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Marty de Lutèce, le NOOB désenchanté

Marty de Lutèce, le NOOB désenchanté

Rencontre avec le rappeur lyonnais Marty de Lutèce, en concert à Paris le 23 mars à La Java pour Rose Bitume #2.

Avec déjà deux opus à son actif, l’EP Violence Partout et la mixtape NOOB, Marty de Lutèce (échappé de l’ex duo LUTĒCE) de l’écurie Jeune à Jamais a su retenir notre attention avec son cloud rap rêveur et atmosphérique. Au fil d’instrus trap à haute teneur en mélancolie, le rappeur doué d’un talent de mélodiste certain dépeint le quotidien de son flow désabusé. À l’image, il erre avec simplicité et nonchalance dans ses clips tendance glitchy, laissant dans son sillon une aura vaporeuse de spleen générationnel.

‘Est-ce que tu m’aimerais encore si j’étais normal ?’

Manifesto XXI : Est-ce qu’on peut retracer en quelques mots ton parcours ?

Marty de Lutèce : Je fais de la musique depuis mes dix ans environ, j’ai appris la guitare, eu des groupes de rock, d’électro… Puis j’ai tout arrêté pendant trois quatre ans, repris mes études d’histoire de l’art, et c’est là que j’ai rencontré Yann avec qui j’ai commencé à faire du rap sous LUTĒCE.

Tu as appris la musique aussi dans des cadres académiques ou principalement en autodidacte ?

Non complètement en autodidacte, je n’ai jamais appris le solfège etc…

Le rapport à l’écriture, il t’est venu d’où ?

Je n’ai jamais écrit en dehors de la musique. La première fois que j’ai touché un instrument j’ai direct commencé à composer et écrire des paroles, même si je ne savais pas jouer. À l’école j’aimais bien les exercices de poésie, ce genre de choses, mais sans plus, l’écriture est vraiment venue avec le son.

Est-ce que ça a été long de trouver ton univers esthétique ?

Ça s’est fait très naturellement. Avec LUTĒCE on n’a pas cherché quoi que ce soit, on a suivi notre intuition, ça a été fluide.

Quels sont les artistes références qui ont le plus influencé la musique que tu fais actuellement ?

C’est dur ça… Je pense qu’un projet est plutôt le fruit des différentes musiques qui ont traversées ta vie ; ce que tu as écouté en premier, ce qui a été fondateur pour toi… ça crée un socle. Dans le rap pour moi tu pourras toujours évoquer des PNL etc, mais bon c’est anecdotique, c’est la musique du moment, ce qui me semble fondateur c’est ce que tu écoutais avant.

Je me rappelle que le premier disque que j’ai acheté c’était Da Funk des Daft Punk, c’était totalement nouveau pour moi, j’étais refait, c’était ouf. Sinon j’ai beaucoup écouté I Am, Mickey 3D (quand t’es jeune t’as pas forcément des super goûts musicaux), Indochine… ça a été des artistes fondateurs dans ma construction musicale, même s’il n’y a pas forcément d’influence directe.

À l’heure actuelle tu écoutes plutôt quoi ; tes classiques, la scène émergente, du mainstream ?

Franchement je n’écoute quasiment pas de musique. Attends j’ouvre mon Deezer… alors j’ai du Jul, Tame Impala, XXXTENTACION, Muddy Monk, Christine & The Queens, Columbine, Kanye West, Travis Scott, Led Zeppelin, Nirvana, Michel Berger, Cat Stevens…

C’est très éclectique. J’aime bien piocher dans les vieux projets qui m’ont marqué aussi. Par exemple le travail de la réverbération chez Supertramp m’a beaucoup inspiré.

© Chloé Ciccolo

Avec qui travailles-tu pour les instrus ? Tu en fais aussi ?

Sur certaines j’interviens par exemple pour jouer de la guitare, mais concrètement même si le beatmaker bosse tout seul, je donne toujours une direction artistique. Je n’arrive pas à écrire si le mec ne compose pas le beat en même temps que moi à côté dans la pièce. Sinon j’ai l’impression de ne pas maîtriser ce que je veux amener. C’est important d’avoir une identité sonore globale.

