Lecture en cours
On a rencontré Rag de Barbi(e)turix

On a rencontré Rag de Barbi(e)turix

Barbi(e)turix est un collectif parisien, qui depuis maintenant douze ans s’est donné comme mission de bousculer les stéréotypes et de promouvoir la culture féminine et lesbienne. Auto-financé et indépendant, le collectif a trois activités principales : un fanzine, un site web, et l’organisation de soirées. Si jamais les Wet For Me te disent quelque chose, et bien voilà, c’est Barbi(e)turix. Afin d’en savoir un peu plus sur l’histoire, l’actualité et les projets de ce collectif à la visibilité et au succès aujourd’hui considérables, on a été rencontrer Rag, en charge de la direction artistique.

Rag © Marie Rouge

Manifesto XXI – Tu es là depuis les débuts de Barbi(e)turix ?

Rag : Non, j’ai pris le train en route, il y a environ six-sept ans. Aucune des fondatrices n’est encore dans l’équipe aujourd’hui ; Barbi(e)turix existe depuis presque douze ans, et différentes générations se sont succédé. Le projet nécessite une jeune équipe disponible et dynamique, d’où un certain renouvellement.

Manifesto XXI – Quelle était la volonté originelle du projet à sa création ?

Rag : L’idée de départ était un fanzine, inspiré des productions DIY du mouvement Riot Grrl. Pour le financer, quoi de mieux que des soirées ? À l’époque à Paris, au niveau culturel et festif pour les lesbiennes il n’y avait que des institutions et des clubs bien ancrés, et l’équipe fondatrice voulait créer quelque chose d’un peu plus alternatif, loin des sentiers battus. Et dès le début, les soirées ont cartonné.

Manifesto XXI – Est-ce qu’il y avait une ligne artistique particulière de programmation musicale ?

Rag : C’était la grande période de l’electroclash, les premiers groupes programmés s’inscrivaient dans cette mouvance, comme Scream Club. Des groupes bien alternatifs, avec des filles girl power, un peu dans la lignée du mouvement riot.

Manifesto XXI – La programmation était exclusivement féminine ?

Rag : Majoritairement, mais pas exclusivement. Barbi(e)turix a toujours été ouvert, les soirées sont dites « lesbiennes » mais sont aussi ouvertes aux garçons, on essaie d’être fédérateurs.

Manifesto XXI – Quand est né le site web ?

Rag : Il est né quatre ou cinq ans plus tard, en 2004 le web n’avait pas la même place qu’aujourd’hui, donc on a simplement suivi le temps. Il s’agissait d’un blog, il n’y avait que quelques articles de temps en temps, c’était plus la version web du fanzine. Aujourd’hui c’est toujours un blog mais constamment nourri d’articles, il y a une ligne éditoriale, quinze contributrices… On peut dire qu’il s’est professionnalisé.

Manifesto XXI – Et aujourd’hui les contenus imprimés et web se recoupent beaucoup ?

Rag : Quand j’ai repris tout ça en cours, les deux étaient vraiment séparés, j’ai donc essayé de rapprocher le tout, pour qu’il y ait une cohérence. À l’époque le fanzine sortait souvent mais les contenus étaient plutôt légers. Aujourd’hui, nous sommes un peu plus dans la réflexion, avec le désir de proposer un objet de qualité avec un beau graphisme, un beau papier… Maintenant, ce sont plus les contenus web qui peuvent avoir tendance à être un peu plus légers.

Manifesto XXI – Qui sont les rédactrices derrière le fanzine et le site ?

Rag : Ce sont des contributrices bénévoles, pour la plupart déjà journalistes. La moyenne d’âge tourne autour de 25-27 ans. On a un noyau dur fixe, ensuite des contributions qui arrivent à droite à gauche, et enfin des gens qui nous envoient spontanément des papiers.

COUVfanzine

Manifesto XXI – À quel poste as-tu intégré Barbi(e)turix quand tu es arrivée ?

Rag : Je reprenais la programmation des soirées. Il y avait pas mal de lacunes d’organisation. Avant j’étais manager chez MK2, donc forcément j’avais un regard un peu plus professionnel là-dessus. Du coup j’ai orienté les choses dans un sens de structuration et de professionnalisation. Aujourd’hui on fait de gros événements et notre site est beaucoup suivi, on ne peut donc pas se permettre de gérer les choses à la légère.

Manifesto XXI – Quelle a été ta ligne artistique pour les soirées ? (programmation, lieux, ambiance…)

Rag : On voulait vraiment être indépendantes et qualitatives. On voulait s’éloigner de tout ce qui se faisait déjà pour les filles, de l’aspect parfois cliché de cet univers. On voulait bousculer les stéréotypes, apporter un regard un peu plus alternatif, un peu plus punk. On voulait montrer que les filles aussi ont du talent, savent être pro, etc.

© Clémence Thune & Marie Rouge

Manifesto XXI – Est-ce que c’est difficile de faire quelque chose d’indépendant et de qualitatif à la fois ?

Rag : La difficulté c’est que faire du qualitatif, ça signifie s’appuyer sur des personnes qui ont déjà travaillé depuis plusieurs années. Or celles-ci ne peuvent pas forcément se permettre d’être dans une démarche associative et bénévole.

Manifesto XXI – Les programmations musicales valorisent plutôt les dj set, live set ou concerts ?

Rag : Au début, la programmation était plus large, puis le format clubbing a pris plus d’ampleur, même si nous nous efforçons de proposer un maximum de lives. Après on fait aussi d’autres événements où il n’y a que du live. On a élargi la proposition. Pour parler des soirées Wet For Me, il s’agit en général d’un live et quatre ou cinq dj sets. Il y a aussi des performances, des stands, de la scénographie, de la vidéo et du vjing…

Manifesto XXI – Qu’est-ce que vous proposez comme événements en dehors des Wet For Me ?

