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Rencontre avec Colleen, au-delà des fréquences.

Rencontre avec Colleen, au-delà des fréquences.

Colleen c’est l’histoire de Cécile Schott, qui compose depuis le début des années 2000 des albums expérimentaux, contemplatifs et enivrants, en repoussant sans cesse les limites de ce que peut offrir un instrument. Voir plus loin que les six cordes d’une viole de gambe, exploiter des pédales d’effet comme un synthétiseur et toujours remettre en question les lois qui régissent la musique : voilà ce qui fait de Colleen une artiste aussi attachante que surprenante. La surprise sur son dernier album A Flame my Love, a Frequency, est venue de sa décision d’abandonner la viole de gambe pour construire des morceaux uniquement axés autour d’un synthé et de pédales d’effets. Avec ce travail, elle prouve que du minimalisme peuvent éclore des sons complexes et colorés, emprunts d’une certaine spiritualité sous-jacente dont elle a le secret. On a eu le plaisir de la rencontrer un peu avant son concert au festival BBMix pour en savoir plus sur ce qui l’inspire, sa philosophie, son amour pour le matériel analogique et son admiration pour Delia Derbyshire.

Sur ton dernier album, tu as décidé de lâcher la viole de gambe qui te suivait jusqu’à présent. Ça a été une contrainte de façon à aller vers quelque chose d’encore plus minimaliste, ou est-ce que ça t’a paru naturel ?

C’était plutôt naturel. En réalité, ça faisait un moment que ça me trottait dans la tête, l’idée d’avoir un tout petit synthé avec lequel je puisse essayer de générer des rythmes en passant par une pédale dont j’avais également entendu parler. Elle s’appelle la MIDI MurRF, c’est une pédale de chez Moog. Je savais qu’on pouvait essayer de créer des micro rythmes, des choses un peu inhabituelles. Mon idée de départ était de trouver un synthé qui me permettrait de faire ça, et par ailleurs de continuer à jouer de la viole puisque j’étais vraiment amoureuse du son que j’avais trouvé sur mon cinquième album Captain of None. Il y a un musicien américain qui s’appelle King Britt, qui est plutôt un producteur électronique, qui m’avait contactée courant 2013 en me disant qu’il était fan de mon travail. Par la suite j’ai fait quelques recherches sur lui, j’ai trouvé une super vidéo où on le voyait dans son studio. Il fait vraiment un mélange d’analogue et de digital. Il a finit par co-organiser un concert pour moi à Philadelphie et m’a invité dans son studio. Bien sûr, j’y suis allée, c’est toujours intéressant de voir comment les autres musiciens travaillent. Là, je vois ce tout petit synthé qui s’appelle le pocket piano, ça m’intrigue ! Je me suis dit que c’était exactement ça qu’il me fallait. Sachant que je fais mes tournées seule, j’ai certaines limites de bagages, ça demande une certaine réflexion. J’ai acquis ce pocket piano, la pédale MIDI MurRF et à l’été 2015, juste après ma dernière tournée, je commence à répéter dans mon studio avec ma viole de gambe à côté. Là, je m’aperçois que ça ne marche pas. Inversement, je commence à m’amuser davantage avec le synthé, en faisant des petits morceaux. Je me suis dit que ça n’avait pas besoin d’autre chose. C’est le premier moment où je me suis rendue compte que j’allais avoir des morceaux purement électroniques.

Entre temps, cette première phase de travail a été interrompue par les évènements qui sont liés au thème principal du disque, à savoir la maladie de quelqu’un dans ma famille, et le fait que j’ai passé une après midi à Paris pour déposer un archet et que c’est tombé le 13 novembre 2015. Je ne suis jamais à Paris en règle générale. En rentrant en Espagne, je n’ai rien pu faire pendant quinze jours. Comme plein de monde, j’étais obnubilée par tout ce qui c’était passé. Au bout d’un moment je me suis dit qu’il fallait que je retourne au travail. J’étais vraiment en train de déprimer mais j’avais un disque à finir. Tout à coup l’idée de prendre une décision drastique qui était celle de faire un album totalement électronique, étant donné la gravité des choses qui se passaient, ne paraissait plus si drastique que ça.Pour moi, faire un album, c’est à la fois quelque chose d’immense en terme d’investissement personnel, mais en même temps je suis parfaitement consciente qu’a l’échelle planétaire ca ne change rien. Du coup il y a un côté libérateur. Ce qui était certain c’est que la ligne de conduite au niveau sonore, c’était certes électronique mais pas froid. Le but c’était de trouver l’équivalent d’un son chaleureux mais uniquement avec des machines.

