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QuinzeQuinze : voyage cosmique aux antipodes

QuinzeQuinze : voyage cosmique aux antipodes

Manifesto 21 - Quinzequinze
Si le destin a réuni les cinq cerveaux du groupe, peu de coïncidence. Presque connecté, l’univers symbiotique de QuinzeQuinze forme une matrice en perpétuelle évolution. Entre inspirations héritées des archipels de Polynésie, et expérimentations sonores futuristes, le groupe nous balade sur des fuseaux horaires variés. Une chose est sûre, QuinzeQuinze indique l’heure de demain.

Il est dix-huit heures lorsque le voyage commence. Installée dans les studios de Marvin, membre polyvalent et créateur des derniers visuels 3D, l’univers de leur titre « Le Jeune » habite l’espace. “Il faudrait que l’on relance quelques goodies liés aux clips. Les casquettes et les tee-shirts pour les concerts, c’est puissant”, s’amuse Ennio. Car pour QuinzeQuinze, l’approche artistique s’assimile à une toile dont les tenants et les aboutissants trouvent autant d’impact dans les clips, les concerts, les dessins, les installations. Bref, une approche totale des médiums à des fins créatrices.

Car lorsqu’ils se rencontrent sur les bancs de l’ESAD en 2013, l’alchimie est rapide entre Ennio, Julia, Robin, Marvin et Tsi Min. Aucune limite à leur imagination, les musiciens voient la création comme une quête de sens, d’échecs, de tentatives, de possibilités. QuinzeQuinze est une espèce humanoïde qui refuse les étiquettes, ou plutôt les rend caduques. Entre court-métrage, voyage au cœur de leurs racines tahitiennes, dance music et engagement, le groupe s’épanouit dans une curiosité permanente faite de légendes, et surtout d’amitiés. Car c’est avant tout l’aventure de cinq ami·e·s qui tentent au gré de leur rencontre, de se surprendre, d’inventer et de réinventer les données de leur complémentarité. Difficile parfois de capter tous leurs délires mais peu importe, c’est la chute qui compte et non pas l’atterrissage, et quelle cascade !

Manifesto XXI : Hello ! Je pensais vous retrouver à cinq, mais deux sont aux abonnés absents.

Ennio : Exactement ! Julia et Robin sont en résidence pour leur projet artistique perso, ils finalisent l’EP au sein de Moutarde et Miel. Mais on tentera au mieux de les faire intervenir pour l’interview, on est qu’un seul cerveau tu sais …

Pour faire court, quelle est la genèse du projet QuinzeQuinze ?

Marvin : Comment résumer … C’est à la fois un concours de circonstances, de hasards et de connexions . Notre rencontre à l’ESAD a joué. Dès les débuts, on voulait faire des expériences interactives tous ensemble, des visuels et on les postait tous les 15 jours … 

D’où le nom du groupe j’imagine… ?

Ennio : Yes ! Un mix entre des bonbons interactifs et des tests avec des instruments de musique. On a commencé à s’amuser avec les sons puis on voulait illustrer au mieux possible par l’image. Notre entente s’est surtout construite sur notre passion geek : Proposer une expérience immersive, sonore et contemplative !

Ça a directement matché entre vous cinq ? 

Marvin : Dans l’école, il s’est créé une forme d’autarcie où chacun proposait des concepts, y participait. Il y avait un côté familial, les affinités sont d’autant plus fortes. On a commencé par des jams, puis des enregistrements. D’abord à deux, puis trois, puis à cinq.  Et surtout tout est parti d’un sac plastique…

D’un sac plastique ? 

Tsi Min : On faisait des tests avec pleins d’instruments, on grattait des feuilles d’aluminium, des sacs plastiques pour enregistrer des sons originaux sur nos téléphones et les retravailler après ! Moi j’écrivais des lyrics sur des tickets de caisse. Les débuts étaient expérimentaux. On a même enregistré le père de Marvin se tapant sur le ventre. On délirait. Mais à la sortie de l’école, on a eu envie de continuer le bail !

Le tournant QuinzeQuinze, c’est là ? 

