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Desire : « être une artiste trans visibilisée me place dans le doute de me perdre en tant que queer »

Desire : « être une artiste trans visibilisée me place dans le doute de me perdre en tant que queer »

Fondatrice du collectif With Us, la DJ Desire a publié le texte qui suit en story il y a quelques jours pour partager ses doutes. Elle y parle de son sentiment de tiraillement entre sa conscience militante, sa transidentité et le développement de sa carrière qui l’amène hors des espaces queers. Ses mots ont trouvé de l’écho auprès d’autres artistes, et nous les relayons pour inviter d’autres personnes à rejoindre cette réflexion.

Durant ces derniers mois, j’ai eu la chance de beaucoup jouer, plus que jamais auparavant. J’étais habituée à jouer surtout pour des collectifs queers locaux, ou pour des personnes dont je connaissais parfaitement le travail. J’avais déjà bien sûr joué pour des collectifs que je ne connaissais pas ou pour des collectifs straight, mais c’était plutôt rare et depuis cet été, ça s’est inversé.

Jouer en dehors de nos cercles et de notre communauté peut souvent s’avérer gage de « violence », de mégenrage, d’incompréhension, de solitude, de perte de confiance, de déréalisation. Pour notre communauté, un·e artiste qui se mettrait à beaucoup jouer pour des soirées straight ou pour des collectifs « non militants » peut aussi être signe de trahison, d’incompréhension, de déception à l’égard de sa communauté.

Ce dont j’aimerais parler, c’est du sentiment de choix (de manière explicite ou non) qui s’impose aux personnes queers lorsque iels veulent vivre de leur musique, devenir DJ. Ce choix ne s’impose qu’à nous, queers ou personnes invisibilisées de manière générale. En effet, on doit choisir de jouer ou non pour des collectifs straight, et oui, ça représente un choix et il n’y a rien d’offensant à le dire.

Jouer en dehors de nos cercles et de notre communauté peut souvent s’avérer gage de « violence », de mégenrage, d’incompréhension, de solitude, de perte de confiance, de déréalisation. Pour notre communauté, un·e artiste qui se mettrait à beaucoup jouer pour des soirées straight ou pour des collectifs « non militants » peut aussi être signe de trahison, d’incompréhension, de déception à l’égard de sa communauté. Comme si l’artiste passait dans le rang de « coqueluche LGBT » qui n’est pas souvent mise en valeur dans les cercles militants. Oui, il y a un devoir militant qui s’impose dans nos cercles queers et un jugement qui pèse, qui effraie. La peur d’être rejeté·e de notre communauté est d’autant plus violente que le monde straight nous rejette déjà.

Pour pouvoir vivre de sa musique aujourd’hui, on doit jouer tous les week-ends, et bien sûr que ce n’est pas possible de seulement jouer dans des soirées queers. Déjà parce que la force de notre communauté est de programmer des artistes émergent·es et que le turnover des artistes est le maître-mot de nos soirées (comparé aux soirées straight où les mêmes noms tournent depuis 10 ans lol).

Le fait aujourd’hui d’être une artiste trans visibilisée me place dans ce doute, ce doute de me perdre en tant que queer. Comme dit avant, un·e artiste straight n’a pas ce choix. Pour pouvoir vivre de sa musique aujourd’hui, on doit jouer tous les week-ends, et bien sûr que ce n’est pas possible de seulement jouer dans des soirées queers. Déjà parce que la force de notre communauté est de programmer des artistes émergent·es et que le turnover des artistes est le maître-mot de nos soirées (comparé aux soirées straight où les mêmes noms tournent depuis 10 ans lol). Aussi, et c’est sûrement la première des raisons, car nous avons moins d’argent que les autres et donc assez logiquement, lorsqu’un·e de nos artistes est visible, on ne pense plus pouvoir la programmer. J’ajouterais aussi que le fait de s’éloigner des soirées exclusivement queers peut être signe pour des promoteurices que nous ne faisons plus partie de la communauté, et que nous avons capitalisé sur notre identité. Des artistes échappent à ça et peuvent vivre de leur art seulement dans leur cercle, mais soyons honnêtes, iels sont une minorité, et cela relève du privilège, qu’il soit matériel à la base, d’un réseau (l’entre-soi parisien be like), ou malheureusement cela peut tout simplement être temporaire. Oui, dans un monde parfait, je ne joue que dans des soirées queers, mais dans ce monde-là, je devrais forcément retourner à l’usine, derrière une caisse, ou dans n’importe quel travail possible sans diplôme pour payer mon loyer.

Même si j’ai des choix à faire, j’ai déjà le privilège d’en faire. Je suis une artiste trans, okay, mais blanche et valide, qui habite à Paris. Et par rapport à mes copains transmasc, je peux être programmée dans une soirée « féministe » « lesbienne » ou même pour remplir le quota de « meufs » sur une line-up, et ça représente un vrai privilège. Car oui, les personnes trans sont plus visibles aujourd’hui, mais seulement si iels sont blanches, « fem », valides… etc.

Pour revenir à quelque chose de plus personnel, j’ai l’impression d’être en questionnement perpétuel. Suis-je assez queer ? Weird comme j’aime être ? Dois-je me protéger sur cette date et moins me maquiller ? Dois-je porter une robe pour être correctement genrée ? Est-ce que je veux/dois faire plus de contenu militant ? En gros, qui suis-je maintenant et où vais-je ? Pendant ces derniers mois, j’ai parfois abandonné l’image que je portais d’high fem (que j’aime toujours) car ma transidentité fluctue, mais aussi par sécurité, et bizarrement j’ai peur que l’on associe ça à mes bookings straight… Même si je n’ai jamais été aussi mégenrée que cet été. LOL. BREF.

J’avais envie de le partager avec vous ou de l’écrire pour moi-même, est-ce qu’il y a des artistes queers qui partagent ce sentiment et qui veulent discuter ? Ou qui veulent créer le premier syndicat des artistes queers ? I’m here ! 



Dès le lendemain de la sortie de ce texte, j’ai vite compris qu’il ne s’agissait pas d’un ressenti isolé, puisque j’ai vu qu’il était partagé par de nombreux·ses artistes TPG. Alors, pourquoi attendre ? Pourquoi ne pas en discuter ? Pourquoi ne pas s’organiser ? Pourquoi en rester là ?

Ma copine chérie m’a aidé à canaliser toutes mes idées et nous avons créé un formulaire Google dont vous trouverez le lien juste en dessous ! Afin de nous organiser entre personnes queers et réfléchir à la mise en place d’un réseau (syndicat ?) d’entraide d’artistes queers francophones, prenant la forme d’une assistance administrative, émotionnelle ou artistique, etc. Et mine de rien, nous sommes déjà un petit nombre, mais nous faisons appel à vous, artistes (DJ, drag queens, organisateur·ices de soirées, etc.), pour nous rejoindre.

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Bien sûr, c’est tout neuf et nous avons tout à construire : nous devrons nous entourer de collectifs déjà existants, de professionnel·les, d’autres syndicats, mais tout cela peut prendre forme, j’en suis sûre ! 

Pour l’instant, c’est une conversation sur Instagram, mais qui sait, peut-être bientôt un cortège de manifestations ?

Rejoindre l’initiative (no cis het dude please)


Image à la Une : Solisse, @sdlrme

Relecture et édition : Apolline Bazin

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