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Uèle Lamore, une virtuose en quête de simplicité

Uèle Lamore, une virtuose en quête de simplicité

Depuis son premier EP Tracks, composé avec des sons recueillis à Kyoto, l’artiste franco-américaine Uèle Lamore explore l’infinité de possibilités qu’offre la musique. Elle vient de dévoiler son premier album Loom, signé chez Sony, un disque conçu « avec amour, avec soin et avec beaucoup d’intention ». 

Formée au Berklee College of Music de Boston, Uèle Lamore est cheffe d’orchestre associée et arrangeuse au sein du London Contemporary Orchestra (LCO). Elle a collaboré avec de nombreux artistes comme Alfa Mist, Max Cooper, Étienne Daho, Silly Boy Blue ou encore Moor Mother. Allant toujours plus loin dans l’expérimentation et l’hybridation sonore, elle s’est plus récemment affirmée en tant que compositrice et productrice, concevant ainsi la BO du premier documentaire d’Aïssa Maïga, Marcher sur l’eau (2021). 

Influencée par la new wave, le rock, le jazz, le hip-hop ou encore l’ambient, Uèle a conçu un disque « fun » et « accessible », selon ses mots, car elle souhaitait avant tout partager en live sa fascination pour la joie que peut procurer la musique. En mêlant les voix de Gracy Hopkins, Cherise, Silly Boy Blue et les cordes du LCO à son style expansif, elle est parvenue à tisser le fil sonore d’un album qui déploie avec sincérité un vaste éventail de textures et d’émotions.

© Antoine de Tapol

Manifesto XXI — Comment s’est construit cet album ? Comment l’as-tu composé ? 

Uèle Lamore : Au début, j’avais écrit plein de titres sur le modèle d’un album, mais il n’y avait aucune ambition de sortie ou de labellisation. Je l’avais fait pour passer le temps, pour voir aussi ce que je pouvais faire et c’était resté dans le disque dur. Il s’est écoulé un an et demi et tu oublies un peu ce que tu as fait. Quand Sony m’a offert un deal, j’étais là : « Merde, il faudrait peut-être que je réécoute ce que j’ai signé ». Donc, j’ai réécouté et ça ne me plaisait pas du tout. C’était très hermétique dans le propos, c’était très cérébral. Je me suis dit qu’il fallait que je le retravaille complètement et que je lui donne une dimension plus accessible, limite plus pop. J’ai vraiment switché le disque à 180 degrés. On a mis des guitares, des feats avec les chanteurs et chanteuses, ce n’était pas du tout des choses qui avaient été envisagées avant. Je voulais vraiment faire un disque qui soit accessible et compréhensible pour tout le monde, mais qui en même temps offre quelque chose de nouveau. Je me suis dit que j’allais faire un disque sans me prendre la tête sur des questions de genre ou de style, mais simplement faire des choses que j’aimerais entendre et que tout le monde comprenne.

Parce qu’à l’origine, c’était de l’électro ambient…

C’était de l’électro ambient expérimentale. Il y avait des parties cool et certaines choses ont survécu et sont passées sur la vraie version… mais, c’était tellement niche. Chez Sony, ils ont kiffé, mais quand je l’ai réécouté, je me suis juste dit : Si j’ai la chance de faire un disque dans un grand label et qui va avoir une grosse diffusion, j’ai envie de faire quelque chose qui soit compréhensible, et non pas qui te pète le crâne en deux secondes. 

Qu’as-tu voulu raconter finalement à travers l’album ?

