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Færies, le label rêvé par Lou Fauroux et Jennifer Cardini

Færies, le label rêvé par Lou Fauroux et Jennifer Cardini

L’artiste Lou Fauroux et la DJ Jennifer Cardini s’apprêtent à célébrer la première compilation de leur label, Færies. Avec elles, on a discuté de l’évolution des musiques électroniques, de la promotion des artistes queers et de communauté.

En 2023, rares sont les projets musicaux qui créent de l’espoir pour ce qu’ils promettent de créativité autant que pour leur sens politique. Porté par un duo (et couple) de choc, Færies en fait partie. Tout commence avec des échanges de musique quotidiens entre Lou Fauroux et Jennifer Cardini. « Je tannais un peu Jennifer avec des sons que je découvrais pour qu’elle les sorte sur ses labels. À force de s’envoyer des choses, il y avait une scène qui se dégageait » se remémore Lou. « On avait pas mal de points communs dans nos goûts. Lou m’a fait découvrir des sons un peu plus abstraits, plus expé. Des fois, elle m’envoyait aussi des choses que je connaissais, j’étais pas si larguée » complète Jennifer en souriant. Sur le ton de la blague d’abord, la productrice met au défi sa compagne de lancer un label. En parallèle, Lou a un déclic en réalisant le montage sonore de son film What remains : l’idée d’un label qui reflète leurs aspirations communes prend sens et éclot début 2023. Leur première compilation sortira le 23 octobre, avec une release party anticipée au Sample le vendredi 29 septembre.

Label pour musiques mutantes 

« C’est un label dont la musique ne va pas forcément être dédiée au dancefloor » pose très vite Jennifer au début de notre interview. « On veut vraiment expérimenter. Beaucoup d’artistes font de la musique pour leurs pièces, installations, films… L’idée c’est aussi de pouvoir sortir cette musique-là » poursuit-elle. Les deux fondatrices viennent de deux champs différents, le clubbing et l’art contemporain, et n’appartiennent pas aux mêmes générations. En croisant leurs regards, elles font le constat que la production musicale est beaucoup plus transdisciplinaire et fluide qu’il y a dix ans : Færies veut être la plateforme de cette nouvelle génération d’artistes.

À la fois réalisatrice, directrice artistique et DJ, Lou est le parfait reflet de cette époque où de nombreux·ses créatif·ves sont aussi à l’aise sur Ableton Live qu’InDesign. Dans ses installations, Lou Fauroux intègre une fine critique du techno-capitalisme, alors pas question pour elle qu’on colle à Færies les étiquettes faciles d’hyperpop ou d’« esthétique Internet ». L’ambition est d’être à la croisée de cultures qui émergent d’Internet, mais pas seulement. Comment alors décrire ce qui unit les productions musicales et visuelles des artistes rassemblé·es sur cette première compilation (dont Syyler, Alexi Shell, NVST) ? Peut-être par une réflexion sur l’espace, comme nous l’indique Lou : « Je crois que beaucoup d’artistes avec lesquel·les on va travailler n’ont qu’Internet comme espace de monstration. Ça peut donner l’impression qu’on reste enfermées dans ces “codes Internet” alors que ces personnes n’ont surtout pas eu la possibilité de vivre ailleurs. Qu’on le choisisse ou non, beaucoup de sons qu’on digge sont produits par des artistes queers. Est-ce que c’est parce que les queers grandissent avec peu d’espaces dans la société d’une manière générale ? » On dirait bien que oui. 

Ange Paradiz au premier showcase du label le 20 avril 2023 au Badaboum © Cha Gonzales

Lou et Jennifer ont pris le pari de donner corps à leur vision avec une première soirée à la Station au cœur du mois d’août. À l’affiche : l’énergique Blood of Aza, le duo Sha Ru et les productions planantes d’upsammy. C’est Lou qui a piloté l’organisation de cette date dont elle a assuré le warm-up. À regret, Jennifer a suivi à distance, entre deux avions et deux bookings. Pour composer au mieux avec les impératifs de sa carrière internationale de DJ, le duo s’est créé différents canaux de communication, dont une conversation WhatsApp dédiée à leurs déplacements, nommée « Cathy Guetta ». Avec ce nouveau projet, Jennifer, qui a déjà co-fondé deux labels (Dischi, Correspondant), espère d’ailleurs casser un peu la configuration classique « warm-up / peak time / closing » : « Ce qui est intéressant avec Færies, c’est qu’on peut proposer de l’ambient et des musiques expérimentales en plein milieu de nuit, contrairement à beaucoup de soirées dans lesquelles je joue. » Celle qui a fait ses armes au mythique club Le Pulp espère se rapprocher de l’ambiance euphorique de ses débuts sur la scène électro, avant que la techno devienne populaire, « avant que ça devienne super hétéronormé ». 

Photo © Cécile Fauroux. Project/design © Lou Fauroux
Communauté et entraide entre fées

À travers le label et les soirées, Færies traduit aussi une envie de créer un espace d’entraide pour les artistes queers, comme l’explique Lou Fauroux : « Autour de moi, il y a plein d’artistes jeunes qui font des trucs trop cool, et Jennifer a plein d’opportunités. L’idée était de se réunir à un endroit qui puisse faire levier et utiliser ces possibilités, les donner à des artistes émergent·es ou inconnu·es. » Une volonté de partage et de transmission nourrie par les expériences de Jennifer Cardini : « Je fais partie de la première génération de femmes à avoir une carrière de DJ, je me suis retrouvée à avoir un énorme plafond de verre au-dessus de moi. J’ai dû accepter plein de choses pour réussir à passer à travers, ce que j’ai fait, mais ce que je trouve génial avec Færies c’est d’essayer d’offrir un espace où les artistes n’auront pas à faire ça. » L’ambition pour la jeune génération, c’est « pas de concessions » résume Lou.

Angel Rider au premier showcase du label le 20 avril 2023 au Badaboum © Cha Gonzales

En plus de réunir et d’accompagner des artistes qu’elles admirent et qui leur ressemblent, le duo veut créer un sens de la communauté. « On n’a pas envie que Færies fasse des soirées de label comme il y en a partout. On a envie que ce soit pour tout le monde, que ce soit familial » explique Jennifer. Le nom de la première compilation de Færies est d’ailleurs un hommage à la sœur décédée de Lou, Cécile. « L’avenir que je vois, y compris pour les labels, c’est de cultiver une forme d’intimité » anticipe Lou, qui m’explique moins sortir depuis quelques années. « Færies est encore petit, mais j’ai très envie de garder ça, de faire des événements où on peut venir danser ou écouter de la musique selon comment on se sent. » Là encore, cette approche de l’événementiel s’inscrit dans le prolongement de réflexions plus vastes et fait office de statement : « Intégrer des outils et des façons de voir le monde, dans des événements à taille humaine, ça c’est un peu futuriste. » La technologie façonne bien Færies, mais comme une manière de renouveler nos liens et nos modes de réunion. Ça tombe bien, le logo de Færies est une référence au papillon, un symbole de renouvellement cher à Lou. 

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Image à la Une : © Sidonie Ronfard

À venir

  • Release party au Sample le 29 septembre : avec Ttristana (dj set), Chouf (dj set), Lou Fauroux (dj set) et Aval Douar (live)
  • [BUFFERING] VOL.1 CÉCILE : sortie de la compilation le 23 octobre.
    Un pourcentage des bénéfices de la soirée et du CD iront à la MAM, Maison Autisme Mulhouse.
  • Fountains, EP d’Ines Chérifi : sortie le 9 novembre
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