Souvenez-vous, en juin dernier nous vous présentions l’EP1 (La Tebwa – Idol) du projet Fictions, concocté par le producteur touche-à-tout Guillaume Léglise (itw ici). Cinq titres french pop tout de synthés composés, livrés dans un écrin nostalgique made in 1980. Du rétro vers le futur, c’est le sillon que semble creuser le projet du producteur qui, ce vendredi 15 février, dévoile le clip de la piste inaugurale de l’EP, “UFO”.
Avec ce scénar tripé en noir et blanc conçu en concertation avec le compositeur, l’équipe de BETC nous fait décoller le temps d’un trip, dans une galaxie où l’on croise des personnages tout droit sortis de films de science-fiction ou de dystopies d’anticipation. Les premières images évoquent Alphaville, le film Orwellien de Jean-Luc Godard (1965) où le système fait la chasse à l’amour et à la poésie. L’image « si génialement cinématographique » du héros pris dans une course effrénée le long d’un étroit couloir sera d’ailleurs reprise telle quelle dans Matrix des frères Wachowski, lorsque Neo se retrouve au sein de la Matrice.
Nul doute que le réalisateur, Laurent La Rosa, rend hommage en le revisitant au film de Godard. Même l’éclairage au néon reproduit ce clair-obscur qui maintient les personnages dans un lieu qui échappe au temps et à la géolocalisation. Dans l’espace circonscrit, limite oppressant, d’un couloir qu’on se figure en sous-sol, on se demande comment va s’en sortir le corps inanimé de l’interprète pris au piège d’un bébé d’1,80 m qu’on imagine volontiers cultiver sa perversité polymorphe.
D’Orwell à Roswell
Pris en otage par ce poupon effrayant, le producteur, yeux bandés puis paupières collées par du sparadrap, sert de cobaye à ce morveux aux allures d’exorciste –si ce n’est de Dr Mengele. Une thématique de l’expérimentation vouée à la destruction de l’âme, de la poésie et de la réflexion, qui nous plonge avec efficacité dans cette inquiétante étrangeté que les freaks ont à cœur d’explorer pour mieux nous renvoyer aux aberrations –et, surtout, aux coercitions– que nous impose la vie en société.
Un coup de poing dans la norme, pour goûter au plaisir de s’en écarter, qu’a aussi mis en scène Aphex Twin, dans un registre bien plus oppressant, avec le clip “Rubber Johnny” (réalisé par Chris Cunningham). Le clip évoque aussi une œuvre incontournable pour qui aime les films d’anticipation où le noir et blanc ne tient pas qu’à la pellicule mais au propos qu’elle véhicule : dans La Jetée (1962), de Chris Marker, on retrouve ce personnage aux yeux bandés comme pour rappeler au spectateur qu’il a intérêt à les garder bien ouverts s’il ne veut pas finir broyé par la violence des structures organisées.
Une vison pessimiste de l’existence que le scénario finit par déjouer : en suivant l’ascension du chanteur, dont le corps en lévitation se retrouve propulsé au beau milieu de la galaxie, on pourra, comme dit la chanson, voir la Terre d’en haut « comme une pierre qui brille » et ainsi se réconcilier avec sa beauté. Guillaume Léglise nous invite-t-il ainsi à nous évader, ou à prendre de la hauteur, pour échapper aux vicissitudes d’une société de plus en plus effrayante pour qui tient à rester libre autant que faire se peut en ces temps troublés ?
L’EP comprend également trois remix et une nouvelle piste, “À la lueur de l’eau”. Pour ce titre inédit, l’artiste s’est entouré de deux nouvelles parolières, Aurélie Oziol et Agathe Genieys (aka Track-A) qui lui ont livré un texte propice aux plongeons en lagons indigo. Un peu de douceur, encore, pour échapper à ce monde de brutes. Dispo sur les plateformes depuis le 8 février, le remix d’“UFO” par Id!r (boss de Mange_moi Records, un label plein de pépites kraut et techno), envoie des basses dès l’intro et assèche les synthés pour transporter le titre sur le darkfloor d’une soirée où l’on se voit déjà transpirer. Badknife prend le parti de faire s’envoler les claviers, histoire de se présenter, avant d’envoyer un kick à toute épreuve. Le remix diablement house de Demon joue sur les modulations synthétiques de la voix, retravaillée comme un métronome éraillé qui lorgnerait vers les profondeurs.
Un album est prévu courant 2019.