Dans ce cycle de 5 chroniques, l’auteur et journaliste Hanneli Victoire décrypte certains phénomènes pop des années 2010 qui ont marqué la culture des jeunes queers, à l’aube d’une décennie de luttes et de conquêtes politiques.
Paris, fin des années 2000. La nuit LGBT est structurée autour des boîtes et bars gay du Marais, et quelques autres soirées disséminées dans les rares endroits qui acceptent de booker des collectifs queer. Les années endiablées du Fiacre ou du Palace, iconiques clubs pour la communauté, sont déjà passées, jusqu’à l’arrivée du collectif Flash Cocotte en 2007. Avec ses soirées devenues cultes, la « Flash » devient une étape quasi initiatique pour beaucoup de jeunes LGBTQIA+ en quête d’identité, de liberté et de désir. Retour sur cette soirée qui a fait vibrer les cœurs et les corps de toute une décennie.
Un souffle nouveau
Bien sûr, les établissements LGBTQIA+ ne manquent pas à Paris. À la fin des années 2000 comme de nos jours, on les retrouve pour la plupart dans le marais. Néanmoins, la diversité du public et des DJ manque cruellement à toutes celles et ceux qui ne se reconnaissent pas dans l’ambiance « gay masc », blanche et plutôt bourgeoise de ces établissements. Dix ans plus tôt, il y avait bien le Queen, célèbre boîte gay des années 90’s sur les Champs, mais elle a vu son public passer de gay à majoritairement hétéro. Quant au Pulp, mythique club lesbien, il a fermé en 2007. Depuis, rien de nouveau sous la boule disco. C’est le constat que formulent les fondateur.ices de la Flash Cocotte, les DJ Nizar, Pipi de Frèche et Dactylo : « Il n’y avait aucune soirée Queer dans le clubbing parisien, les soirées qui s’adressaient à un public à non straight et qui le précisaient étaient uniquement les soirées gay mainstream. Pour le reste, il n’était pas de bon ton de définir une orientation sexuelle ou de s’inscrire dans un héritage culturel lgbtqia+. Certaines soirées clairement gay-mascu se disait « Gay friendly » par pudeur, ce qui parait complètement fou aujourd’hui, et d’autres ne voulaient pas se définir, ce qui empêchait toute politisation de l’espace. » Lassés de ne pas se retrouver dans cette ambiance, les trois amis se lancent, persuadés qu’il existe, comme eux, un public plus jeune, plus politisé et plus divers que ceux des soirées actuelles. La soirée se définit immédiatement comme queer, un terme, à l’époque, encore peu usité : « On a décidé d’utiliser le terme queer – assez rejeté à l’époque – pour signifier le mélange des genres, des identités et des sexualités que nous voulions proposer, mélange qui est à la base quelque chose qui nous définit en tant que collectif : gouines, racisé·es, pédés, fluides, de classes sociales différentes… La nightlife était alors très peu dense et si ça paraissait compliqué de se lancer, c’était tout aussi excitant. »
Une soirée devenue culte
Lancée à La Java, la soirée passe au fil des années par tous les lieux du clubbing cool de la capitale comme La Folie ou La Machine. DJ résident·es, les trois fondateur·ices mettent un point d’honneur à diversifier le plus possible leurs invité·es : « Très vite, l’idée d’inviter les artistes qui nous impressionnaient et qui étaient peu, voire pas du tout booké·es en France est devenue une excitation supplémentaire. » La formule fonctionne immédiatement. Les soirées font salle comble, et la diversité y est de mise. Tahnee, jeune femme lesbienne, se souvient : « c’est la première soirée queer à laquelle je suis allée et qui m’a fait comprendre que c’était ça ma maison : la queerness ». Même constat pour Hugo, qui est monté faire ses études à Paris en 2010 : « j’arrivais de la campagne profonde, je ne connaissais personne, je venais tout juste de sortir du placard et je n’avais jamais fait de soirée gay de ma vie. Le cliché total haha ! C’est un pote de promo lui aussi gay qui m’a parlé de cette soirée. Quand j’y suis arrivé pour la première fois j’ai cru rêver, tout me semblait incroyable. C’est devenu mon rendez-vous. » Désir, joie, excentricité, la Flash Cocotte est pour beaucoup l’occasion d’oser les tenues les plus folles. Pour Eva, jeune femme lesbienne, « c’est à ce moment-là que j’ai réalisé que les fem existaient et que je pouvais toujours être lesbienne en étant féminine. C’était aussi un super endroit pour pouvoir sortir dans toutes les tenues possibles sans pour autant être sexualisée toute la soirée. » Une liberté qui plaît et qui permet à toute une jeunesse queer de s’émanciper loin du carcan des soirées gays trop normées.
Une rare longévité
Fait rare pour une soirée, en 2023 la Flash Cocotte existe toujours. « Je crois qu’on ne s’ennuie pas, tout simplement, et puis il y a régulièrement à Flash Cocotte des moments de communion sur le dancefloor très intenses », explique le collectif. Et pour cause, les organisateur.ices ont su se renouveler et s’adapter aux évolutions de la décennie passée, fidélisant un public d’habitués tout en attirant toujours de nouvelles personnes ayant atteint l’âge d’aller en club. « En termes de direction artistique musicalement, on a été dans plein de directions, du punk rock à la hard techno, on ne se refuse rien quand on le sent, et sur la communication visuelle ou la déco, c’est pareil. » Pour Hugo : « je ne vais plus autant à la soirée qu’à l’époque, car j’ai vieilli haha, mais la Flash reste pour moi une incroyable madeleine de Proust de ma vingtaine et un endroit où j’ai pu pécho en toute liberté un nombre incalculable de beaux mecs ! » Le collectif embraye « Pour beaucoup, le clubbing est très ponctuel ou ne dure que quelques mois dans une vie d’études, de travail, d’engagements parfois super difficiles, c’est une sorte de parenthèse dont le souvenir rappelle qu’un autre monde est possible ! » De ces quinze ans de soirées, Pipi de Frèche, Nizar et Dactylo retiennent surtout la certitude d’avoir contribué à changer les choses dans le monde de la nuit queer, de nos jours remplie de soirées en tout genre. À eux de conclure : « La Flash Cocotte est aussi d’une certaine manière un espace expérimental de looks, d’attitude, de sexualité, on entend ça très souvent dans ce qu’on nous dit et ça nous rend fièr·es ! »
Merci la Flash, on espère pouvoir clubber chez vous encore de longues années !
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Illustration : © Léane Alestra
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