Ce qui m’intéresse en termes de complémentarité parole-musique, c’est d’aborder un thème grave mais avec une musique qui ne l’est pas forcément. Et inversement.

Cet album n’est finalement pas si lointain des précédents. Comment tu as procédé pour amener la chaleur humaine de la viole de gambe dans des outils électroniques ?

C’est lié à deux choses. La première, c’est que j’utilise deux petits synthés qui sont digitaux. Mes pédales, qui sont vraiment cruciales dans le son du disque – mon disque c’est deux synthés et deux pédales – sont les pédales analogues de chez Moog. Elles ont vraiment un grain particulier et permettent de faire des choses extraordinaires. Ce sont des pédales mais elles agissent comme une section de synthétiseurs. Si tu les branches toutes ensemble, ça fait quasiment un synthé, c’est vraiment puissant. Avant de travailler avec eux, oui j’avais entendu parler de matériel analog, et de ce fameux grain n’est pas une invention marketing. Ça a tout de suite apporté une petite touche magique. L’autre point important c’est le type de composition que j’ai choisi de faire. Ce qui m’intéresse en termes de complémentarité parole/musique, c’est d’aborder un thème grave mais avec une musique qui ne l’est pas forcément. Et inversement. Par exemple, il y a un morceau sur le disque qui n’est pas du tout un morceau triste au niveau des paroles, c’est « Summer Night Bat Song ». Pourtant que je l’ai fait, les accords qui me sont venus sont parmi les plus sombres du disque. Ça ne m’intéresse pas de faire des accords mineurs avec des paroles ou des références à la mort ou à la peur. Je préfère faire l’inverse. Aussi, là j’avais spécifiquement envie d’aller vers quelque chose de lumineux, j’en avais besoin. Mis à part les compositions elles-mêmes, un autre élément que j’ai introduit c’est l’enregistrement en direct. Il y a quelque retouches sur le disque mais vraiment très peu. Je pense que ça contribue à quelque chose de plus dynamique, naturel et chaleureux.

Tu recherches l’imperfection dans la musique ?

Je suis très perfectionniste ! Tout mon dilemme quand je fais mes disques c’est jusqu’où aller. C’est difficile de savoir lorsque c’est suffisamment bon pour sortir à l’extérieur. Je n’aime pas réécouter mes disques, dans le sens où j’entendrai toujours des petites choses qui me dérangent. J’arrive tout de même à ne pas me bloquer. En tout cas, je ne veux pas que mon travail sonne comme une machine. Je veux que ça varie et que ça danse dans les haut parleurs, qu’il y ait un truc fluide et non régulier. Avec l’analog, tu ne peux jamais faire deux fois la même chose, comme ça change au micro-millimètre de bouton ou de potentiomètre que tu touches. C’est assez fascinant. Le fait de jouer avec des instruments classiques ne m’a pas du tout manqué, même si la finalité est la même.

Ton travail sur cet album m’a rappelé celui de Delia Derbyshire dans les BBC workshops, c’est une de tes références ?

Ah oui, j’adore ! Ce qui est marrant c’est que je n’ai pas écouté de musique électronique durant la fabrication du disque, j’ai plutôt écouté de la musique africaine et sud-américaine. Ça peut éventuellement se ressentir dans l’aspect un peu rythmé du disque. Sinon Delia Derbyshire ça fait vraiment partie de mes références. Une autre personne que j’aime beaucoup c’est Raymond Scott, un des pionniers de la musique électronique aux Etats-Unis. D’ailleurs lui aussi faisait des jingles, des musiques de pub etc. Il a des morceaux qui ont des petits delays où je me dis que c’est incroyable qu’il ait fait ça à la fin des années 1950.

