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Inès Cherifi, un espoir romantique pour la techno

Inès Cherifi, un espoir romantique pour la techno

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Si vous avez besoin d’un son pour vous passer le seum de la rentrée, cherchez la track « CŒUR-CORE » sur Soundcloud. Cette pépite techno qui flirte avec le gabber est signée Inès Cherifi, jeune productrice aux multiple talents. Vous l’avez peut-être aussi déjà écoutée sur la compilation OPEN SOURCE de Manifesto XXI avec le titre « A Place to Sing ». Sa signature est tonique, pleine de vie et nourrie de sonorités hypnotiques. Bien sûr, on a voulu en savoir plus sur l’artiste derrière cet univers si vivant et prometteur.

Étudiante aux Arts déco et aux Beaux-Arts en photo et vidéo, la jeune femme a bien des cordes à son arc. Cet été, Inès Cherifi nous a parlé image, introspection, de son dernier EP Vivid and Repulsive, un peu de son enfance dans le 94, et surtout d’énergie. La sienne est bien particulière, à la rencontre on se dit qu’elle ira loin avec cette force de caractère sereine qu’a su saisir le photographe Raphaël Lugassy. Une chose est sûre, on attend avec impatience que les clubs puissent rouvrir pour la voir jouer et trouver son public (en attendant, elle sera au Take Care Festival samedi prochain).

Manifesto XXI – Dans les titres que tu donnes à tes tracks et tes EPs, on peut voir une forme de tension entre d’un côté un attrait pour le spirituel, l’inconscient, et de l’autre quelque chose de très radical (« Sauver les meubles », « I Want a Divorce »). Qu’est-ce que ça raconte de toi ?

Inès Cherifi : Je pense qu’il y a toujours une forme d’aller-retour entre l’intérieur et l’extérieur de soi. La musique a toujours gravité dans ma vie, de manières très différentes. J’ai fait quinze ans de violon, puis j’ai eu un violon électrique pour faire des effets très hard-rock. Quand j’étais ado, vers 14-15 ans, je restais des heures dans ma cave et je faisais des boucles… Je suis devenue accro à cette manière de se détacher de soi, à se laisser guider par le corps et l’intuition. J’ai eu un rapport très intime à la musique.

Comment en es-tu arrivée à la techno ?

Je pense que ce violon électrique et cette pédale à effets y sont pour beaucoup ! Autour de moi j’avais aussi des synthés, des percussions, et j’enregistrais tout. En même temps, avec mon meilleur pote de l’époque, on avait un groupe (Die Brücke), je faisais surtout les voix et lui les prods. Ensuite on a commencé à sortir beaucoup dans des soirées majoritairement queers, à suivre les producteur·rices, à sortir pour la musique. Ça m’a poussée à vouloir recréer cette énergie dans ma chambre. 

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© Raphaël Lugassy / Jankovic 

Quelles sont tes soirées préférées aujourd’hui ?

Je dirais la Parkingstone il y a quatre ans, pour son énergie et sa programmation. J’ai eu un grand coup de cœur pour la Baby Ratta au Mexique, j’avais pu y voir jouer Fecal Matter, Neurokill… J’y suis allée en début d’année, j’ai pu mixer là-bas pour Topo 634, un collectif éphémère, et c’était la meilleure expérience que j’aie eue… Je me sentais vraiment libre de passer ce que je voulais. Ce que j’ai senti, c’est que les DJs et producteur·rices jouaient vraiment ce qu’ils voulaient assez librement. C’est ce qui me plaît en soirée, un set un peu provocateur qui peut surprendre. J’adore quand tu sens qu’un cercle d’énergie se forme entre le/la DJ et le public, qu’il y a une communion.

Pour ta soirée idéale, tu bookerais qui ?

Arca, IVVVO, Crystallmess, E-Saggila, Sentimental Rave et Ophidian… Mais ça change tous les jours !

Tu as une track qui s’appelle « Heritage ». Avec quelles musiques as-tu grandi ?

