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Paris Electronic Week 2021 : l’idéal du « monde d’après » à l’épreuve de la reprise

Paris Electronic Week 2021 : l’idéal du « monde d’après » à l’épreuve de la reprise

Du 22 au 24 septembre, professionnel·les et amateur·rices de musiques électroniques se sont donné rendez-vous à la Gaîté Lyrique pour trois jours de débats, masterclasses et workshops. Après un an de jeûne culturel, les événements se multiplient, parfois au détriment des valeurs politiques prônées par leurs organisateur·rices. C’est pourquoi cette semaine de rencontres a mis à l’honneur les thèmes de l’écologie, l’inclusion et la sécurité. 

Mercredi 22 septembre, en plein cœur de Paris, le ciel bleu est timide mais la Paris Electronic Week 2021 promet une semaine ensoleillée. Le coup d’envoi retentit à 14h30 et la salle est immédiatement plongée dans l’espoir de reconstruction du monde d’après COVID avec la conférence « Les politiques de relance culturelle innovantes ». Celleci a permis d’introduire le Centre National de Musique créé en 2020 pour maintenir une interaction culturelle pendant les confinements. Après une courte pause, les discussions se poursuivent pour terminer par celle qui nous a interpellé : « Nouvelles radios, webradios… une opportunité pour les musiques électroniques ? » 

Nées de courants avant-gardistes, les musiques électroniques cassent les codes établis. Antoine Baduel, directeur de Radio FG (Feel Good, ex-Fréquence Gay), rappelle en ce mercredi soir que dans les années 90, ces musiques ont permis de libérer la parole et d’offrir une reconnaissance à la population gay pointée du doigt après l’épidémie de Sida en France. Si la musique électronique a longtemps bénéficié d’une mauvaise réputation auprès du grand public, elle séduit désormais un public large et éclectique. Pourtant, aujourd’hui, « c’est un mouvement avant-gardiste qui est devenu planplan et formaté », souligne la DJ et productrice La Fraicheur, invitée à parler de l’engagement écologique des artistes. Elle ajoute que la musique électronique souffre désormais d’une « tyrannie du cool ».

Paris Electronic Week
DJ La Fraicheur © Dorian Prost
L’écologie en pratiques, David contre Goliath

Ecocups, toilettes sèches et foodtrucks éco-responsables font désormais partie du décor événementiel. Il s’agit de petits pas écologiques, qui mériteraient d’être poursuivis. À l’unanimité, La Fraicheur, Fakear, Joakim et Ruben Pariente évoquent les freins de l’industrie musicale à des pratiques plus responsables lors de la conférence « Les artistes se mobilisent pour la planète » l’après-midi. En haut de la liste on retrouve l’exclusivité territoriale longtemps méconnue des amateur·rices de musique : Par exemple, si un artiste est programmé à Rock en Seine il ne pourra pas se produire au We Love Green. L’objectif ici est de garantir au public, une seule date dans la région et ainsi les motiver à se déplacer, parfois même de très loin. L’artiste à qui on doit certains de nos meilleurs moments d’évasions grâce au titre La Lune Rousse précise ainsi : « Même dans la musique électronique, c’est l’écologie contre le capitalisme. »

Fakear © Dorian Prost

Soutenir les artistes locaux·les, casser l’exclusivité territoriale, privilégier les transports écologiques, utiliser des matériaux recyclables semblent être à la une des discussions. Pour La Fraicheur, « l’industrie de la musique n’est pas prête à voir des artistes faire leur tournée en TER ».  Théo Le Vigoureux alias Fakear, originaire de Caen, renchérit avec une  anecdote : « Dans mon contrat avec Universal Music, il est stipulé que je dois faire du merchandising. Je leur ai proposé de travailler avec des entreprises éco-responsables et de circuits courts, et ils ont refusé en raison d’un pacte de préférence avec leur fabricant chinois. »

Si l’enjeu climatique semble être laissé de côté au profit du bénéfice lors de cette reprise événementielle, il en est de même pour les artistes féminines, grandes absentes de cette rentrée. 