Avec la première version, c’était un album qui était vraiment très narratif, très graphique et qui parlait de plein de choses en rapport avec la nature. Quand je l’ai repris, ça n’a plus du tout été ça, rien à voir. Je me suis dit que j’allais l’écrire en ne pensant pas forcément à une histoire, mais en ayant des titres qui soient à la fois très généraux, mais qui forcément évoquent quelque chose à l’esprit quand on les entend ; que, quand tu l’écoutes, que ce soit toi qui décides de quoi ça parle. Ça peut parler de choses et d’autres, mais l’idée est que ce soit ouvert à l’interprétation. J’ai voulu faire quelque chose qui soit vraiment un objet à donner à l’auditeur. Il le prend et en fait ce qu’il veut, c’est-à-dire qu’il le catégorise dans tel genre, il décide que ça parle de ça ou de ça.  

Je voulais vraiment faire un disque qui soit accessible et compréhensible pour tout le monde, mais qui en même temps offre quelque chose de nouveau.

Uèle Lamore

Loom signifie « métier à tisser ». Peux-tu me parler du titre de cet album ? 

L’idée du métier à tisser, c’est de raconter des histoires, ce sont plein de fils qui se rejoignent. Au niveau du son aussi, ce sont plein de choses différentes qui se mélangent et qui s’accordent. 

Dans plusieurs interviews, tu dis que ton processus de composition est d’essayer d’écrire la bande-son d’une histoire, avec l’idée d’une projection visuelle. As-tu des processus de création particulier ?

J’ai commencé à vraiment kiffer la musique en regardant MTV. Dans les années 2000, il y avait des clips avec des hélicoptères et plein de trucs de malade. Je pense que mon premier rapport vraiment intense avec la musique, ça a été via les clips. Quand je pense la musique en faisant de la prod et de la compo, je pense forcément à un clip. Je m’imagine un clip qui n’existera sûrement jamais parce qu’il coûterait 200 000 euros (rires). Mais j’aime le fait que ça évoque des images. Dans le disque, un des partis pris est qu’il y ait beaucoup de sound design, c’est-à-dire des bruits de skate, de nature, ce qui va permettre d’évoquer des choses assez littéralement. 

Est-ce que ton imaginaire artistique se nourrit de ton imaginaire d’enfant ?

Je pense que c’est toujours hyper important d’écouter l’enfant qui est en toi. Je trouve que c’est con quand les gens disent : « Ce sont des choses d’enfants ». Il n’y a pas d’âge pour regarder des dessins animés, pour t’acheter un truc Star Wars en Lego. Certaines personnes disent que quand tu arrives à l’âge adulte, tu dois refuser de te faire des kiffs qui n’ont aucun sens juste histoire de le faire. Moi, je regarde plein de mangas, j’achète des BDs, je peins des Warhammers.

Il y a beaucoup d’émotions contrastées qui se dégagent de l’album et le contraste est le mot d’ordre que tu as voulu donner à cet album. Comment en es-tu arrivée à ce résultat ?

Je voulais vraiment faire un disque qui soit pensé de la track 1 à la track 11 comme un cheminement. Il y a beaucoup de disques qui sont faits, surtout ces dernières années, comme un enchaînement de singles et tu paries sur le fait qu’il y en ait un qui marche. Je voulais plus quelque chose qu’on écoute d’une traite dans le meilleur des mondes. C’est pour ça que, dans cette optique-là, il faut des contrastes. Si tu es tout le temps à 200 %, tu fatigues très vite. Il y a des disques que j’adore mais que je ne peux pas écouter en entier, parce que c’est un peu too much. C’est une des raisons pour lesquelles il y a des vagues un peu comme ça, mais qui ne changent pas en intensité. Je ne voulais pas de track qui soit là juste pour compléter le minutage du disque. 

Il y a aussi tout ce jeu des plateformes de streaming qui fait que tu n’écoutes plus du tout de la même manière les albums…

C’est un truc qui s’est vraiment perdu. Je pense que je suis assez sensible à ça parce que je fais partie des gens qui achètent beaucoup de vinyles. Quand tu as un vinyle, tu es obligée de l’écouter jusqu’à la fin et tu découvres l’album d’une manière hyper différente et tu comprends plus ce que l’artiste a voulu faire. Mais, je pense que c’est vraiment les gens qui écoutent du vinyle qui aiment faire ça. Quand j’en achète un, je suis trop relou. Je ne bouge pas tant que l’album n’est pas terminé. Je ne skippe rien, même si je n’aime pas la chanson, je ne vais pas skipper. 