On se faisait réveiller tous les dimanches matins par ma mère qui dansait dans le salon sur du baladi, du chaâbi. Mon père écoutait des musiques de chanteurs militants kabyles. Dans la famille, on n’est vraiment pas de grands poètes (rires). On utilise beaucoup le non-verbal pour communiquer. Mettre de la musique et danser ensemble, c’est notre moment de réunion.

D’où vient le titre de ton dernier EP, Vivid and Repulsive ?

C’est une expression que j’ai trouvée par hasard dans un recueil de Djuna Barnes, une auteure queer du tout début du XXe siècle, dans une librairie anarchiste de Montréal. Elle a fait huit poèmes sur les femmes répulsives, repoussantes, de son époque, et j’ai bien accroché avec l’énergie de cette expression. 

Tu t’identifies comme une femme « vivid and repulsive » ? 

Oui. Je ne sais pas si je suis comme ça, mais… Je ne le vois pas comme un truc négatif, je le vois même plutôt comme une qualité. C’est un truc que j’ai avec mes potes aussi, on est vif·ves et répulsif·ves, c’est affirmé.

La première track de l’EP « It’s Always There » est plus soft, pourquoi ?

C’est la première fois que j’ai fait un son le matin ! Peut-être que ça a joué. J’avais peut-être essayé de changer ma manière de travailler. Je produis souvent quand je suis triste. J’ai essayé d’être plus à l’écoute, d’explorer davantage le côté rythme/texture en reprenant des sonorités rave et en les étalant sur un rythme plus lent.

« CŒUR-CORE », c’est quoi l’histoire ?

C’était l’été dernier, j’étais assez seule mais je sortais beaucoup. À force d’absorber toute cette énergie dans le club, au bout d’un moment, j’ai fait un son impulsif. Je fais de la musique très impulsivement. Vivid and Repulsive, je l’ai fait en un ou deux jours, j’aurais pu le retravailler après mais j’ai voulu le garder brut.

Qu’est-ce que ça t’apporte dans ta musique d’avoir cette formation visuelle ? Comment cela te nourrit-il ?

Ça m’apporte énormément de belles rencontres. Je suis entourée de personnes qui m’impressionnent et que je peux admirer. C’est le lien le plus direct… Aussi peut-être qu’il y a une même énergie que je vais exprimer à travers les différents médiums, entre vidéo, photo et son. Surtout en vidéo d’ailleurs, parce qu’en photo je fais des choses assez statiques.

C’est-à-dire ?

Des photos de paysages en transition, souvent ceux dans lesquels j’ai grandi, ou des corps qui sont en train d’assimiler des mécanismes pédagogiques…

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Tu es attachée au côté technique dans ta pratique photo ? 

Non, la technique est un outil de représentation. Ce qui me plaît, c’est plutôt d’aller me balader loin toute seule avec une chambre et faire une seule photo, revenir et savoir seulement plusieurs jours plus tard si c’est raté ou réussi. Ce sont des moments que j’aime passer seule.

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© Raphaël Lugassy / Jankovic 

Tu cultives un certain perfectionnisme ?

Ce n’est peut-être pas tant un perfectionnisme, mais quelque chose qui est venu avec la pratique de la photo justement et qui s’est diffusé dans mes autres pratiques. C’est accepter de prendre beaucoup de temps pour les choses, et d’y aller avec un seul négatif de chambre et prendre le temps que ça rate… De s’accorder un moment d’introspection, et d’y retourner. Ce n’est donc pas tant du perfectionnisme que de m’imposer de prendre du temps, de produire au rythme de ma propre évolution personnelle, donc plus honnêtement peut-être.

On peut dire qu’il y a une forme de romantisme dans le style de tes compositions ?

Oui !

Ça évoque quoi pour toi le romantisme ?

C’est toujours par rapport à des moments de ma vie que je compose, j’ai un peu moins ce rapport à la production. La musique pour moi c’est un peu comme un journal intime, une manière de se détacher, un rapport aux émotions.


Crédits
Photographie : Raphaël Lugassy
3D : Jankovic
Stylisme : Alexia Caunille
Vêtements : The North Face, Rolling Acid

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