans les années 70 et il y a un mec que je déteste, Hugues Aufray, qui a écrit une chanson qui s’appelle “Dis-moi Céline”. Il y en avait toujours au moins quatre ou cinq dans ma classe, donc les gens m’ont appelé Zouzou, c’est un diminutif de mon nom de famille. Et c’est resté ».

Zouzou a bossé au Pulp pendant neuf ans. Le Pulp, c’était le club lesbien de Paris avec des résidentes comme Jennifer Cardini ou Chloé. Il a fermé en 2007. « Après dix ans de nuit complète, on voulait un endroit où il y ait à manger, que les gens voient la lumière du jour, à commencer par nous ! » Le Rosa des Buttes Chaumont a ouvert en 2008. Avant, c’était le Pavillon Weber. Et encore avant ça, en 1860, c’était le Pavillon du Chemin de Fer, dénommé ainsi parce que la petite ceinture de Paris y passe. « Un endroit avec des dames qui portent des grandes robes et qui tiennent des ombrelles. C’est sûr que si tu viens un dimanche maintenant, comparé à 1860, ce n’est sûrement pas la même ambiance » s’amuse Zouzou.

Ici, c’est quand même un endroit très fun. La musique, c’est toujours génial, en tous cas pour le dimanche, c’est hyper commercial, mais c’est de ça dont on a envie.

Edouard, 29 ans

À l’intérieur, une grosse boule disco éclaire toute la salle, une barre de pole dance sur laquelle se hisser en toute tranquillité. Un pizzaiolo, un endroit où prendre à manger – tu y trouveras d’ailleurs des spécialités de la maison comme du « houmousexuel » – et un bar, toujours rempli où l’on vient pour s’abreuver. Il y a aussi les toilettes, cinq en tout, « presque plus qu’au Rex Club » rigole Zouzou. Et les toilettes, on sait comme c’est important. D’ailleurs au Rosa, elles sont rose bonbon et super bien éclairées. « C’est un lieu d’information et de prévention. Il y a beaucoup d’affichages sur le sexe, sur les drogues, et on a mis à disposition des alcootests et des préservatifs. » En tout cas, l’idée de Zouzou et ses acolytes – (elle a ouvert le Rosa avec son associée Mimi, mais aussi avec Christophe Vix de Technopol, sans oublier l’aide de la boîte de prod Why Not Productions qui a fait tous les films d’Audiard ou Desplechin) – c’était « d’avoir une grande maison accueillante, ouverte à toustes, où les gens se sentent bien, du matin au soir. Du cake à la carotte bio en passant par le chocolat chaud jusqu’à la vodka club maté, tout le monde trouve sa place : les joggeurs, les papis, les mamies, les promeneurs de chiens ». Et bien sûr la communauté LGBTQIA+. Mais ici, pas question de faire du pinkwhashing : « On est sans étiquette, c’est la politique du Rosa des Buttes. Si les gens veulent venir parce qu’ils aiment l’endroit, qu’ils s’y sentent bien et qu’ils se reconnaissent dans nos valeurs, ils viennent. On n’est pas là pour faire du marketing et attirer les gouines et les pédés avec une comm’ aguicheuse. » 

Dua Lipa, Beyoncé et Dannii Minogue

Et ça fonctionne. En allant me promener sur la terrasse où certain·e·s dégustent une pizza quand d’autres sirotent une bière (ou les deux en même temps !), je croise la route de Sam et Laurent. « Ça fait dix ans qu’on vient ici. Ça n’a pas trop changé, ce sont toujours les mêmes personnes, sauf qu’on vieillit un peu. Je me rappelle de soirées où je suis monté tout en haut de la barre de pole dance, comme d’autres où on était venus avec des enfants d’amis et qu’on les avait posés sur le bar comme des petites mascottes. C’est ça l’ambiance. » Ici, tout le monde se sent bien. Edouard, 29 ans, qui travaille dans les RP me raconte qu’au Rosa Bonheur, il y a un mood qu’il ne trouve pas ailleurs : « Ici, c’est quand même un endroit très fun. La musique, c’est toujours génial, en tous cas pour le dimanche, c’est hyper commercial, mais c’est de ça dont on a envie. » Effectivement, « Let’s Get Loud » de Jennifer Lopez résonne à balle sur les enceintes. Le kiff. Edouard reprend : « Il y a quelques années, c’était une des premières fois que je venais. Je buvais ma bière tranquille sur la terrasse, et d’un coup, j’ai entendu Christine & the Queens passer. J’étais méga étonné. Je me suis dit waw, j’ai trop de chance d’être ici et d’être gay. »

La bande son du dimanche au Rosa, moi, je la trouve incroyable. Et c’est dingue, car elle plaît à tout le monde. Celleux qui préfèrent les soirées maison, celleux qui ne sortent pas à des teufs en dessous de 180 BPM, celleux qui aiment l’italo-disco ou encore la tekhouse. « C’est ce qu’on appelle des musiques typiquement gay ! Dua Lipa, Beyoncé, Dannii Minogue » résume Laurent, le copain de Sam. Sur la piste, tout le monde est déchaîné, moi y compris. En passant, un homme m’alpague. Il porte un chino bleu marine et a une coupe en brosse. « Excusez-moi, c’est une soirée gay ici ? » Je lui réponds que oui, je crois bien. Il me semble qu’il est étranger et qu’il est venu ici par hasard. Il me dit, un petit peu décontenancé. « Mais il n’y a que des hommes ! Vous pensez que je suis le seul hétéro ? » Je rigole et je m’en vais. Effectivement, le Rosa le dimanche soir, c’est pas une soirée pour hétéros lourdingues. Sorry bro. C’est même « le rendez-vous des pédés » m’explique James, blond platine, sagittaire de 29 ans. 