J’ai la chance d’être amie avec quelqu’un qui a un peu connu Delia Derbyshire, qui s’appelle John Cavanagh, un écossais qui travaille à la radio depuis longtemps. Il a interwiewé énormément de musiciens ces trente dernières années. John m’a aidé sur mon disque Colleen et les Boîtes à Musique, qui a été en partie enregistré chez lui. Il a été vendeur d’antiquités dont des instruments de musique mécaniques, donc sa maison est assez extraordinaire. Il a été une des rares personnes à interwiever Delia peu de temps avant sa mort et il m’avait fait une compilation en 2002 ou 2003. Ce que j’avais adoré c’est qu’elle faisait des morceaux qui ressemblaient à du hip-hop avec une espèce de rythme qui hoquète. J’étais fascinée. Le fait qu’elle soit une femme dans ce milieu à son époque m’a aussi touchée évidemment, même si ça ne devrait pas avoir d’importance. Je n’ai pas spécialement réécouté sa musique avant cet album mais elle fait partie de mes modèles de gens qui ont fait des choses hors des sentiers battus. C’est l’électronique avant l’arrivée du synthétiseur.

Le passage entre un truc rêvé impossible à un truc rêvé qui commence à se réaliser puis qui devient une profession à part entière, c’est un passage délicat.

Tu semble avoir un amour pour les instruments qui ont une histoire. Tu racontais dans une interview avoir aimé acheter une viole de gambe d’un luthier récemment reconverti. Toi non plus tu n’étais pas forcément destinée à être musicienne, tu as opéré un certain de virage de carrière après avoir été professeure d’anglais.

Lorsque j’avais quinze ans je m’imaginais sur scène, c’était un fantasme. Je suis très vite devenue fan des Pixies et je m’imaginais souvent faire partie du groupe (rires). Je n’avais pas encore compris que j’étais faite pour travailler seule. L’idée de pouvoir gagner ma vie en faisant ça était un rêve d’ado, mais rien de plus. Ma famille n’est pas vraiment branchée musique, je n’ai pas d’éducation classique. Finalement j’ai fait des études d’anglais et c’est une langue qui me passionnait. Je m’étais dit que j’étais vouée à devenir prof, chose qui ne m’enthousiasmait vraiment pas. En même temps c’était la seule matière que je me voyais enseigner. À un moment j’ai pensé à faire de la recherche mais juste au moment où il aurait fallu prendre une décision, l’année de ma maîtrise, j’ai recommencé à faire de la musique. J’avais fait de la guitare pendant plusieurs années en étant ado. Ensuite, j’ai fait une petite pause sans savoir ce que je voulais faire. Je voulais travailler seule mais c’était avant les débuts de l’informatique donc c’était très difficile à l’époque.

Pendant mon agrégation d’anglais, la seule distraction que je me suis permise a été de faire de la musique par le biais du sampling pour la premiere fois avec le logiciel Acid, que j’utilise encore aujourd’hui pour enregistrer mes albums. C’était complètement nouveau pour moi. À la fin de l’année, je me suis dit que je ne ferais pas de la recherche puisque ça ne me laisserait plus de temps pour la musique. C’est à ce moment là que je me suis orientée vers l’enseignement en lycée. Finalement, à peine deux ans plus tard j’ai sorti mon premier album. Ça a bien marché, j’ai commencé à avoir des offres de concerts donc je suis passée en temps partiel au bout de deux ans. C’était l’avantage d’avoir un boulot dans l’éducation nationale. J’ai ensuite demandé une année sabbatique, ça a été un test pour savoir si j’étais capable d’être musicienne à plein temps. Il s’est trouvé que, dès le départ, ma musique a plu à tous les gens qui font de l’illustration sonore. Assez rapidement j’ai eu des droits d’auteurs qui m’ont donné un certain coussin financier. Ma deuxième année sabbatique a été refusée donc j’ai décidé de démissionner. L’ironie étant que j’ai perdu l’inspiration peu de temps après. Ça prouve que le passage entre un truc rêvé impossible à un truc rêvé qui commence à se réaliser puis qui devient une profession à part entière, c’est un passage délicat.