Où sont les femmes ?

Peu d’artistes féminines à l’affiche du Macki Music Festival (citons Yu Su, Miss Angel, Lex Amor, Sarah Farina) et une timide parité à la fête de l’Huma : ces deux exemples illustrent la fragilité des progrès en matière de parité obtenus avant la pandémie. Pour promouvoir des artistes émergent·es, les webradios sont ainsi un véritable tremplin. En effet, ces médias offrent une liberté de programmation qui n’a rien à envier aux bandes FM. Durant la conférence du mercredi soir citée plus haut, on a pu comprendre combien le développement des webradios et des musiques électroniques sont étroitement liées. Pour Antoine Baduel (Radio FG), les médias émergents ont pour mission de mettre en avant les invisibles : « Il faut imposer les femmes DJ, créer des vocations. Notre rôle c’est d’en parler, de faire passer des messages, et on doit appliquer certains quotas. » 

Alice La Terreur, fondatrice de Ola Radio met un point d’honneur à respecter au mieux la parité. Elle a ainsi mis en place des ateliers en non-mixité pour apprendre aux femmes à mixer. Elle explique : « Ce n’est pas pour exclure les hommes, mais pour motiver les femmes à venir. Il manque des femmes DJ. » 

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Les femmes à l’honneur à la Paris Electronic Week © Dorian Prost

Dans les musiques électroniques comme ailleurs, les femmes ont longtemps été considérées uniquement comme des muses. Pourtant, comme le montre bien le film de Lisa Rovner, Sisters with Transistors, invitée de la table ronde « Quel storytelling pour l’origine des musiques électroniques ? », il existe toute une histoire de femmes pionnières de ces musiques, depuis les années 1920 avec Daphne Oram, Laurie Spiegel ou encore Suzanne Ciani. Leurs voix méritent d’être entendues, dans un espace culturel où les violences de genre sont toujours bien présentes. 

Musiques électroniques au diapason des remises en questions

Dans un système sociétal colonial et patriarcal, le monde de la fête ne fait pas exception. Durant la conférence du vendredi soir « Les violences dans les musiques électroniques : reflet de la société », deux concepts sont évoqués : les violences systémiques et celles liées par un continuum, comme la culture du viol par exemple. 

Pour Hawa Sarita, artiste franco-marocaine, « les espaces festifs et nocturnes doivent être appréhendés comme des espaces politiques ».

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En effet, la musique est dans l’imaginaire collectif considérée comme un divertissement, et cela même par nombre de professionnel·les. C’est en tout cas ce que regrette Yann Christodoulou de Budo Sécurité, un e agence de sécurité pour les lieux privés. Pour lui, la sécurité n’est pas assez prise en compte et les formations manquent pour agir efficacement contre les violences.

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Yann Christodoulou (Budo Sécurité) et Albane animatrice de la conférence © Dorian Prost

En réponse à ces violences, le collectif #MusicToo France combat l’omerta dans l’industrie musicale. À sa création en 2020, l’objectif pour son cofondateur Jean-Michel Journet était de rendre visible la parole des victimes. Les militant·es ont donc créé un espace où chacun·e peut témoigner anonymement tout en nommant son agresseur. Pour recouper les témoignages et ainsi avoir un impact lourd, iels ont ainsi collaboré avec des médias d’investigation comme Mediapart, NEON ou encore Rue89 Strasbourg.

Reflet des interrogations du monde de la musique électronique en France, la Paris Electronic Week s’est achevée sur ces constats. En attendant la prochaine édition, espérons que les questions soulevées durant ces trois jours trouveront un écho auprès des professionnels et des réponses pragmatiques. 


Retrouvez toutes les conférences de Paris Electronic Week en intégralité sur leur page Facebook.

Par Emma Druelles

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