Rag : On fait pas mal de partenariats, par exemple on organise la soirée de clôture des Femmes S’en Mêlent, on fait aussi des événements gratuits sur des formats style 16h-2h les dimanches après-midi d’été…

12743628_10154006184694604_7782165374908355458_n

Manifesto XXI – Où se déroulent les Wet For Me ?

Rag : Elles se déroulent à La Machine du Moulin Rouge, mais une fois par an on s’efforce de proposer un autre lieu. Et en mai on va s’exporter à Lyon pour la première fois ! On se rend compte qu’à Paris toutes nos soirées sont sold out à chaque fois, sachant qu’on peut difficilement trouver un club plus grand, et que beaucoup de filles viennent de région, même de l’étranger… Donc on s’est dit, « essayons d’organiser des choses ailleurs ».

Manifesto XXI – Et pourquoi la ville de Lyon plutôt qu’une autre ?

Rag : On connaît déjà pas mal de gens là-bas, on sait que notre site y est très suivi, il y a une communauté très importante. Lyon est aussi une capitale des musiques électroniques, donc c’est très cohérent pour nous.

Manifesto XXI – La Flash Cocotte sont-ils des partenaires ?

Rag : On a déjà travaillé avec eux pas mal de fois, on se connaît depuis des années, mais la différence c’est que la Flash c’est très gay. Après nos programmations se croisent un peu, forcément, car des artistes queers il n’y en a pas non plus tant que ça.

Manifesto XXI – On a l’impression qu’à Paris il y a plus de soirées gay que lesbiennes, est-ce ton impression aussi ? Si oui, as-tu une explication ?

Rag : Je pense que c’est sociétal. Je pense que les garçons ont plus accès à la fête et à la culture que les lesbiennes. Les femmes sont plus précaires donc la lesbienne est précaire… Pour moi c’est vraiment un phénomène social. Les hommes ont plus accès à tout. Quand on parle des mouvements des fameuses fêtes gays des années 1970, etc., on parle de soirées gay, pas de soirées lesbiennes. Les soirées lesbiennes étaient encore dans des caves. C’était ça aussi l’objectif de Barbi(e)turix il y a douze ans, essayer d’ouvrir les choses, de sortir des petits clubs confinés, de montrer que les lesbiennes sont là, juste moins visibles du fait de notre statut de femmes.

Manifesto XXI – C’est encore pertinent aujourd’hui de faire des soirées exprès pour les gays, et des soirées exprès pour les lesbiennes ?

Rag : Je pense oui, bien sûr. Certes c’est important qu’il y ait du mélange, mais c’est important aussi qu’il y ait des soirées où on se retrouve juste entre nous, on en a besoin.

Voir Aussi

Manifesto XXI – Est-ce que tu trouves que l’offre culturelle lesbienne a évolué dans le bon sens ces dernières années ?

Rag : Je trouve que beaucoup se plaignent qu’il n’y ait pas grand-chose à Paris, mais je trouve que par rapport aux autres capitales européennes on bénéficie d’une proposition très riche. Il y a quand même cinq ou six bars qui se disent lesbiens, assez différents les uns des autres, plus ce qu’on fait nous, plus d’autres initiatives… Il faut savoir chercher, il y a beaucoup de choses.

Manifesto XXI – Est-ce qu’avec Barbi(e)turix vous êtes confrontées parfois à des propos et attitudes dévalorisants du fait des clichés existants sur les lesbiennes, dans vos rapports avec les autres professionnels du secteur, etc. ?

Rag : Parfois, on ne nous prend pas au sérieux. C’est souvent que certains doutent de notre capacité à produire, à fédérer, à proposer, etc. Ça a tendance à évoluer dans le bon sens mais ça reste encore problématique.

Manifesto XXI – Est-ce qu’il y a des artistes féminines émergentes qui retiennent particulièrement ton attention en ce moment ?

Rag : En général, dès que je trouve une nouvelle artiste inspirante j’essaie de la programmer tout de suite. En tout cas ce qui est bien c’est qu’à Paris on trouve de plus en plus d’artistes féminines, de programmatrices aussi… En ce moment il y a Deena Abdelwahed que j’ai invitée à la prochaine Wet For Me à la Machine, le 23 avril.

Manifesto XXI – Est-ce que depuis que tu as commencé tu trouves que la vision de la lesbienne, socialement, a évolué ?

Rag : Oui, j’observe plus d’ouverture, de mixité, d’envie de créer des choses chez les jeunes lesbiennes. Certes, le passage du mariage pour tous a bien crispé les faibles esprits, je pense que la communauté LGBT ne s’attendait pas à une telle opposition à notre époque, et on s’est rendu compte que la société avait encore beaucoup de progrès à faire. Mais au niveau de la visibilité, des soirées, etc., je trouve que la proposition s’intensifie, le tout facilité par l’évolution des réseaux sociaux.

festival-barbieturix-980x480
© Chill O

Manifesto XXI – Qu’est-ce qu’on peut souhaiter à Barbi(e)turix pour la suite ?

Rag : On peut lui souhaiter de développer son fanzine, son site, et d’organiser de beaux événements…

Manifesto XXI – Pourquoi pas un mini festival ?

Rag : Exactement. C’est quelque chose qui me plairait. On avait organisé des événements à la Gaîté Lyrique sur quatre jours et ce fut un beau succès, donc on aimerait bien remettre ça. J’ai aussi envie de développer d’autres événements en plus des Wet For Me ; des concerts, des expositions…

***

Retrouvez Barbi(e)turix sur :

Site web

Facebook

Twitter

Éléna Tissier & Costanza Spina

© 2022 Manifesto XXI. Tous droits réservés.