Tu voudrais produire plus toi-même ?

Ça me ferait tripper mais pour l’instant je n’en vois pas l’utilité, dans le sens où ça me va bien comme ça, et la technique ça me saoule vite.

Comment tu décrirais ton process d’écriture ?

Je note des idées sporadiquement dans mon téléphone, mais après j’écris vraiment sur le moment pendant que le mec est en train de faire le beat. Le fait de le faire pendant ce temps-là, ça m’aide à écrire mieux, parce que ça me force à écrire plus vite, et donc à être parfois plus dans l’improvisation. Et c’est vraiment que si j’ai plus d’inspi et que je dois boucler mon texte que je vais chopper les idées sur mon tel.

Tu superposes beaucoup de lignes de voix, comment tu travailles ça ?

Je pose le lead du premier couplet, puis celui du deuxième, ensuite le lead du refrain, puis je reviens sur le premier couplet faire tous les backs chantés, puis les backs ambiance, etc… Ce sont des backs très spontanés, souvent à base d’harmonies simples.

Est-ce que tu as l’impression d’avoir des thèmes obsessionnels ?

Ce que je vis juste avant conditionne beaucoup mon imagination et ce que je vais écrire sur le moment. Après il y a bien sûr des thèmes récurrents qui viennent plutôt de ta personnalité. Par exemple moi je suis quelqu’un d’assez nostalgique de l’enfance, j’ai des relations sentimentales assez tumultueuses… j’en parle parce que je le vis, tout simplement.

Ton univers est teinté de spleen, de mélancolie, comment tu l’expliques ?

C’est drôle parce qu’on était en studio justement là et on essayait de varier avec des prods un peu plus rythmées, plus zouk, mais même là-dedans, ça turn up, c’est cool, mais c’est triste !

Comment tu vois ton esthétique évoluer prochainement ?

Le rap de base c’est une musique d’entertainer, où tu fais beaucoup semblant, et je crois que mon but, c’est de faire de moins en moins semblant, d’être de plus en plus moi.

La scène, quelle place ça a pour toi ?

Pour moi la scène c’est aussi important que le reste, c’est là que tu rencontres les gens, qui vont dire que c’était cool, faire écouter à leurs potes… Sinon tu sors jamais d’internet. Quelqu’un qui ne t’as jamais écouté peut se retrouver au concert, apprécier, en parler autour de lui… c’est beaucoup plus dans l’ouverture, dans le partage.

Après bien sûr il y a les mauvais côtés de t’as une vie à la con, t’es tout le temps stressé, tu te couches hyper tard… comme le studio finalement, en pire. C’est une vie moins tranquille à long terme, mais il faut le faire. Là on va bosser un nouveau set à deux sur scène avec Schumi1, et on va faire plus de live.

© Bogus

Les derniers artistes qui t’ont foutu une grosse claque sur scène ?

Je vais pas te mentir, j’aime pas spécialement aller voir des concerts, après j’ai trop envie d’être à la place du gars, ça génère de la frustration. Le dernier ça devait être Lomepal.

T’es plutôt geek solitaire ou t’aimes rider la night ?

Un peu des deux… ça dépend de l’humeur. Je joue beaucoup aux jeux vidéos.

Et ça influence ta musique ?

Oui beaucoup, j’y fais plein de références dans mes textes et visuels. J’ai une mémoire très sélective, et les jeux vidéos ça m’aide à mettre des marqueurs, je peux te citer à chaque période de ma vie à quels jeux vidéos j’ai joué, et ça me permet de me rappeler du contexte autour. Du coup ça génère de la nostalgie aussi.

Justement pourquoi ce titre de mixtape, NOOB (ndlr un newbie, un débutant dans l’univers du gaming) ?

C’est une espèce de remise en question, malgré le fait que je fasse du rap depuis déjà quelques années, dans ma tête je suis toujours un débutant dans le sens où j’ai pas encore percé par rapport à d’autres artistes ; est-ce que je peux me vanter d’être quelqu’un qui sait faire ? Et par cette mixtape j’essaie de me prouver que oui.