Marvin : Oui. À la sortie, on avait l’envie de perpétuer nos expériences immersives tous les quinze jours. Puis, le véritable step du groupe a été le métrage NevaNeva qui nous a soudé comme jamais. Le voyage a lancé notre dynamique musicale pour de bon. 

Ennio : On a d’abord eu différents groupes distincts, genre John PDF. Mais quand on a commencé tous les cinq, l’évidence était là. On est tous autodidactes, on a appris petit à petit en se nourrissant de chacun.  

Marvin : Pour moi, faire de la musique, c’est Ennio, Robin, Julia et Tsi Min. C’est eux qui ont créé mon désir de jouer. En vrai, QuinzeQuinze c’est une histoire de bros [rires]

Et comment chacun trouve sa place au sein du groupe ?

Ennio : Déjà, on a tout fait à l’envers. En supprimant la guitare, tu donnes une dynamique nouvelle aux morceaux. Et nous, on refuse d’avoir une étiquette précise. Chacun apporte sa touche. Parfois je commence à poser quelques notes, je les dépose sur notre ordi. Puis Tsi Min reprend et continue. On part de samples, de mélodies, d’idées, de synthés mais pas d’une guitare. Donc on redéfinit nos rôles qui oscillent en fonction des morceaux.   

Tsi Min : Parfois la basse ressemble à du violoncelle ! On n’est pas des musiciens académiques, on est plutôt des « misuciens ». 

Marvin : C’est un cadavre exquis créatif ! Mais surtout, tout part d’une histoire.

Vous vous racontez une histoire et ça part en studio ?

Tsi Min : Pas aussi simple mais dans l’idée yes ! Pour résumer, on a tous notre indépendance sur un morceau mais on va respecter celle de l’autre, cette polyvalence donne un lead collectif qui se meut entre nous. L’équilibre fonctionne. 

C’est amusant, lorsque vous parlez de QuinzeQuinze, il y a presque une personnification. Comme si c’était un individu propre… 

Tsi Min : Plutôt comme un archipel. En Polynésie, ils sont cinq. Nous on est pareil. Moutarde et Miel, c’est l’une des îles méridionales de l’archipel. On a tous une culture similaire mais avec des dialectes différents, des rituels différents .

À Tahiti, la musique fait partie intégrante de nos vies. Tu te poses sur la plage et tu grattes, c’est presque du domaine public de jouer

Tsi Min
Et NevaNeva, votre court-métrage, d’où est venue l’idée ?

Ennio : Une évidence, raconter des légendes, c’est notre passion avec Tsi Min. Donc petit à petit, le visuel nous a poussés à vouloir décrire ce mythe de la création de l’univers façon tahitienne. On est parti tourner le clip dix jours en Islande et au fur et à mesure on a construit notre monde. 

Tsi Min : Très symbolique pour Ennio et moi qui sommes restés jusqu’à nos 18 ans là-bas. NevaNeva, c’est un peu un hommage à nos racines.

Et comment s’est passé le tournage ?

Marvin : Ambitieux ! Trop ! On voulait faire le tour de l’île, mais c’était impossible. Il faisait jour 24h/24 car pas de nuit en été. On s’est fatigué, c’était douloureux mais on a accouché de QuinzeQuinze et l’âme tahitienne a habité notre voyage grâce au récit dont nous berçait les garçons.  

Votre apport musical et cette culture ont-ils impacté vos sons ? 

Tsi Min : Bien sûr ! À Tahiti, la musique fait partie intégrante de nos vies. Tu te poses sur la plage et tu grattes, c’est presque du domaine public de jouer, même si les goûts musicaux craignent de fou. Et surtout Ennio, son père joue à fond et nous donne l’impulsion. 