C’est quand même un sacré métier. Ce qui fait rêver c’est une vie dévouée à la création alors que mon quotidien c’est plutôt trois ou quatre heures d’emails. Je suis en Espagne, j’ai un statut de travailleuse autonome, j’ai comme l’impression d’avoir une petite entreprise. C’est aussi parce que j’ai choisi de ne pas déléguer, mais bon, on n’a rien sans rien. Pour vivre de ma musique j’ai été amenée à faire des choix qui sont les bons pour mon type de personnalité – j’ai moyennement confiance. Je sais que, malheureusement, le monde est rempli de gens incompétents ou malhonnêtes. C’est pour cela que j’ai choisi de gérer tout au maximum moi-même, ce qui sous-entend une charge de travail parfois écrasante. Il y a tout un parcours qui se dessine fait de rencontres – les bonnes comme les mauvaises – qui nous amènent à prendre des décisions. En tant que musicienne il faut toujours défendre son bout de gras (rires). Plus un musicien défend ses droits, plus ça profite à tout le collectif de musiciens, comme dans n’importe quel métier. En tout cas, je n’aurais jamais pensé me retrouver musicienne à temps plein à quarante et un ans et depuis 2006. Bien sûr je ne regrette rien, mais il faut bosser dur !

Le challenge a été de me mettre en condition physique et mentale pour me consacrer pleinement à mon travail.

Justement la créativité est quelque chose qui se travaille selon toi ? Ce n’est pas forcément inné ?

C’est un mystère que certains individus soient plus créatifs que d’autres et surtout dans quel médium ça a lieu. Par contre, c’est sûr qu’il n’y a rien qui naît sans effort. Personne n’a fait un album qui soit descendu du ciel, ça n’existe pas. Plus on consacre d’heures, plus on a la chance de trouver quelque chose. La musique c’est quoi ? Pour enfoncer des portes ouvertes, c’est des vibrations dans l’air qui sont produites soit par des moyens électriques, soit par des moyens physiques et acoustiques. On a tous accès aux mêmes notes. Il n’y a qu’à voir la musique extraordinaire qui est faite dans des pays extrêmement pauvres, ils prennent une boîte de conserve et deux fils de cane à pêche et arrivent à en faire quelque chose.

Pour répondre à ta question, oui la créativité se trouve en cherchant. Il n’y a jamais rien en surface que l’on va prendre immédiatement. Enfin ça peut arriver une ou deux fois quand on est jeune et qu’on a l’enthousiasme du début. Sur le long terme, il n’y a que le travail qui peut permettre d’aller plus loin. Justement en 2009 j’ai traversé une période où j’ai arrêté de faire de la musique pendant un an, parce que j’étais fatiguée et que j’avais perdu l’inspiration à cause de certains aspects administratifs ou financiers. J’ai commencé à prendre des cours de céramique et de sculpture. Voir ma professeure de sculpture commencer sa journée à huit heures du matin dans son jardin de banlieue face à son bloc de pierre, qui travaillait huit heures avec juste une pause le midi, ça a été une espèce de déclic. C’est sûr que d’être là avec son ordinateur, ses emails et son stress avec les instruments dans la même pièce, c’est difficile. Le challenge a été de me mettre en condition physique et mentale pour me consacrer pleinement à mon travail. Jusqu’au mois de janvier dernier je n’avais pas de smartphone donc pas de connexion internet dans mon studio. Maintenant que je l’ai, je suis déjà en train de tomber dedans. Bon, j’ai des excuses comme le fait que j’ai une tournée à monter, un disque qui sort… mais je vois comment ça change le rapport au travail. Mon objectif pour l’année à venir c’est de recharger mes batteries – les miennes, pas celles du portable – et de déconnecter à nouveau.

C’est le grand fléau de notre société.

Oui complètement. Jusqu’ici j’étais dépendante de mon ordinateur dans le sens où si j’ignore mes emails pendant une semaine, ça veut dire une semaine suivante plus chargée. Après dix mois vécus avec mon smartphone en tournée, je suis consciente qu’il va falloir que je le mette de côté une fois que je rentre à la maison. Après, la technologie c’est formidable. Comme je le disais, je n’aurais pas pu être musicienne professionnelle s’il n’y avait pas eu la révolution technologique des vingt dernières années. C’est à chacun de trouver son aire de repos.

En même temps tu partages beaucoup sur ta page Facebook.

