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Feminxst Projection Project / Party : pour faire du club un espace de cinema expérimental

Feminxst Projection Project / Party : pour faire du club un espace de cinema expérimental

Créer de nouveaux espaces d’expression artistique, loin des institutions, telle est l’ambition de Feminxst Projection Project / Party — aka FPP. Nous avons eu l’occasion d’échanger avec la co-fondatrice lors de la dernière édition du Queen Classic Surf Festival.

A Biarritz, l’intriguant FPP proposait des DJ set et des projections de films expérimentaux au cours d’une soirée. Le Feminxst Projection Project / Party est un collectif féminin militant pour une ouverture de tous les espaces à l’art entre Londres et l’Espagne. Leur terrain de jeu favori ? Le club. Un maître-mot pour elles ? L’expérimentation continue. Le FPP a déjà vu faire une apparition dans une Boiler Room à Grenade et nous réserve bien d’autres surprises. Nous avons rencontré Whitney, tête pensante du projet. 

Manifesto XXI – Comment s’est créé Feminxst Projection Project ?

Whitney : Personnellement je vis à Londres, mais j’étais déjà DJ dans un collectif auparavant. Ce projet s’est fait lorsque nous nous sommes rencontrées à San Sebastian. Il y avait un lab dédié au film expérimental, c’est ainsi que nous avons commencé. Maintenant, je vis toujours à Londres, mais je vais souvent à Bilbao, où je travaille sur des films expérimentaux.

Et donc, combien êtes-vous dans le projet à ce jour ?

Anaïs et moi, on est un peu le noyau dur de l’ensemble des projets visuels et de la musique, et il y a peut-être cinq ou sept autres artistes comme ça qui gravitent dans le collectif. Donc lorsque l’on fait des concerts, on se relaie.

Quel a été ton parcours ? 

Je travaille en tant que directrice artistique et réalisatrice. Pour ma part, j’ai commencé parce qu’aujourd’hui il y a tellement de nouveaux langages médiatiques, qu’en soi tout le monde réalise des films. Mais l’industrie est encore très en retard. Les modèles économiques autour du film, ce sont les festivals de cinéma, la télévision… Mais où sont les espaces que nous avions dans les années 60 pour les expérimentations visuelles d’envergure ? Nous, on a découvert que le club en tant que tel, est un très bon espace pour le cinéma expérimental, parce que sinon il faut attendre les musées. 

Il faut attendre le Centre Pompidou ou le Tate, et cela peut prendre deux ans, cinq ans ou même vingt ans, tout ça pour espérer avoir une petite boucle pas terrible de son film dans un musée, avec des écouteurs. C’est ainsi que nous nous sommes tournées vers le club, pour en faire un espace important pour le cinéma expérimental. Parce que des DJ set se font tous les soirs, il y a donc de la matière à travailler,  et une forte demande de visuels. [Notre pratique] est basée sur l’improvisation, il n’est pas nécessaire que ce soit cadré comme un set. On peut donc créer une imagerie vraiment radicale, une imagerie plus exploratoire. En même temps, [le club] une industrie compliquée. Il faut y faire sa place, c’est vite excluant. 


Que veux-tu exprimer par là ? 

À la base, le club est vraiment un environnement mauvais. J’ai eu tellement d’expériences où j’ai été agacée par comment cela s’est passé. Les hommes prennent beaucoup de place. Mais l’art et la fête sont très liés, c’était un lien logique à faire. L’art se diffusait beaucoup à travers les fêtes, que ce soit dans les années 60 ou à l’époque du Bauhaus par exemple. C’est pour cela que l’on a lancé un dérivé de notre projet sous le nom de Projection / Party. On a ce besoin de se tourner vers des espaces qui ne sont pas des expositions à proprement parler, et de se les approprier

Comment vous procédez exactement pour créer vos flux d’images ? 

