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SebastiAn, retour à la source

SebastiAn, retour à la source

Manifesto XXI - SebastiAn

SebastiAn est un pilier de cette vague French Touch 2.0 de la deuxième moitié des années 2000. Avec le label Ed Banger Records comme porte-étendard, le Social Club comme temple, et la Turbine comme arme, l’homme à la cigarette s’est fondu dans l’ombre durant ces dernières années mais a toujours continué de composer.

L’artiste dévoile depuis quelques mois des extraits de son prochain album : le retour du titan approche. L’occasion pour nous entretenir avec une des grandes légendes de l’électro française, deux heures avant qu’il présente son nouveau live au festival de Dour.

Manifesto XXI – Il y a presque dix ans, tu sortais Total, qui était un point d’orgue de tous les morceaux que tu avais sortis. En octobre, tu t’apprêtes à dévoiler un nouvel album. Pendant cette longue période, il n’y a pas eu de projets sous le nom de SebastiAn à découvrir. Tu avais besoin de prendre du recul sur ce personnage musical?
SebastiAn : Ce n’était pas un besoin personnel, puisque j’ai tout de même continué à travailler pendant dix ans. J’étais sur les projets de Kavinsky, Charlotte Gainsbourg, Philippe Katerine… Et donc à mes yeux, je n’ai jamais arrêté. Je ne me voyais pas comme un artiste solo, mais plutôt comme un producteur. Il y a eu un moment où deux artistes se sont chevauchés, avec des projets très différents. Et ça m’a redonné envie de faire des morceaux pour moi. Je ne suis pas procédurier, je ne me mets pas de cahier des charges pour sortir des albums tous les deux ans. Je conçois que l’on aperçoit cela comme un retour, mais de mon point de vue, je n’ai jamais arrêté.

Manifesto 21 - Chivers
© Virginia Arcaro

Comme tu viens de le dire, tu as travaillé sur les productions de nombreux artistes, français ou internationaux. Ces personnes veulent-elles un « son SebastiAn » bien précis, ou te donnent-elles carte blanche la plupart du temps ?
Avec Kavinsy, c’était différent. C’était plus un truc d’amis, pour de l’arrangement, car il était proche de Ed Banger. Pour les autres artistes qui ont fait appel à moi en tant que producteur, ils avaient tous un point commun : ils m’ont laissé totalement libres. Franck Ocean, lorsque je suis arrivé, je lui avait demandé ce qu’il souhaitait, et il m’a répondu « Tout ce que tu veux ». Avec Charlotte, ça s’articulait plus autour de discussions, et avec Katerine, ça s’est fait très rapidement, voir parfois même très bourrés. Mais à chaque fois je respectais leur vision artistique. J’ai toujours essayé de mettre le plus en valeur ces voix sur ma musique.

En plus de ces projets studio, tu as aussi bien composé pour les défilés Saint Laurent que pour des films de Romain Gavras (Notre Jour Viendra et Le Monde est à toi). Y a-t-il une différence entre ces deux exercices de musique à l’image et tes autres projets musicaux ?
C’est radicalement différent. Contrairement à la majorité de mes amis dans le monde de la musique, que ce soit Justice ou Oizo, qui ont véritablement des images qui leurs viennent en tête quand ils font de la musique, moi c’est strictement l’inverse : je n’ai aucune image qui me vient lorsque je fais de la musique. Donc quand j’en fais pour un film ou un défilé de mode, ça fonctionne car là, on m’en donne des images. C’est très différent et ce n’est pas du tout le même processus créatif. Pour moi, je me sens limite plus libre, alors que c’est censé être plus cadré. J’ai plus de place pour faire ce que je veux.

Me contraindre de donner telle émotion à tel moment, paradoxalement, me rend plus libre dans mes compositions.