Ennio : Oui. J’ai grandi au milieu d’instruments locaux puissants comme le to’ere. Et à chaque fois que je revenais de vacances, j’apportais des nouvelles découvertes et on testait plein de trouvailles avec. Naturellement, QuinzeQuinze a intégré ces influences fortes à son identité ! Tout est aussi parti du o’oroO’oro ça veut dire ronfler en tahitien. Un rythme dense. Chaque île à son propre son, sa vibration, son motif ! Il y des généalogies de sons en fonction des vibrations en Polynésie, c’est un délire ! Quand je suis revenu, j’ai apporté un peu de ce savoir que l’on a incorporé dans NevaNeva. On a fait un voyage dans le voyage !  

La tradition et l’héritage font partie des moteurs de QuinzeQuinze, comme si vous aviez cette volonté de perpétuer les modes de transmissions des mythes en les modernisant ? 

Tsi Min : Complètement ! On a cette tradition qui nous nourrit : les légendes ! Et surtout, à Tahiti, il y a beaucoup de musique de plage. On écoute beaucoup de reggae, de musiques américaines car il y a le côté carte postale, cliché. Nous on veut remettre au goût du jour la vraie tradition ancestrale ambiance 2021.

Ennio : Comme dans les légendes, il faut transmettre un nouvel héritage. Nous, on mixe avec notre vie quotidienne, c’est ce mélange qui fait l’identité de notre groupe. En Polynésie, tout est rattaché à la nature. Ici on l’a mixé avec de la dance music. 

Et tu as fait écouter à ton père votre musique ? 

Ennio : Oui… Là-bas, ils sont assez traditionnels et au début, il était là “tout va bien mon fils ?!” Assez hermétique à la proposition mais récemment ça va mieux, il valide de plus en plus ! Mon check ultime, c’est mes potes de quartier, : s’ils valident, c’est gagné. 

Marvin : En réalité, ça fait très peu de temps que l’on a convaincu un cercle. Le côté expérimental c’est pas forcément accessible pour tous ! On a dû cibler ce que l’on faisait et c’est depuis peu qu’on s’intéresse à nous. Car les journalistes se questionnent sur notre musique mais aussi sur nous. 

Est-ce que la notoriété fait peur ? De devenir mainstream?

Marvin : Jamais. On veut vivre de notre musique donc le côté niche, on s’en fout ! Le but c’est de parler de nous, de notre projet, de notre vision donc le côté élitiste, absolument pas. 

Ennio : Nous, notre but c’est de donner de l’écho à la culture polynésienne, plus on nous valide, plus les traditions se perpétuent donc loin de là. C’est un peu notre mission avec Tsi Min ! Et on ne changera pas notre état d’esprit donc…

Tant mieux pour nous ! Et du coup, dans pas mal de visuels, vous vous êtes créés des avatars, pourquoi ?

Tsi Min : Il y avait le challenge 3D pour Marvin, et mon alter ego Taa’ a toujours fait partie intégrante de mon histoire. Je suis un poisson-volant, c’est mon animal totem. Il est entre la mer et le ciel et moi aussi j’ai le cul entre deux chaises. Je suis parisien tahitien, là-bas, je suis chinois tahitien ici, d’où le poisson volant. Les avatars de Marvin, c’est une représentation de mon/nos histoires !

Marvin : Le côté mutant des personnages fait écho aux essais nucléaires dont on parle dans le morceau « Le Jeune ». Le mix des deux m’a inspiré. On tisse une histoire autour de ce drame, mais en transformant le côté horrifique en inspiration surréaliste. Il y a quelque chose d’un cauchemar merveilleux. Le clip est une ballade entre onirisme et engagement. 

Depuis peu, votre volonté de parler de Tahiti induit donc de décrire cette actualité ?

Tsi Min : Oui. En ce moment, il y a beaucoup de révélations à ce sujet. La France avoue avoir fait de nombreux essais aux abords des archipels, et aujourd’hui le nombre de cancers explose. Les retombées sont violentes, autant sur la santé que sur l’environnement. Il y a même des failles sismiques qui ont marquées des îles. Pour nous, c’est primordial d’en parler. Et la musique est notre vecteur d’engagement. Aujourd’hui, c’est officiel, tout comme la responsabilité française dans cette catastrophe écologique ! Limite des missions suicides car tout était bâclé… 

C’est important pour vous d’éveiller les consciences sur ce sujet ?

