À seulement 24 ans, Mavi Phoenix inspire le respect. Et pour cause, le rappeur autrichien aux influences très pop se fait une place dans la cour des grands, là où (quasi) seule Conchita Wurst s’érige en porte-parole de la communauté LGBTQIA+ viennoise. Entre un refus des genres et un album puissant, porté par le titre « Bullet In My Heart » : rencontre avec une véritable bouffée d’air frais qui met à mal toutes les étiquettes.
Boys Toys, une symbolique forte pour un premier album, disponible depuis le 3 avril. S’ajoute une tournée mondiale initialement prévue sur tout 2020, et 12 titres phares sortis au compte-gouttes qui naviguent dans des univers singuliers. Mavi Phoenix, signé notamment chez LLT Records, l’a clairement annoncé : « Dites-le à vos amis, dites-le à votre famille : je suis moi. » Depuis son premier EP My Fault, sorti en 2014, jusqu’à sa tournée européenne avec Milky Chance, en passant par ses actus brûlantes, l’artiste s’affirme. Car Boys Toys est surtout l’album où l’artiste, devenu Marlon, se livre sur sa transition entamée il y a plusieurs années. Au prisme des différents titres intimes, Mavi Phoenix nous offre ses pensées, son quotidien, en toute transparence. L’occasion pour nous de savoir qui est réellement cet ovni musical à suivre d’urgence.
Manifesto XXI – Bonjour Mavi, comment vas-tu en cette période assez confuse ?
Mavi Phoenix : Je vais bien. Même si l’atmosphère est assez étrange, je suis très excité à l’idée de la sortie de mon album. Cela me permet de me focus sur une énergie stimulante, d’avoir l’esprit occupé. En Autriche, où je suis actuellement, nous quittons peu à peu le confinement même si c’est un autre quotidien qui nous attend.
La musique m’a permis d’appréhender mes états d’esprit et de les retranscrire.
Mavi Phoenix
Tu as commencé la musique très jeune, à 11 ans, sur GarageBand. Puis en 2014, tu livres ton premier EP, et depuis tu sors de nombreux singles. La musique s’est présentée comme un moyen d’expression face aux bouleversements qui se passaient en toi ? Surtout que tu as rencontré le succès dès tes débuts…
Oui, j’ai commencé très tôt car la musique a été pour moi un vecteur d’émancipation et de compréhension dans ma construction personnelle. Quand j’ai découvert à quel point ce médium était libérateur, je me suis rendu compte que l’acte de produire et écrire des chansons était puissant, et me permettait aussi de m’échapper d’une réalité parfois cruelle à mon égard. Très vite, j’ai été deuxième dans les charts et nominé par des institutions connues ici (en Autriche, ndlr) comme l’Amadeus Austrian Music Award. Ça m’a donné confiance en tant qu’artiste mais aussi dans ma transition identitaire. D’être reconnu par mes « pairs », cela m’a offert un sentiment de légitimité nécessaire lorsque l’on débute dans un secteur tel que la musique. Surtout que j’ai un univers singulier !
Le classique mais efficace : l’art comme thérapie ?
L’art est toujours une forme d’expression de soi, et de ce fait, une thérapie en soi. Lorsque tu crées, tu passes plus de temps avec toi-même, ce qui est une introspection, dans le bon ou mauvais sens du terme en fonction de ton mood. Lors de ma transition, la musique m’a permis d’appréhender mes états d’esprit et de les retranscrire. Une catharsis vitale et salvatrice dans ce processus complexe. Les rendez-vous chez les psys, les médecins, les regards, le jugement, sont autant d’obstacles qui peuvent facilement vous mettre à terre. La musique m’a permis de communiquer avec mes proches.
Mavi Phoenix : pourquoi ce nom de scène ?
En hommage à River Phoenix (rires) et pour signifier le début de ma nouvelle vie. Une renaissance.
Comment qualifies-tu ton style ?
Comme pour les genres, je n’aime pas les étiquettes. Mais mes inspirations parlent pour moi : mon featuring idéal serait avec Tyler The Creator, que j’admire par dessus tout. J’ai aussi accompagné Milky Chance dans une tournée européenne et mon label, LLT, produit surtout de l’électro. Je dirais donc un mix de pop lo-fi, rap, électro. Pas facile à simplifier ! J’ai réussi à sortir du carcan d’artiste « pop » ou d’artiste « rap », et mon album mélange tous ces univers. J’ai la chance d’être soutenu par mes producteurs dans mes expérimentations sonores, et cette confiance me permet d’oser, comme dans « Player », avec un peu d’auto-tune futuriste !
Et ton album ? Peux-tu nous en dire plus sur le nom ?
Boys Toys est le nom de l’album mais aussi de l’alter ego que je me suis créé durant ma transition. Boys Toys, c’est Mavi Phoenix en petit garçon. Il a cette petite voix haut perchée et est présent dans presque chacune de mes chansons. Cela m’a permis de complexifier la structure des morceaux en y intégrant différents prismes de lecture. Je suis à la fois cet enfant qui évolue au fur et à mesure des années. Aujourd’hui j’ai 24 ans, et j’ai commencé ma transition il y a plusieurs années. Boys Toys est l’incarnation de ce que je suis mais je n’aime pas catégoriser les individus en « genres ». C’est très réducteur ! Je préfère le terme « identité ». La mienne serait non-binaire. Pour moi, je suis Mavi Phoenix et Boys Toys à la fois, je n’aime pas devoir choisir sous prétexte d’injonction sociale. En somme, je suis partisan de la transidentité.