C’est mon seul réseau social et je m’en sers uniquement de manière professionnelle et pas pour montrer des photos de mes vacances (rires). Je maintiens aussi mon site web même s’il passe un peu au second plan étant donné que c’est plus difficile de gérer à distance. Je mets un point d’honneur à ce que mon Facebook ait un contenu artistique, j’explique mon processus de travail et je vois que les gens y sont assez sensibles. Je pense être une des rares personnes qui écrit des textes de quarante lignes sur sa page (rires). Les réseaux sociaux sont ce qu’on en fait, à la fois en tant que personne qui poste du contenu et en tant que récepteur. J’ai pour ambition que les gens ne voient pas en ma page quelque chose de purement promotionnel. Je ne suis pas juste là pour refourguer mes disques. Personnellement j’aimerais bien savoir plus souvent comment les autres travaillent, comment ils font leurs branchements etc. Quand je fais un post sur Facebook, c’est vraiment une joie, c’est gratifiant.

Je me suis rendue compte que c’était important de communiquer sur certains thèmes, que ce soit des aspects techniques, d’inspiration ou des aspects plus liés à la vie d’artiste, lorsque je suis revenue de mon silence discographique.

Tu sens que tu as une communauté qui s’est construite autour de ton projet ?

Il y a des gens qui laissent régulièrement des messages. Je me suis rendue compte que c’était important de communiquer sur certains thèmes, que ce soit des aspects techniques, d’inspiration ou des aspects plus liés à la vie d’artiste, lorsque je suis revenue de mon silence discographique. Il y avait un gap de six ans entre mon troisième et mon quatrième album. Comme je recevais des messages pour me demander ce que je devenais et si je voulais faire des concerts, je me suis dit que plutôt que de répondre individuellement, j’allais lancer un nouveau site internet en expliquant ce qui m’était arrivé. Sur ce post-là j’avais eu plein de retour de gens qui ont des boulots créatifs et qui se reconnaissaient totalement dans mon article.

Je me suis rendue compte que quand on écrit sur des thèmes plus personnels, les gens sont plus sensibles. On a tous les mêmes problématiques de trop travailler, de ne pas se sentir assez reconnu, de ne pas réussir à se faire payer, d’être épuisé. Ça vaut la peine de partager. Moi-même j’ai parfois été aidée par la lecture de certains billets sincères. Je n’en lis pas aussi souvent que je le voudrais, mais je les trouve dans des biographies de musiciens notamment. Une que j’adore c’est celle de Arthur Russel, un de mes musiciens préférés, écrite par un excellent journaliste qui s’appelle Tim Lawrence. Lire sa vie m’a reboostée pour me remettre à la musique à un moment où ça n’allait pas.

C’est aussi par le biais d’Arthur Russel que tu as eu le courage de poser ta voix sur certains morceaux.

Oui, ou du moins que je pouvais envisager de mettre ma voix sur ma musique sans que ça veuille dire que j’allais faire de la pop. Mon approche n’est pas de choisir entre une chose et une autre, mais plutôt de mélanger les médiums et la façons de faire. Personne n’est là pour me mettre la pression ou me donner des ordres. C’est la chance que j’ai dans mon parcours. Je n’ai eu aucun méga succès dans ma carrière et ça m’a permis de me maintenir là où je veux être. Je ne serais pas capable de faire face aux pressions qui sont mises sur un artiste qui a beaucoup de succès.

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© Trung Dung Nguyen

Tu considères ta voix comme un instrument parmi les autres ?

Oui, totalement. Bien sûr il y a les paroles qui rentrent en jeu, c’est là où est toute la spécificité et la difficulté. La voix est quelque chose de très personnel, chanter m’a faite progresser sur ce plan et sur la confiance en moi. Quand on chante ça vient vraiment de l’intérieur, impossible de se cacher même si on peut mettre des effets. Il faut apprendre à être calme avant un concert, ne pas trop paniquer si on se trompe. Travailler sur scène implique forcément une découverte approfondie de soi-même.

Au départ je ne savais pas respirer comme il fallait, il m’a fallu du temps pour comprendre car je n’ai pas pris de cours. En general je préfère apprendre seule, quitte a galérer et progresser moins vite, je crois que c’est une question de personnalité. J’évite aussi le risque d’être éventuellement découragée par un professeur avec qui le courant ne passerait pas forcement.