Marvin : Oui, car certains politiques nient encore. Et la touche QuinzeQuinze c’est de questionner comment représenter la radiation de façon esthétique, presque poétique. Parfois suggérer c’est encore plus percutant que de dénoncer frontalement. Ce clip, « Le Jeune », fait partie de notre mythologie. On évoque le sujet avec des métaphores, l’explosion, la vague, les rayons du soleil ….

Et la modélisation ? 

Marvin : Bébé du confinement ! Et aussi, on s’est mis d’accord que je prenne les rennes de l’esthétique du clip donc je me suis lâché, la liberté était totale !  

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Et pour la suite, des concerts de prévus ?

Marvin : Ce n’est pas forcément la base de QuinzeQuinze. Généralement, on est en rond, et moi je regarde les copains. Sur place, il y a les instruments ancestraux et les synthés. On met au centre les plus anciens, et cela crée la dynamique scénique. Quand le to’ere, ou les drums arrivent, c’est eux les kings. Lorsqu’on utilise ces instruments, on leur rend un peu hommage. Pour tout ce qui est Vjing, performance, interaction, pour nous, ça détourne la scène et le contact avec le public. 

Tsi Min : Plus on est épuré, plus le rapport est pur, l’attention est précieuse. Mais de plus en plus, on veut intégrer la danse, le show à notre énergie. Avec les scènes qui arrivent, on se projette différemment. Jusqu’alors on faisait plutôt des premières parties, mais le jour où l’on aura 90m2, les choses vont changer ! Pas non plus Johnny Hallyday, et autres hologrammes, mais donnez nous de l’espace et soyez prêts. 

Et j’ai cru comprendre que vous aviez des petits rituels pré-concerts ? 

Ennio : Ah ! On a voulu en créer un. Genre « venez, on passe les quinze dernières minutes ensemble, on se motive et à chaque fois … »

Marvin : Non pas encore ce coup-là !

Ennio : On a perdu Marvin en route, on se demande où il est, et soit il est au bar… soit aux commodités… bref il fait sa vie ! Mais il nous ramène des pintes sur scène, et ça c’est un vrai pote ! 

@QuinzeQuinze
Pour finir : le concert idéal pour QuinzeQuinze, sans limite de territoire ?

Marvin : Pour moi, symboliquement, le concert à la Maroquinerie du 30 Septembre ! Cette salle, j’y suis allé toute ma jeunesse, et je me suis toujours dit “un jour j’y jouerais”.

Ennio : Tahiti ! Direct… Une beach house, ou un îlot ! Le coco beach. Bref sur l’île… 

Tsi Min : Pareil ! L’îlot de ma sœur… On a une parcelle privée… En vrai, à Tahiti, les gens respectent les espaces privés. On a un petit bout de plage, et personne ne s’aventure, par respect ! Le mot tabou vient de chez nous. L’espace sacré, le respect du tabou, c’est dans nos valeurs. 

Marvin : Bon, je change mon idée pour un festival en Laponie, le Urkult. C’était extraordinaire, dans les montagnes vallonnées. Pas mal non plus ?

Et si vous deviez inviter des groupes à ce festival imaginaire ? 

Ennio : Bonnie Banane direct. Elle est authentique, et libre à fond ! Tout ce qu’on valide.  

Marvin : On a une certaine connexion dans ce délire pour l’absurde. On aime inventer des espaces imaginaires. Pour le festival, je vois aussi Tyler The Creator. On a des ponts entre chacun de nos univers car on refuse d’avoir l’étiquette “tel style”.

Tsi Min : Ok, et moi je rajoute Aremistic & Birdking, un groupe tahitien puissant. Bon j’avoue c’est des potes, on les emporte avec nous, c’est nos dudes !

Ennio : Aussi A$AP Rocky, A$AP Céline Dion, A$AP Garou, A$AP Whatever ! [rires]  

/// Retrouvez QuinzeQuinze le 30 mai dans le cadre de la Villette Sonique ///

Image mise en avant : @Laurent Segretier

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