Comment écris-tu des paroles ? Les titres sont très parlants, entre My Fault en 2014, « Little by Little » en 2015, « Quiet » en 2016, ou « Romantic Mode » en 2019.
En premier lieu, je débute toujours par me concentrer sur le beat, l’instrumentale, pour saisir l’énergie dans laquelle je vais écrire. Puis je me réorganise mes pensées pour essayer d’aller vers une direction précise. Chacune de mes chansons a un message précis, qu’il s’agisse de « Bullet In My Heart », « Fck it up », « Choose Your Fighter »… Depuis la sortie de mon premier EP, j’ai beaucoup évolué, et mon coming-out transgenre l’an dernier n’y est pas pour rien. J’assume des lyrics plus épurées mais peut-être plus percutantes !
Être transgenre, c’est quelque chose d’extrêmement personnel, une vérité que moi seul perçois.
Mavi Phoenix
Tes clips aussi font preuve d’une évolution concrète de tes alter ego ?
Je me suis délesté de beaucoup de fioritures – cheveux longs, palette vestimentaire Technicolor – pour mettre en lumière une simplicité. Qui je suis, sans apparat. Le clip et les paroles suivent ce désir de transparence : parfois juste un plan simple sur moi comme dans « 12 Inches » permet de rendre le propos plus authentique. Dans pas mal de mes clips, il y a aussi mon avatar qui apparaît. J’aime ces mélanges entre différents médiums, différents personnages.
Dans « Bullet In My Heart », tu parles des genres et de la pression exercée par la société face aux modèles conventionnels « acceptés » : « Je suis en voyage, pour trouver qui je suis, et qui je veux être. Pour l’instant, n’importe quel pronom est ok pour moi. »
Oui, je me suis dévoilé en tant que transgenre l’an dernier. Il y a certaines choses que notre société a du mal à abandonner, certains stéréotypes qui divisent la société en deux entités. Mais pour moi les limites sont poreuses. Je me suis senti garçon depuis ma naissance. Être transgenre, c’est quelque chose d’extrêmement personnel, une vérité que moi seul perçois. La société n’est pas en mesure de comprendre les fondements internes qui me muent. À côté de cela, je suis né femme, donc je ne serai jamais totalement un homme : pour moi il faut réinventer les codes des genres. Je suis non-binaire avant d’être un homme. Je ne veux appartenir à aucune catégorie définie.
Faire rentrer les individus dans des cases est réducteur…
Oui, totalement. Il existe une pluralité de genres, de sexualités. Pour moi, il faut créer des cases qui sortent de la norme établie. Le modèle actuel est archaïque et ne reflète plus les réalités perceptibles de nos sociétés. Fini le modèle femme/homme ancestral et les codes hétéronormés en 2020 ! Il faut du temps pour faire évoluer les consciences, mais notre génération est bouillonnante, les révolutions, aussi petites soient-elles sont effectives !
Est-ce que tu as le sentiment d’être un porte-parole pour la communauté LGBTQIA+, mais aussi pour les nouvelles générations ?
Bien sûr. Je parle très souvent avec mes fans car beaucoup font partie de la communauté. En tant que personnalité publique, et trans de surcroît, je peux me rendre disponible pour aider certain·es jeunes à s’émanciper, se comprendre. Les processus de transformation sont longs et éprouvants, il est important d’être soutenu·e. Par contre à la fin, je suis un artiste avant tout, c’est cela qui me définit.
Dans tes paroles, tu parles de ta thérapiste : « Je la rendrai riche. » Pour toi est-ce important de sensibiliser par l’humour ? Surtout que certaines sont très dures comme dans « 12 Inches » : « Je suis un monstre pour beaucoup de celles/ceux que je connais »…
Absolument ! J’essaie de ne pas me prendre trop au sérieux. La vie est à la fois folle et dramatique. C’est ce qui lui offre sa beauté. Je ne veux pas me perdre dans les méandres de ma noirceur, et l’humour m’y aide. Plus les sujets sont deep, plus les prismes de lecture pour y insuffler de la douceur sont nécessaires à mes yeux. J’aime vraiment cette liberté, une impression de m’être émancipé et d’assumer qui je suis, et ce que je deviens, comme je le dis dans « Choose Your Fighter »: « Ola ola, je suis votre nouveau misfit (marginal, ndlr) ».
C’est souvent dans les sociétés les plus sclérosées que la communauté queer se doit d’être la plus vivante, pour survivre.
Mavi Phoenix
En Autriche, le gouvernement joue toujours avec les extrêmes, comment fait la jeunesse pour créer dans ce climat ?
Plus que jamais, il est vital de mettre en lumière les populations opprimées et sous-représentées, comme les transgenres, qui subissent de nombreuses agressions. L’Autriche est à fois une nébuleuse puissante en expérimentation, en matière de culture underground, et son antithèse. C’est souvent dans les sociétés les plus sclérosées que la communauté queer se doit d’être la plus vivante, pour survivre.
Pour finir, nous vivons une période trouble, comment rester inspiré·e ?
J’ai la chance d’être assez casanier, et d’avoir l’habitude d’écrire et de produire à domicile. Restons fort·es et positif·ves, et les concerts seront d’autant plus intenses ! Hâte de venir vous rendre visite sur scène…
Photo en une : © Ines Frischenschlager