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Violences faites aux femmes : grande cause nationale au rabais

Violences faites aux femmes : grande cause nationale au rabais

Le 26 octobre dernier, Envoyé Spécial consacrait son émission au témoignage de l’actrice Asia Argento, figure emblématique du mouvement mondial #metoo. Sur le plateau, Élise Lucet avait notamment à ses côtés Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Que répond Marlène Schiappa quand la journaliste lui demande ce que le gouvernement fait pour lutter contre les violences sexuelles ? Entre autres, « Nous faisons de la communication, de la prévention. » Malgré le fait que cette réponse était quelque peu évasive, la secrétaire d’État laissait présager donc que le gouvernement avait un plan.

Or aucune des déclarations ou propositions faites autour du, ou même le 25 novembre, journée mondiale de lutte contre les violences faites aux femmes, ne sont satisfaisantes. Pire, la proposition gouvernementale se révèle n’être qu’un triste coup de communication, problématique sur le fond et dans les mots choisis.

La plainte c’est bien, la délation c’est mal.

Depuis la vague de témoignages de violences sexuelles, la militante féministe Caroline De Haas avait lancé une pétition pour exhorter le gouvernement à lancer un plan d’urgence pour lutter contre ces violences. Sans réponse. Le discours d’Emmanuel Macron le 25 novembre était donc pour le moins très attendu, et en 2017 il était annoncé que ce serait la « grande cause du quinquennat ».

« C’est notre société toute entière qui est malade du sexisme » : l’exercice se déroule normalement, convenablement, jusqu’à la minute de silence d’hommage aux femmes décédées sous les coups. Ensuite les choses basculent. Le Président réaffirme le devoir de justice de la République, et qu’il ne veut pas que nous « tombions dans une société de la délation. » Vous le sentez venir ? Patatra… Emmanuel Macron « ne veut pas que nous tombions dans une société où chaque rapport entre un homme et une femme devient une suspicion. Nous ne sommes pas une de ces sociétés puritaines. » Le Président annonce que le budget alloué à la lutte est en augmentation, qu’il sera « à son plus haut niveau jusqu’à présent » et atteindra plus de 420 millions d’euros en 2018. Il n’oublie pas au passage de saluer Edouard Philippe et cinq ministres présent-e-s ce jour-là, qui prennent sur leur temps libre du samedi. Bravo.

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Dans ma conception de l’Etat on vient en aide aux victimes. On ne pense pas à rassurer les porcs soudainement cachés dans les buissons, effrayés par une telle déferlante de témoignages les mettant devant leur propre laideur. On ne menace pas, on n’accuse pas, on ne ralentit pas, à mi-mot, les femmes qui osent parler. Il faut vraiment ne jamais avoir eu peur pour sa propre sécurité, celle de sa mère, de sa sœur, de sa tante, de son amie, pour oser dire cela. Mais les choses ne s’y sont pas arrêtées.

Lutter contre les violences oui, mais sans débat ni contradiction.

Rapidement, l’insatisfaction des militant-e-s se manifeste et se cristallise autour du hashtag #PasauRDV. Le lendemain, le 26 novembre, des associations féministes manifestent dans toute la France pour protester et signifier qu’elles se sentent flouées. Qu’on les a « un peu prises pour des quiches » comme dirait la journaliste Giulia Foïs.

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Et alors là, les choses prennent la tournure d’une mauvaise farce. Marlène Schiappa, interrogée au sujet de ces manifestations, déclare que « ce sont 20 personnes anti-Macron contre le gouvernement » qui s’agitent. Caroline De Haas piquée, partage son désarroi sur Twitter et interpelle la secrétaire d’Etat qui lui fait une réponse… d’anthologie, dirons-nous. Violences_tweet_caroline_de_hass_manifesto21

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Les associations représentant une partie de la société civile, de quel droit une représentante de l’Etat peut-elle tenter de la réduire au silence ? Aucun. Le budget annoncé en hausse par Emmanuel Macron a été décortiqué depuis pour révéler qu’il n’a pas été augmenté… Ou plus exactement, qu’il a été augmenté de… 7401€, soit 0,0002€ par femme. Caroline de Haas a depuis actualisé sa pétition avec le détail de ce calcul.

420 millions : le budget n’a pas augmenté, autrement dit tout cela n’est que de la poudre (de Perlimpinpin) aux yeux. Le ridicule ne tue pas. Enfin pas les politiques, les femmes battues c’est une autre histoire.

Un combat culturel, ça se gagne par les mots — qu’on essaie de mieux choisir —, certes mais aussi avec des moyens. Une grande cause nationale, c’est beau mais encore faut-il se donner les moyens de ses ambitions pour être au rendez-vous de l’histoire – dont on peine, donc, à voir le tournant – et ne pas juste se donner bonne conscience. Asia Argento espérait que la France soit le moteur d’un changement culturel, hélas cet espoir en notre gouvernement est bien mal placé. Quand le Président ne veut pas tomber dans la suspicion de rapports de domination – une domination pourtant documentée par des décennies de travaux –, et que le Premier Ministre s’inquiète avant tout des « accusations excessives » de harcèlement sexuel et de se voir « interdire une forme de séduction intellectuelle », on peut rapidement comprendre que le combat culturel n’a pas encore trouvé ses chevaliers. Ou plutôt qu’il ne faut pas compter sur d’opportunistes hérauts pour le mener, mais bien sur ces associations qui résistent avec cette tribune publiée aujourd’hui samedi 02 décembre dans le Monde.

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