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Non, #balancetonporc n’est pas une délation.

Non, #balancetonporc n’est pas une délation.

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Depuis les révélations de l’affaire Weinstein, un certain nombre de personnalités issues du monde politique et de la culture ont pris la parole afin d’apporter un éclairage plus ou moins avisé sur la démarche de dénonciation récemment entreprise à travers les réseaux sociaux à l’aide des hashtags #metoo et #balancetonporc.

Entre ceux qui feignent la sollicitude pour se racheter une éthique après des années de silence (#onvousvoit), ceux qui invoquent la grivoiserie pour justifier les comportements les plus abjects, ceux qui déplorent le choix du terme “porc” pour désigner les assaillants, ou les juristes du dimanche qui s’indignent, vent debout, contre les atteintes portées à la sacro-sainte présomption d’innocence, plus prompts à signer une pétition de soutien en faveur de Polanski qu’à faire front commun aux côtés des personnes agressées : il y a à manger, à boire et surtout de quoi tout régurgiter ensuite.

Le paysage médiatique français de ces dernières semaines est saturé de discours pseudo-bienveillants ou paternalistes qui se rejoignent presque tous autour d’une même idée brillante et résolument novatrice :  « Portez plainte si vous voulez qu’on vous écoute ». Comme quoi, la start-up nation peut aussi être à l’avant-garde du pire.

Et pour cause ! Quand témoigner publiquement devient le seul moyen pour des milliers de personnes d’interpeller la société à défaut d’être entendues par la Justice, ne devrait-on pas au moins s’efforcer de prêter une oreille attentive ? Il est impossible d’apprécier la force de cette mobilisation exceptionnelle sur les réseaux sociaux, sans rappeler que ces plaintes ne trouvent souvent ni écoute ni écho dans le système judiciaire. Avant de blâmer les victimes et le médium qu’elles choisissent pour communiquer leur douleur, ce sont les institutions et les normes sociales qui les produisent qu’il faudrait sans doute questionner.

La prise en charge des victimes est rarement appropriée

Parce qu’au risque d’enfoncer des portes ouvertes à grands coups de talons castrateurs et liberticides, le dépôt de plainte pourquoi pas, mais encore faudrait-il que les institutions suivent derrière. En effet, la plupart des victimes vous le diront, l’accueil des policiers et des gendarmes oscille bien souvent entre le “très maladroit” et le carrément traumatisant.

Faute de formation adéquate (ou de cerveau fonctionnel) certains officiers n’hésitent pas à faire des remarques aux plaignants à propos de leur tenue vestimentaire, convaincus que la gravité d’une agression se mesure à la profondeur d’un décolleté, ou la longueur d’une jupe. Sous-entendu : si on voyait le début de ses genoux, c’est que la personne l’avait un peu cherché quand même.

Et puis il y a aussi ces agents dépourvus d’empathie qui interrogent les victimes sur leurs positions préférées ou leurs habitudes au lit et se permettent de faire des blagues sur le viol.

Enfin, au sommet de la pyramide des individus qui se sont assis sur leur dignité, on trouve les enquêteurs qui découragent carrément les victimes de porter plainte, comme dans ce passage édifiant extrait du film documentaire Faits divers de Raymond Depardon, tourné en 1983 et diffusé récemment dans l’émission C Politique.

Daté ? Pas tant que ça. Et peut-être pas si éloigné non plus de la réalité actuelle, notamment en ce qui concerne les dépôts de plainte pour harcèlement sexuel*. 

Alors bien sûr, il existe aussi des policiers et des gendarmes qui font preuve de beaucoup d’humanité et savent être à l’écoute. D’autant plus lorsqu’il s’agit d’agents spécialisés dans le traitement de ce genre d’affaires. Mais les témoignages allant dans ce sens sont malheureusement trop rares encore, et l’attitude des forces de l’ordre ajoute à l’angoisse de revivre son agression en détails, la peur de se sentir humilié.

Il faut dire aussi que le manque de moyens pour préparer les agents à recevoir ces plaintes pèse lourd dans la balance et que l’Etat gagnerait à mettre la main au portefeuille pour offrir davantage aux représentants de la loi que des journées de sensibilisation ou des formations uniquement proposées sur la base du volontariat.

La mobilisation sur les réseaux a eu de réels effets bénéfiques 

Pourtant, dans le sillage de l’affaire Weinstein et du lancement de #metoo et #balancetonporc sur Twitter, le nombre de plaintes en gendarmerie a considérablement augmenté. Une hausse de 30% par rapport à la même période de l’année précédente qui laisse peu de doute quant à l’influence des témoignages en ligne sur la libération effective de la parole.

Le verdict est donc sans appel : les réseaux sociaux sont intervenus en l’absence de réponse appropriée de l’Etat. Ce faisant, ils ont permis d’interroger les institutions et de remettre en question la prise en charge des personnes agressées. Qui plus est, ils ont servi de supports d’expression directe pour les victimes souvent muselées par un sentiment de honte. Désormais, c’est l’impression de faire bloc et  d’appartenir à un mouvement mondial aussi solidaire que salutaire qui semble prendre le dessus sur la peur.

Autre conséquence réjouissante : quelques têtes sont tombées, et pas des moindres. Des figures que l’on croyait intouchables, des comédiens ou des politiques qui parfois se drapaient derrière un féminisme de façade ont été contraints de répondre de leurs agissements. S’il a fallu pour cela renoncer à certains de nos héros, et bien tant pis. Pourvu que la vérité éclate et que les langues se délient.