Si Saint Laurent sortait une collections de bombers rouges avec les inscriptions « Chivers » sur le dos, tu y mettrais quoi comme sonorités ?
Je pense qu’il faudrait reprendre un peu les codes des Chivers [rires]. C’est marrant que tu parles de ce film car cette BO-là ( celle du film Steak, ndlr) s’est faite très rapidement. J’ai peut-être ça en commun avec Quentin Dupieux (Mr Oizo), qui est de concevoir que le cerveau est l’ennemi de la musique. Si tu conçois les choses au préalable, elles sont un peu biaisées. On s’est enfermés pendant une semaine avec Oizo et Sebastien Tellier dans un studio, et on a composé sans réfléchir. Histoire que ça colle à cet univers quasi « gaguesque » mais qui n’est pas si loin de la réalité d’aujourd’hui.

Le gang CHIVERS du film Steak de Quentin Dupieux. De gauche à droite : Jonathan Lambert, Kavinsky, Ramzy Bedia, SebastiAn, Laurent Nicola

Si on revient à la turbine de l’époque, ça voulait ni plus ni moins qualifier une chose : sans le cerveau.

Dans les années 2000, tu as été l’ambassadeur d’un style de musique électronique pendant son âge d’or : la Turbine. Quel est ton avis sur ce terme et ce qu’il représente aujourd’hui ?
Je pense qu’on en entend moins parler aujourd’hui car elle a été reprise par cette vague d’EDM, qui à mon avis est une traduction de ce style par les Américains. Mais si on revient à la Turbine de l’époque, ça voulait ni plus ni moins qualifier une chose : sans le cerveau. Pour te donner l’équivalent, c’est comme si tu prenais une bande d’adolescents qui découvrent une guitare et des amplis et qui font n’importe quoi avec. Sauf que nous on faisait ça avec des ordinateurs.

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On m’a toujours associé à quelque chose de très Death Metal, je pense à cause de morceaux comme « Doggg » par exemple, alors qu’en fait j’y connais strictement rien.

En analysant scientifiquement tes morceaux, on entend qu’il y a des choses qui reviennent souvent dans ta musique: le son des synthés est dopé à la distorsion comme le bruit d’un moteur, les dernières mesures des tes boucles sont breakées comme le passage d’une boite de vitesse, les cordes aigües crissent comme des pneus… SebastiAn, entre nous, tu es un passionné de bagnole ?
Pas du tout. C’est juste un truc impulsif. D’ailleurs j’ai pas le permis. Il y aussi un autre truc : on m’a toujours associé à quelque chose de très Death Metal, je pense à cause de morceaux comme « Doggg » par exemple, alors qu’en fait j’y connais strictement rien.

Tu sors un nouvel album dans quelques mois. Tu as déjà dévoilé trois morceaux extraits de ce projet (« Thirst », « Run for me » et « Beograd ») qui sont très différents. Quelle est la couleur musicale que tu as voulu donner à ce nouveau long format ?
Pour l’instant, ces trois premiers morceaux dévoilés ne quadrillent pas tout à fait l’album, mais je pense en tout cas qu’il donne une vague idée de ce qu’il sera, sans trop en dévoiler. Je ne peux pas te décrire l’album en un mot ou une phrase. Le premier morceau est censé te faire dire « Ah, ça va être un peu comme avant », le second « Ah… bah non en fait », et le troisième « Attend, on comprend plus trop: ça va être quoi son album? ».

Ta musique a souvent été qualifiée de musique de club violente. Le clip de « Thirst » est-il un pied de nez à cette étiquette ?
Il y a en effet un peu de ça, mais l’idée vient surtout de Gaspar Noé, qui a réalisé le clip. Quand il a écouté le morceau, il m’a demandé : « Qu’est ce que tu as fait ces dernières années? ». Je lui ai dit que j’avais pas mal joué dans des clubs. Et c’est avec cette idée que Gaspar a fait ce clip à « sa manière ». Mais l’idée était en tout cas de revenir au club, sans grand message ou interprétation.

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