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#PurpleNoise dénonce le « despotisme algorithmique »

#PurpleNoise dénonce le « despotisme algorithmique »

#PurpleNoise ManifestoXXI

Dans leur happening « Opting out is not an option », le collectif allemand #Purplenoise dénonce le « despotisme algorithmique » présent sur les réseaux sociaux et plus largement sur Internet. Avec en figure de proue la cyber-féministe allemande Cornelia Sollfrank, le collectif entend combler le gap entre cyber-féminisme des années 70 et l’activisme numérique d’aujourd’hui.

Comme la plupart des approches critiques en matière de technologie, le cyber-féminisme hérité des années 1970 postule qu’aucune technologie n’est par principe neutre. Chaque outil, artefact, dispositif technologique que nous utilisons incarne des structures sociales qui sont marquées par des rapports de pouvoir, qui peuvent se traduire en termes de race, de classe sociale ou de genre.

Deux attitudes dominent actuellement cette critique radicale des technologies numériques : le boycott ou refus de toute utilisation des réseaux sociaux voire d’internet – si tant est que c’est possible – ou, à l’inverse, l’utilisation des réseaux sociaux dans une perspective militante. Le succès de certains comptes Instagram ou Twitter brandés féministes peut être vu comme encourageant, mais plusieurs phénomènes combinés tels que les « bulles de filtres », la suppression systématique des posts, ou encore le cyber-harcèlement des militant.e.s incitent à penser que l’activisme en ligne a tout de même ses limites.

Il n’est pas certain que celui-ci permette réellement de bousculer les opinions préétablies de leur audience, ou alors, à en juger par mon fil Twitter, Trump n’aurait jamais été élu. Une critique féministe radicale des nouvelles technologies qui sont devenues si indispensables à notre quotidien doit-elle alors s’exempter de toute présence en ligne ? Faut-il se couper de tout et partir élever des chèvres dans le Larzac pour critiquer Facebook et Twitter ?

Algorithmic despotism #PurpleNoise

La noisification, stratégie militante

L’existence de #PurpleNoise émerge de ces interrogations. Fondé en septembre 2018, le collectif refuse de boycotter les réseaux sociaux, y voyant une tactique au mieux inutile, au pire contre-productive. A l’inverse, il les saisit à bras-le-corps, essayant de créer le plus de « bruit » possible, faisant de la noisification de l’internet sa stratégie. Comme l’explique sa porte-parole Cornelia Sollfrank : « si vous connaissez notre groupe, vous savez que nous sommes en réalité minuscules. Mais si vous regardez nos hashtags, vous aurez l’impression que nous sommes une multitude, un mouvement. Nous faisons du bruit, nous investissons l’espace public en ligne ».

La noisification comme principe d’action, le tapage comme arme technopolitique révolutionnaire.

Les technophiles le savent, les technologies d’information et de communication peuvent être parasitées par du “bruit” (scrrrrrtch sccrrrtch), qu’il va s’agir de trier de l’information. Pour les plateformes comme Facebook, Twitter ou Google, cela signifie trier les informations pertinentes issues de nos comportements sur les réseaux sociaux, des erreurs, fautes de frappe et autre bruit ambiant et sans intérêt (monétaire). Selon #PurpleNoise, réside là une faiblesse de ces plateformes, qu’elles entendent bien exploiter : faire exploser du contenu, des absurdités, brouiller les pistes, créer du bruit, tromper les algorithmes, faire croire aux plateformes qu’on est une mutlitude. La noisification comme principe d’action, le tapage comme arme technopolitique révolutionnaire. Un titre qui sonne comme un programme : Cornelia Sollfrank rappelle que le violet est la couleur du féminisme depuis les années 70. Purple Noise, bruit violet. Tout est dit.

PurpleNoise Manifesto21
Manifeste de #PurpleNoise©

Des antennes pour percevoir le réel

Cette politique du tapage se traduit aussi par des actions IRL, sur lesquelles Sollfranck insiste. Au festival Transmediale, qui se tenait à Berlin du 31 janvier au 3 février, #PurpleNoise est présent sous la bannière « I use my feelers » – « J’utilise mes antennes » – en distribuant des antennes bricolées, une façon d’engager l’audience dans une réflexion sur la technologie comprise comme intermédiaire entre notre expérience du réel et nous-même. Ainsi, de la même façon que nos smartphones sont bien souvent la prolongation de nos mains, les feelers de #PurpleNoise sont conçus comme des antennes nous permettant de (res)sentir le réel. Mais comme le souligne le collectif, les feelers servent bien d’autres buts que ceux des outils numériques dont nous sommes esclaves : créés par des membres, ils sont bricolés, fragiles mais réparables, familiers, récupérables.

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Leur simple présence souligne par contraste à quel point nous manquons de contrôle et capacité d’action sur les outils numériques que nous utilisons. Les smartphones sont tout l’inverse de ces feelers : ils sont conçus avec l’objectif assumé de capter notre attention dans des buts publicitaires, rappelait l’artiste et activiste Hannah Davis en début de festival. De la conception à la fabrication dans des conditions désastreuses tant du point de vue humain qu’écologique, à l’utilisation et l’obsolescence de nos outils numériques, nous n’avons pas le choix.

Opting out is not an option : hors de la matrice, point de salut

L’option de sortir, de refuser la technologie telle qu’elle existe aujourd’hui n’est tout simplement pas offerte, dénonce le collectif qui n’hésite pas à parler de “despotisme algorithmique”. Pour Cornelia Sollfranck, les choses sont claires : nous vivons à l’intérieur de la technologie, sans perspective de dehors. Il est vrai que l’infrastructure numérique semble tout englober : des satellites, aux câbles sous l’océan, jusqu’aux puces, réseaux Wi-Fi et autres objets connectés.

Les antennes bricolées sont là pour nous rappeler que nos outils dépendent de la société dans laquelle ils sont créés. Ils pourraient donc être différents, moins high-tech, plus respectueux de l’environnement ou de la vie privée. Ils pourraient remplir d’autres objectifs et promouvoir d’autres rapports au monde. Comme n’importe quel despote, les algorithmes peuvent être renversés.

I use my feelers #PurpleNoise
© #PurpleNoise

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