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Image au Mur de Grand Blanc : poésie moderne entre souvenirs et instantané

Image au Mur de Grand Blanc : poésie moderne entre souvenirs et instantané

Plus de deux ans après la sortie de Mémoires Vives suivi d’une belle tournée hexagonale, Grand Blanc nous revient avec Image au Mur (Disques Entreprise), un second album plus lumineux mais pas moins inspiré que le premier. On y retrouve la plume pleine d’adresse de Benoît et Camille, maîtrise parfaite des mots et des figures de style que permet le jeu de la langue française. Une poésie fine, moderne, libre et décomplexée. Et le mariage de leurs deux voix, l’une claire, l’autre grave, l’une blanche, l’autre noire. Le jour et la nuit réunis dans un équilibre élégant. L’équilibre entre l’électronique et le rock garage aussi, globalement épaissi par un retour à une composition plus brute, plus fouillée, qui donne au disque toute sa subtilité. Un disque tout en nuances également, car si un rayon de lumière et un peu d’espoir traversent les 12 pistes qui le composent, le groupe n’a pas complètement délaissé son côté sombre, qui prend son origine dans les clichés d’une Metz industrielle et froide. Rencontre avec les quatre membres de Grand Blanc qu’on ne présente plus ici.

Vous avez décidé pour cet album d’abandonner les ordinateurs et de retourner aux instruments. Cela donne une vraie épaisseur à cet album. Comment cela a t-il influencé vos compositions et la manière dont vous créez ?

Benoit : On ne les a pas abandonné, on a quand même passé pas mal de temps dessus mais la différence est qu’on a essayé de retourner dans la phase d’écriture et de composition, à jouer ensemble. Ça change pas mal le processus de travail parce que les chansons sont moins fixées.

Ça a été plutôt une barrière ou une liberté?

Benoit : C’est un mélange des deux. Avec l’ordinateur, tu vois ce que tu fais, t’as une représentation de ton morceau donc c’est plus facile de dire : “ah non, appuie pas sur ce bouton”. Donc la composition a été plus stricte, mais plus solide aussi j’ai l’impression.

Camille : Quand on compose on a notre timeline de morceau, on peut changer facilement l’ordre des parties, faire du Lego. Alors que dans la composition live, là tu ne peux pas déplacer les Lego. T’as pas de vue d’ensemble, t’es dans le moment présent à l’intérieur de la timeline et tu composes avec les autres. C’est un exercice auquel on ne s’était jamais prêté. On était plus cérébraux et on a essayé de se laisser aller à une forme plus empirique de composition.

De quelle façon votre live va-t-il donc évoluer?

Vincent : On a surtout changé notre composition à cause du live en fait. On a passé un an en tournée, on s’est rendu compte que l’interprétation jouait sur les morceaux et on avait envie de remettre ça dans la composition. Et c’est drôle parce que cette culture de l’interprétation on l’avait par notre formation, notre expérience, mais on s’en est écartés quand on a fait les premiers titres.

Luc : On aimait bien que ce soit les machines qui interprètent les chansons.

Vincent : Oui on aimait bien que ce soit assez stricte, avec des batteries qui font “tac tac tac”, des arpeggios très droits avec un groove minimum. En jouant pendant un an ensemble on a repris goût à ça et on a retrouvé une manière de rendre ça plus personnel, de s’approprier le truc. Quand t’es au conservatoire, t’es enfermé dans des règles qui ne laissent pas vraiment place à ta personnalité. Donc le live va être encore plus cool à jouer pour nous.

Combien de temps ça vous a pris de composer cet album ?

Vincent : Un an. On a commencé à y penser en avril 2017, on avait des bribes de morceaux, mais ça a vraiment commencé quand on est partis en juin en Normandie dans une maison. On a passé un mois à composer un peu en autarcie. C’est un peu un truc standard de s’isoler quand t’es un groupe, mais finalement ça marche. Quand t’es à Paris, t’as ton quotidien, tu penses à ta meuf, à ta bouffe, à ton chien… Donc ouais on avait besoin de débuter l’album comme ça. Ensuite on est rentrés à Paris et on l’a finit entre plusieurs studios, ici, le studio de notre réalisateur Adrien Palot, le Grand Studio… On avait 15 ou 16 morceaux quand on est revenus de Normandie, et il y en a qui se sont rajoutés… C’était un peu un joyeux bordel.

Belleville, Montparnasse, mais aussi Los Angeles…. De quelle manière Paris et les mégalopoles vous inspirent ?