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Je voulais quelque chose qu’on écoute d’une traite dans le meilleur des mondes.

Uèle Lamore

Comment s’est fait le choix des artistes avec lesquel·les tu as collaboré ? Et comment as-tu travaillé avec elles·eux ?

Je les connaissais tous·tes depuis un moment. Je les aimais tous·tes déjà humainement ; et ce sont des gens dont j’aime le travail. Même avant de penser à un disque, je m’étais dit : « Si un jour j’ai besoin de quelqu’un pour faire de la voix, cette personne serait parfaite ». Ça a été naturel. J’ai tout de suite su que j’allais demander ça à Gracy Hopkins, à Silly Boy Blue et à Cherise. Comme ce sont des personnes dont j’admire et respecte le travail, pour tout ce qui était paroles et interprétation des morceaux, je leur ai tous parlé assez vaguement de ce que c’était, de ce que j’avais en tête. Je leur ai dit : « C’est à ça que je pense, mais tu en fais ce que tu veux et tu as complètement carte blanche. Écris dans ton coin et après on se retrouve en studio, on voit ce que tu as fait et on enregistre ». Ça s’est très bien passé et à chaque fois, c’était trop bien !

Tu dis dans le communiqué de presse que tu voulais un disque qui puisse être génial à jouer en live. Comment as-tu imaginé ces performances ?

On est cinq donc c’est un vrai groupe. C’est un truc que je voulais et pour lequel j’ai bataillé parce qu’aujourd’hui quand tu demandes un groupe, c’est comme si tu demandais un prêt d’un million d’euros. Je joue de la guitare et du synthé, on a une guitariste, quelqu’un qui joue du clavier et du synthé, quelqu’un à la batterie et quelqu’un à la basse. Je voulais vraiment qu’en live et en disque, ce soient deux objets différents et deux expériences différentes. Quand on joue, le côté beaucoup plus rock est mis en avant et ça tabasse plus, beaucoup plus même (rires). C’était un parti pris assumé que le disque sonne différemment en live. J’ai été un peu frustrée de groupes où, quand tu vas les voir, c’est exactement la même chose. Maintenant, quand tu as deux personnes sur scène, l’ordinateur fait tout et reprend les boucles du disque, ce qui peut être cool, mais parfois, tu aimerais que ce soit un peu différent. Quand j’étais en train de faire le disque et qu’il fallait que je commence à réfléchir au live, j’ai vu qu’il y avait beaucoup de guitares dans l’album et qu’on allait forcément avoir besoin de guitaristes, ce qui voulait dire avoir une espèce de groupe. Je regardais des lives de MGMT et ça n’a rien à voir avec les albums. Ça peut déstabiliser mais je trouve que c’est très cool comme manière de faire.

Ton concert à la Gaîté Lyrique sera accompagné d’effets visuels par Akiko Nakayama. Ça part d’une de tes idées ?

Oui ! Akiko fait du live painting, utilise des encres et différents types de fluides — ça peut être du miel et des huiles — et filme tout en macro, en faisant passer des courants d’eau à l’intérieur. C’est super beau. Je l’avais vu le faire au Japan Connexion Festival à la Gaîté Lyrique il y a un moment. Et franchement, c’était incroyable, c’était un truc de fou. Je m’étais dit : « Il faudrait trop qu’elle fasse des visuels pour le disque ». Elle a fait un accompagnement vidéo track par track pour tout le live. Même nous, quand on joue et qu’on a le truc en train de tourner derrière nous, ça nous met tous un peu en transe.

Uèle Lamore présentera son album à la Gaîté Lyrique le 9 mars 2022.

Image à la une : © Antoine de Tapol

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