Tu as appris à jouer de tous tes instruments seule ?

Pour la viole de gambe, j’ai quand même pris des leçons pendant un an, j’ai eu de la chance de tomber sur une super prof qui s’appelle Florence Bolton et qui a accepté que je prenne des cours avec elle alors que j’étais nulle en solfège. Je voulais tout de même apprendre la base, au niveau du jeu d’archet. Je n’ai pas tout de suite développé le finger-picking. Les apprentissages sont transférables d’une chose à une autre, c’est ça que j’adore dans la vie. Une fois qu’on a compris ça, tout est question de motivation, de trouver le temps et d’avoir une esthétique donnée. Lorsque j’ai fait de la céramique, je n’en ai pas fait pendant longtemps mais je savais ce que je voulais esthétiquement.

Tu as récemment été invitée à faire une Moog Soundlab Session, ça a dû être assez émouvant pour toi !

Oui ! Ce qu’il s’est passé c’est qu’il y avait deux festivals où je voulais jouer à tout prix aux États-Unis dont le Moog Fest qui a eu lieu au mois de mai en Caroline du Nord. C’est un événement organisé par des gens qui travaillent également chez Moog. Ce n’est pas la même entité organisatrice mais il y a des liens entre les deux choses. Étant donné que j’ai fini mon album juste à ce moment-là, je me suis dit qu’il fallait vraiment que je rentre en contact avec les gens de chez Moog pour leur dire tout le bien que je pense de leurs pédales. Ce n’est pas très courant les gens qui font un album avec si peu de matériel comme je l’ai fait.J’ai donc réussi à rentrer en contact avec les gens de Moog qui, à ma grande surprise, se sont révélés être fans de mon travail. Ils voulaient écouter mon disque et étaient prêts à me soutenir. J’ai donc pu faire un crochet par la Caroline du Nord durant ma dernière tournée américaine et passer tout le temps que je voulais dans leur usine. Finalement j’ai fait une session pour le Moog Sound Lab, qui est une pièce magnifique avec du super matos. On a fait aussi d’autres petites vidéos avec des pédales de la même série que j’utilise, où j’ai fait des improvisations à partir de ce materiel que je ne connaissais pas. La cerise sur le gateau c’est qu’à la fin il m’ont offert ces pédales. C’est la première fois de ma vie qu’un fabricant me donne du matériel ! Ca fait quand même vingt-cinq ans que je fais de la musique et que j’ai toujours acheté mes instruments moi-même donc là c’était vraiment un honneur et une grande joie. Du coup, ce qui m’a été offert va sûrement se retrouver sur mon prochain album !

J’aime l’idée qu’on puisse partir de zéro.

Tu as récemment confié que tu cousais tous tes vêtements toi-même, d’où t’es venu cette envie ?

C’est venu d’une frustration de ne pas trouver forcément des choses qui me plaisaient vraiment, de savoir que 99% des vêtements sont faits dans des conditions déplorables et ne pas trouver les formes, les couleurs et les matières qui me plaisent. J’aime plutôt les vêtements minimalistes et j’avais un t-shirt aux formes amples que j’adorais et je me disais que ça ne pouvait pas être bien compliqué de recréer quelque chose de similaire. Il s’est trouvé qu’une amie à moi voulait se débarrasser de sa petite machine à coudre Ikea donc j’ai pu la récupérer et voir si la couture me plaisait ou non. Dès la première minute j’ai adoré, c’était en septembre 2015. Ça correspond exactement aux débuts du disque et à la période assez sombre qui a suivi. J’ai commencé à faire des petits objets comme un sac, des t-shirts puis ça a commencé à prendre de l’ampleur. J’achetais des tissus japonais, surtout dans des couleurs claires. Je ne supportais pas de porter des couleurs sombres, c’était à l’opposé de ce que je voulais ressentir. Je me suis mise à dévorer les blogs, à regarder des tutoriels… j’aime l’idée qu’on puisse partir de zéro. Je n’aurais jamais pensé que porter des vêtements faits par soi-même ça puisse donner une sensation tellement différente à celle de porter des vêtements achetés. Ca devient presque une extension de soi, je me sens plus libre avec. Ça rejoint l’idée que tout peut s’apprendre, pas besoin d’être doué, juste d’être motivé !

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