Benoit : On a tous grandi en ville, à Mantes-La-Jolie et à Metz. On est tous arrivés à Paris assez tôt. On a une culture de la ville, on a grandi avec cet espèce de décalage bizarre où quand t’es gamin tu dessines la mer et la montagne, t’écris des poèmes sur la rivière mais en fait tu grandis dans du béton. On n’a jamais trop capté ce truc là, de faire une musique urbaine qui essaie de donner une forme à tout ça. Les montagnes c’est facile à dessiner, c’est un triangle; une ville c’est un peu plus galère à dessiner. C’est pareil quand tu fais de la musique et quand tu fais des textes sur le sujet.

Mais vous parlez aussi de grands espaces, de nature, (« Les Îles », « Rivière »), d’évasion (« Ailleurs »), votre nom de scène même peut évoquer cela.

Benoit : C’est un truc qui n’était pas trop dans les textes sur Mémoires Vives effectivement. Après, pour « Ailleurs », le texte j’ai commencé à l’écrire à Hong-Kong, il parle plutôt de la ville. « Rivière » en vrai elle finit par parler d’une mer de rails à Gare de l’Est, donc on est jamais très loin de ça. Mais sur Mémoires Vives c’est vrai, il y a avait un truc très strict, donner une palette sonore et de mots à la ville. On était en train de digérer notre arrivée à Paris et le flot de gens, d’images que ça donne à vivre. On est un peu plus détendus, on a mélangé les deux.

Les textes d »’Image au Mur » sur la musique de Mémoires Vives, ça n’aurait pas matché. Il n’y a jamais de contradiction, les deux dépendent l’un de l’autre étroitement Et puis notre vie aussi. J’avais commencé à écrire le texte de « Rivière » dans le van en tournée quand il y avait les inondations en France. Cet album est assez inspiré de la vie qu’on a eue entre la sortie de Mémoires Vives et l’écriture d’ »Image au Mur », et cette vie c’est la tournée. Donc c’est beaucoup de route, de grands espaces, de déplacements, mais dans nos chansons c’est plus abstrait.

Ce deuxième album est nettement plus lumineux que le premier. Qu’est-ce qui a impulsé la couleur de l’album ?

Luc : C’est le vécu qu’on a digéré de tournée, on était assez contents, on vivait plein de choses hyper colorées. Le cadre aussi a joué. Quand on a commencé l’album on était dans une belle baraque en Normandie, pas très loin de la mer donc c’était cool de composer un album dans ces conditions. Mémoires Vives on l’a fait dans nos chambres, ici un peu partout à Paris donc c’était un peu plus dark par la force des choses. Pour celui là on était dans un mood où on était tous azimut.

Camille : Et puis c’est le contexte plus général. Je crois qu’aujourd’hui on n’est plus en phase avec ce qu’on était en 2012, 2013, ou 2014. Aujourd’hui il y a des choses qui ont changées.

Benoit : Il y a des gens qui sont morts, il y a plein de trucs de merde qui se sont passés, et qui se passent encore.

Camille : Et nous notre réaction à ça c’est de se serrer les coudes et de se dire qu’on s’aime très fort et de faire de la musique. Et peut-être que ça se ressent un peu.

En parlant de trucs de merdes, ce sont les informations anxiogènes et les émissions absurdes qui ont inspiré “Télévision” ? 

Benoit : Carrément, en fait quand j’écoute le morceau j’ai l’impression de me retrouver face au souvenir du 11 septembre. Effectivement l’espèce de stress ambiant de l’actualité n’est pas très visible mais notre réaction c’est de faire des chansons plus positives. Ça a pas mal compté, « Télévision » parle de ça et le mood est assez représentatif du rapport à ça.

Vincent : Le texte de « Télévision » me rappelle le Zapping de Canal +. Et la meilleure année c’est 2001, parce que tu te retrouves pendant toute la première partie à te taper Loft Story avec Loana dans la piscine, et puis ça switch sur les attentats du 11 septembre. Donc c’est un peu ça, le paradoxe est tellement fort, et nous on a vu ça quand on était gamin. C’est ce qu’on ressent dans le morceau.

Camille : Il y a une line dans les paroles que j’adore, c’est : “on s’attardait un peu sur deux jumelles qui s’emmêlaient d’avion”. C’est les deux tours jumelles et les jumelles Mary Kate et Ashley.

Benoit : Qu’on salue au passage.

Camille : On a vu ça nous, on a regardé Les Jumelles s’en Mêlent et on a vu les tours jumelles tomber. « Télévision » résume ce paradoxe.

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Les couleurs de la pochette sont très vives également. Votre univers visuel est habituellement plutôt basé sur du noir et blanc, des choses assez minimalistes, froides, nocturnes. Quelle a été la direction prise pour arriver à ce contraste ?