Cette libération de la parole a aussi conduit beaucoup d’hommes à interroger leur propre comportement et à se remettre en question. Qu’il s’agisse de changer leur attitude vis-à-vis des personnes susceptibles d’être agressées ou de prendre conscience du rôle qu’ils peuvent jouer à leurs côtés en tant qu’alliés.

Enfin, dans une autre mesure, la mobilisation des réseaux semble avoir donné du fil à retordre aux personnes morales. On pense notamment au groupe Webmedia dont la direction s’est récemment fendue d’un communiqué pour condamner les appels à la violence de plusieurs utilisateurs du forum “18-25” du site jeuxvidéo.com à l’encontre de la journaliste Nadia Daam et des créateurs du numéro “anti-relous”, Clara Gonzales et Eliott Lepers.

Il aura fallu plusieurs menaces de viol et de meurtre mais surtout (surtout) la pression des annonceurs, interpellés par les internautes puis sommés de se retirer sur les réseaux sociaux, pour que le site prenne véritablement ses responsabilités et annonce son intention de porter plainte contre les coupables. Pourtant, beaucoup dénonçaient déjà depuis quelques années les raids menés par certains membres du forum qui harcelaient youtubeuses et journalistes en toute impunité en se servant du site pour organiser leurs actions (si vous voulez vous faire du mal, allez jeter à un coup d’œil à cet article).

Marion Seclin, youtubeuse féministe et cible favorite des 18-25

Mais alors que peut-on reprocher aux réseaux sociaux ?

La réponse peut sembler évidente, néanmoins, elle mérite qu’on s’y intéresse de plus près. Les “fausses accusations”. La plupart des personnalités interrogées n’ont que ces deux mots à la bouche lorsque l’on évoque l’actualité. La crainte que des noms soient salis sans raison, jetés en pâture et offerts sur l’autel sacrificiel du féminisme “hystérique” à l’ire de l’opinion publique et des médias en quête de buzz. L’angoisse que des carrières soient détruites pour en relancer d’autres, ou bien simplement pour obtenir de l’argent.

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Alors à la moindre dénonciation, certaines personnes s’empressent de commenter et de tirer leurs propres conclusions. Et c’est parti pour le grand festival des clichés, de la femme forcément vénale en quête d’un dédommagement financier à l’acteur raté en mal de notoriété.

Toutefois, n’en déplaise à ceux qui dégainent les poncifs plus vite que leur ombre ou qui osent comparer le collaborationnisme nazi avec les récentes révélations (coucou Eric Zemmour et le point Godwin), si les dénonciations calomnieuses sont une réalité, elles ne représentent qu’une minorité des cas* et qu’il s’agisse de Weinstein, Kevin Spacey ou Louis C.K, les accusations qui ont fait le plus de bruit jusqu’à présent n’ont pas été démenties.

Le comédien Kevin Spacey, accusé par plusieurs hommes de harcèlement sexuel et d’agression.

Faut-il d’ailleurs rappeler que la plupart du temps, les victimes n’osent même pas en parler ? À titre d’exemple : 15848 viols ont été déclarés en France en 2016, quand le Haut Conseil à l’Egalité estime que le nombre de viols ou de tentatives de viol, hommes et femmes confondus, est plus proche des 100 000 pour la même année. Alors oui, les fausses accusations existent mais doit-on pour autant substituer la présomption d’innocence des prédateurs potentiels à la présomption de culpabilité des personnes agressées ?

D’ailleurs, que les plus farouches défenseurs de la cause masculiniste se rassurent, il semblerait que même lorsque les dénonciations sont avérées, beaucoup d’artistes et d’hommes* influents trouvent encore des gens pour les protéger, les défendre ou leur donner du travail. On ne peut pas toujours en dire autant des victimes.  

Les réseaux sociaux, une médiation et une médiatisation influente

Au même titre que les journaux ou chaînes de télé qui influencent l’opinion publique, le réseau social est un média. Qu’il soit le prolongement virtuel d’une personne réelle, et plus seulement le produit d’un organe de presse ne change rien à l’affaire : il est de notre devoir d’analyser l’information donnée, de la soupeser et de ne rien prendre pour argent comptant.

Rappelons aussi que le système juridique, tout comme l’Etat de droit, existent pour une raison, et bien que les institutions ne fonctionnent que partiellement, un retour à une forme de vengeance personnelle est tout sauf souhaitable. 

Mais pour l’heure, réjouissons-nous tout de même de l’impulsion donnée. Écoutons la parole collective des victimes et tâchons d’en faire le point de départ pour réformer la société et la Justice. Parce que par-dessus tout, ce qui devrait vraiment nous empêcher de fermer l’œil la nuit, c’est que des agresseurs passent encore sous les radars et que cette situation perdurera tant que les victimes n’auront pas le courage de s’exprimer.

Alors oui, restons vigilants afin de ne pas livrer des personnes innocentes à la vindicte populaire et expéditive. Mais ne craignons pas tant l’écho de la rumeur que de laisser à nouveau le silence s’installer. 


*À la décharge des policiers, ils sont classés sans suite dans 90% des cas… 

*Difficile d’en donner le chiffre exact mais il se situerait entre 2 et 10%

*96% des agressions et viols sont commis par des hommes 

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