Il y a des mecs gays qui pensent que le Rosa n’est ouvert que le dimanche à partir de 17h. Mais c’est normal, c’est leur créneau. Moi quand je vais à la piscine, je ne me demande pas si elle est ouverte en dehors des vacances scolaires, je m’en branle.

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Zouzou, patronne du Rosa

En bonne Hermione Granger que je suis, je demande tout de même à toutes ces personnes dont je croise la route si elles n’ont pas peur de la fatigue du lundi matin. Pour James le sagittaire, ici, c’est une manière de venir terminer le week-end entre copaines. « On ne boit pas d’alcool, juste un petit monaco et on rentre tôt ! » Pour Sam et Laurent, c’est différent : « Nous, on est des -euses ! » Interloquée, mais pas moins intéressée, je leur demande ce que sont des -euses. « Tous les métiers en -euse ! Celleux qui ne travaillent pas le lundi. Habilleuses, maquilleuses, coiffeuses, serveuses, ambianceuses, instagrammeuses, chômeuses, paresseuses ! Le dimanche, c’est notre samedi soir à nous. » En fait, m’explique Zouzou, au Rosa il y a plusieurs types de population : « Le dimanche, il y a celleux qui sont en terrasse et qui ne sont jamais rentré·es à part pour prendre un verre et qui ressortent aussi sec. Iels ne savent même pas quel type de musique on passe et iels s’en foutent. Il y a celleux qui passent leur soirée sur le dancefloor. Il y en a qui ne sont jamais venu·es le soir et d’autres qui ne savent pas qu’on est ouvert le midi. Il y a des mecs gays qui pensent que le Rosa n’est ouvert que le dimanche à partir de 17h. Mais c’est normal, c’est leur créneau. Moi quand je vais à la piscine, je ne me demande pas si elle est ouverte en dehors des vacances scolaires, je m’en branle. »

« Le chant, ça ne génère que du bonheur et du partage »

Mais il y a un groupe de personnes dont on n’a pas parlé : la chorale du Rosa Bonheur. Tous les dimanches, sauf l’été, si tu arrives assez tôt, tu peux tomber sur 80 personnes en train de chanter du David Bowie en chœur. Cette chorale a été initiée par Mimi, l’associée de Zouzou qui adore chanter. « Au début, on était une dizaine de personnes, dont le staff ! On était presque obligé·e de chanter, moi qui chante comme une casserole ! » se rappelle la patronne du lieu. Cette époque est bien loin, c’était il y a treize ans. Aujourd’hui, si tu veux faire des vocalises au Rosa le dimanche, faut te lever tôt. Il y a une liste d’attente longue comme le bras et les places y sont très chères. « C’est-à-dire que quand il y a un déménagement ou que quelqu’un·e s’en va, ça fait des heureux·ses. Mais attention, ça demande une vraie assiduité dans les répétitions. Pas question de venir une fois sur deux. » Fort de son succès, le Rosa a décidé d’organiser des ateliers de chants intergénérationnels. La chorale et son chef de chœur se déplacent dans des écoles, des EHPAD, des foyers. « On mélange les personnes âgées et les jeunes enfants du 19e. Le chant, c’est un lien social énorme. De toute façon, chanter, ça ne génère que du bonheur et du partage, c’est hyper important. C’est un peu comme la cuisine. Sauf qu’on peut chanter partout, dans la rue, chez soi, avec ou sans micro. »

La chorale a même chanté devant l’Hôtel de Ville en plein marché de Noël pour une distribution de cadeaux à l’occasion d’un événement organisé par le Rosa avec Pedro Winter pour le Secours populaire. Un moment de l’année très cher à Zouzou : « La mère Noël est un amour ». Le seul événement où l’entrée est payante au Rosa Bonheur. « Juste avant Noël, on booke un plateau de DJ de ouf que tu ne verrais même pas dans un festival : Bambounou, Miss Kittin, Laurent Garnier, Vitalic, Kiddy Smile. Devant le Rosa, il y a les camions du Secours populaire qui font payer l’entrée avec un TPE. Soit tu viens avec un cadeau d’une valeur de 15 euros – plutôt éducatif et pas sexiste, genre tu ne viens pas avec une Barbie rose ou un camion de pompier – soit tu payes l’entrée si tu n’as pas eu le temps de faire tes courses. Tout le monde ramène un cadeau ! Même le staff, même les DJ. Tout le monde. » Ce soir-là, c’est le seul soir de l’année où la musique décoiffe toute la nuit au pavillon des Buttes. Zouzou essaie d’organiser des mères Noël dès qu’elle le peut : « la mère Noël est un amour même en été », « la mère Noël est un amour même en octobre »… « Vendre plein d’alcool pour aider les gens qui crèvent de faim avec cette thune, pour moi, c’est la plus belle des récompenses. » C’est dit. À dimanche prochain.


« Tous les jours c’est samedi soir », c’est la chronique de Manifesto XXI sur la nuit et la fête. Ici, pas d’analyse musicale ni de décryptage de line-up. L’idée est plutôt de raconter avec humour ce monde de la fête que l’on connaît tout bas. Qu’est-elle devenue après plus d’un an de confinements ? Qui sort, et où ? Et bien sûr, pourquoi ? Manon Pelinq, clubbeuse aguerrie, entre papillon de lumière et libellule de nuit, tente d’explorer nos névroses interlopes contemporaines, des clubs de Jean-Roch aux dancefloors les plus branchés de la capitale.

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