Vincent : Sur cet album on pouvait pas faire une pochette en mode tôle froissée, c’était moins l’idée.

Camille : On avait envie de faire quelque chose de durne, pas de nocturne. on n’avait plus envie de faire quelque chose de heurté comme sur Mémoires Vives, ça collait pas. Mais c’est chouette, il y a toujours ce côté assez détaché et froid même s’il y a de la couleur.

D’une manière générale, la thématique du souvenir est très présente dans votre musique.

Benoît : Particulièrement pour les textes, un mot a une définition, ça appartient à tout le monde. Mais la réalité d’un mot est rattachée à la vie que tu as eue avec. Si je dis “guitare” et que t’as joué de la guitare tu vas avoir un rapport différent que si t’en n’as pas joué. Le souvenir dans l’écriture collective c’est ce qui permet de donner une réalité aux mots. Je ne sais pas si on est particulièrement passéistes mais le souvenir est la seule chose qui t’appartient vraiment. Surtout « Image au Mur », ça parle vaguement de l’image aujourd’hui, sur les réseaux, opposé aux vieilles images, aux icônes, aux peintures. C’est une vraie question. Aujourd’hui on est envahis d’images mais elles ne t’appartiennent pas, elles sont temporaires, leur durée de vie est très problématique, il ne restera pas grand chose de nos disques durs. La mémoire c’est ce qui fait quelqu’un et c’est une raison suffisante pour en parler souvent.

Le souvenir, ça peut être collectif mais c’est aussi très personnel. Quand on est un groupe, de quelle manière vous partagez toutes ces choses personnelles pour les mettre en musique ensemble ?

Benoit : J’écris les textes en même temps qu’on fait la musique. On en parle, généralement les textes commencent assez tôt dans les maquettes et finissent très tard dans les morceaux, soit juste avant les dernières prises de chant.

Vincent : Et puis concrètement on vit la moitié de notre vie ensemble, on partage les mêmes expériences donc je suppose qu’on aime bien parler d’inconscient collectif, cet espèce de hasard où tout le monde pense la même chose alors que personne ne s’est concerté. Dans un groupe ça arrive encore plus, donc je pense qu’on arrive facilement à se reconnaître dans les textes de Ben et dans son ressenti par rapport aux expériences qu’on fait.

Cet album est toujours assez marqué par l’électronique. Quelle place est-ce que cela prend dans votre musique ?

Benoit : On ne peut pas vraiment faire le choix. On n’a pas choisi de faire du rock, on a essayé de trouver notre musique et elle s’accomode assez mal des catégories de musique. Donc on passe notre vie de groupe à mélanger ça. C’est aussi que c’est un vieux truc le rock, c’est un assez vieux truc l’électro. Quand tu crées un nouveau style t’es libre mais à partir du moment où il commence à y avoir une définition il commence aussi a y avoir un hors-cadre et un certain nombre de pré-supposés. Si tu demandes à quelqu’un ce que c’est le rock, il va avoir une liste plus ou moins longue de trucs à remplir. Et nous dans le rock y a des trucs qu’on adore, genre s’en battre les couilles, jouer fort, être dans un truc vital et sans après. Par contre les perfecto, les grilles d’accord de blues qui ont été jouées 18 000 fois depuis 1970, ça nous fait chier. Donc on a toujours besoin de contrebalancer le rock avec l’électro, l’électro avec la chanson. Mais tout ça nous a beaucoup moins préoccupé que sur l’album précédent. Il y a plein de moments où, de manière naturelle, on s’est détachés de tout ça. Quand on a commencé à composer « Les Gens Bien » par exemple, c’est allé assez vite alors que c’est différent de ce qu’on faisait jusqu’ici. Il n’y a pas de batterie, la voix est très en avant. Donc le format va être perçu comme de la chanson et nous on s’est dit que c’était un des morceaux les plus excitants qu’on avait composé jusque là.

Pourquoi ?

Benoit : C’était vraiment un bon moment et puis c’était surprenant. Jouer un petit truc de guitare, mettre des petits synthés…

Camille : En fait on n’avait jamais fait ça avant. Le fait de se mettre à nu comme ça, c’était excitant. On avait l’habitude de faire les fous derrière quatre tonnes de reverb’ et 18 couches de synthés et de guitares. Et ce truc là, quand t’arrives à chanter juste avec une guitare, c’est comme quand tu t’apprêtes à sauter. T’as un peu peur et c’est excitant.


Grand Blanc sera en concert le 26 novembre à La Cigale.

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