On a réussi à faire quelque chose de très cool récemment. J’ai toujours voulu jouer avec l’aspect visuel comme s’il s’agissait d’un instrument de musique. Donc j’ai travaillé sur un instrument analogique qui permet de manipuler des sortes de formes liquides, et tout cela sans ordinateur ce qui est vraiment cool. Je me suis mise à travailler avec le projectionniste qui accompagnait les Pink Floyd dans les années 60. Avec Pete on se connaît depuis près de dix ans maintenant, j’ai pu faire quelques shows avec lui, et c’est aussi là que je me suis rendue compte à quel point l’industrie audiovisuelle est pourrie de l’intérieur. Avec des hommes côté technique qui prennent les femmes pour des objets sexuels. Vraiment je me suis retrouvée face à des hommes en régie ou à la lumière, pour qui il était normal de mal se comporter. C’est aussi pour cela qu’on a monté FPP, pour avoir le choix de pouvoir bosser avec qui on veut.  

Aujourd’hui tu arrives à faire en sorte d’être quasi uniquement entourée de techniciennes ?

Oui, ou du moins c’est ce que nous essayons de développer. Le problème c’est que tout cela est très fragmentaire. Il y a une femme éclairagiste, mais par exemple le montage est une activité très dominée par les hommes. De fait, avec quelques tutoriels et si vous êtes intéressées par le côté technique, vous pouvez le faire aussi. L’idée c’est de tout pouvoir faire par nous-mêmes, de se former collectivement, et de ne plus avoir à faire appel à des tiers sur ces enjeux-là.

Comme les équipes sont réparties entre l’Espagne et Londres, comment fonctionnez-vous ? 

La plupart de l’équipe est en Espagne. Ce qui est compliqué c’est juste que tout mon équipement est en Angleterre. Nous essayons de trouver des solutions pour les soirées en club ou les festivals, mais je pense que nous allons essayer de créer un modèle de flight case, où tout l’équipement sera en état de marche rapidement. Quand on présente notre film Machine Porn Live, il nous faut trois projectionnistes. Faire fonctionner un projecteur, c’est déjà une seule personne. C’est un peu comme si vous aviez besoin d’un orchestre ou d’un orchestre de lumière complet pour que tout fonctionne. Il faut donc beaucoup de personnes compétentes pour occuper ces espaces.

Le FPP essaie simplement de dire quels sont les espaces intermédiaires où nous pouvons commencer à créer de nouvelles économies de l’image en mouvement.

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Whitney, fondatrice du Feminxst Projection Project / Party

Est-ce que tu considères qu’il est plus facile d’avoir cette approche de l’art au Royaume-Uni ou en Espagne ?

Je ne saurais pas trop dire. Londres, Paris, Madrid… Tout le monde a une scène artistique différente, et je trouve cela vraiment incroyable. Le festival du film de San Sebastian et plus largement, le monde du cinéma espagnol est incroyable. C’est un environnement très différent de celui du BFI, de Londres ou du Royaume-Uni. Il y a cette culture différente et ces espaces très variés, ici et là. Je pense donc que la question est plutôt de savoir si nous allons utiliser une imagerie plus queer, comment nous le faisons, dans quels espaces nous le faisons. Parce que chaque thème a une influence différente, une influence culturelle différente. Mais si nous commençons à créer une imagerie plus radicale dans les clubs, comment s’assurer que c’est toujours un espace sûr pour nos images, et pas seulement pour les gens ? Si l’on veut utiliser une imagerie radicale, comment s’assurer que l’espace correspond ?

Est-ce qu’il vous arrive de refuser des espaces que l’on vous propose ? Parce que vous avez l’impression que ce n’est pas bien ou pas sûr pour votre art ? Ou est-ce que dans un second temps vous modélisez votre art pour l’espace ?

Oui on s’adapte. L’industrie de l’art n’a qu’un espace limité, un nombre limité de commandes, un budget limité. Surtout aujourd’hui, où tout le monde utilise différents langages artistiques, il faut être capable de faire cet exercice et savoir comment l’image s’adapte à l’espace. 

Avec FPP nous avons un dicton qui dit : « Donnez-nous vos murs, occupez plus d’espaces et créez de nouveaux environnements plus rapidement ». Créer un film est un long processus. Obtenir un budget, comme trouver des producteurs, obtenir des subventions, obtenir des fonds, participer à un festival, entrer dans le circuit… C’est long, et il y a tellement de choses que nous faisons aujourd’hui qui n’ont pas besoin d’entrer dans ce système. Même chose pour le monde de l’art. Le FPP essaie simplement de dire quels sont les espaces intermédiaires où nous pouvons commencer à créer de nouvelles économies de l’image en mouvement.


Site du FPP, Instagram
Relecture & édition : Apolline Bazin

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