Le projet d’avant, Violence Partout, ça parlait du fait de rester enfant quand tu deviens adulte, et que du coup tu te prends tous les trucs dans la gueule ; le décès des gens, la vie amoureuse, le travail… Et là NOOB ça parle aussi d’être un newcomer dans la vie d’adulte, où tu es confronté à plein de problèmes pour la première fois.

Côté visuel, personnage, qu’est-ce que toi tu cherches à transmettre ?

Le visuel c’est compliqué parce qu’il faut qu’il soit propre, qu’il parle aux gens, et en même temps qu’il soit le plus naturel et authentique possible, et ça c’est dur. Par exemple souvent je me dis putain faudrait que je sois sponso par une marque 2.0 un peu cool, mais en vrai je suis pas comme ça dans la vie, donc est-ce que vraiment ça sert à quelque chose… c’est une question que je me pose encore. Les artworks sont importants, j’y réfléchis beaucoup, par contre les photos, je les fais vraiment au feeling en fonction du moment où j’ai envie de les faire.

Tu travailles avec qui, comment ?

Pour NOOB on a sorti un visuel pour chaque son et l’artwork, et c’est Kilyan Maupoint qui a réfléchi à ça avec moi. Chaque visu représente une cartouche d’un jeu vidéo différent, et à la fin tu as la borne d’arcade. Et Violence Partout c’était avec Simon Bournel de Kiblind.

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Et pour les clips ?

Comme les sons et les visuels on fait toujours des brainstorming et je drive la DA, après je m’entoure de gens de confiance et compétents techniquement. Le dernier en date, ‘Full Métal’, c’était avec PIĒGE Studios, des réal Lyonnais, on voulait un truc un peu post-apocalyptique, en mode c’est la fin du monde, je suis tout seul. Je suis en fuite, et le flic qui me suit c’est mon double, en fait je me cherche moi-même. En général on pose une idée globale comme ça, puis ensuite on va dans les endroits et on tourne de manière spontanée.

© Lucas Vandooren

Est-ce que ça te saoule que l’époque soit autant portée sur le visuel et la communication ?

Franchement ouais.

À l’époque t’achetais un disque de Led Zeppelin, tu regardais la pochette, t’écoutais le disque, c’était le feu, point barre. Aujourd’hui si un artiste ne communique pas visuellement… il manque limite 50% du taf.

Je trouve ça ouf, car t’es censé faire de la musique, pas autre chose. Y a surement des groupes dingues de l’époque qui perceraient pas dans les conditions d’aujourd’hui.

Et qu’est-ce que tu penses du fait qu’aujourd’hui le traitement médiatique des artistes se fasse beaucoup par des prismes politiques, sociologiques, identitaires… ?

Je trouve ça nul. Est-ce qu’on résume un artiste au fait qu’il soit gay, qu’il vienne d’un certain quartier… Il faut considérer les musiciens pour leur musique. On met trop les gens dans des espèces de cases. Et moi en tant qu’artiste en développement je me sens obligé de rentrer dans une case pour fonctionner.

Il y a toujours eu des cases mais aujourd’hui ça me semble exacerbé. C’est peut-être une mode. Moi ça m’intéresse vraiment pas de savoir ce que les artistes sont, l’important c’est la musique, et d’être authentique dans ce qu’on crée.

Tu penses pas que les artistes sont aussi là pour porter, incarner des causes via et au-delà de la musique ?

Si, carrément. L’autre jour je suis tombé à la télé sur un reportage qui parlait des artistes de variété de l’époque Michel Berger et de leurs investissements humanitaires, et tu sentais qu’ils étaient vraiment concernés, c’était émouvant, évidemment que les artistes peuvent s’engager et doivent le faire s’ils en ont envie, mais ils doivent avoir le choix, ça doit venir d’eux, et non être une obligation.

Toi du coup tu ne cherches pas à incarner un combat plus grand que toi à travers ce que tu fais, tu te considères surtout comme un esthète ?

Pas du tout, il y a des causes qui me sont chères, mais ce sont des choses personnelles, je veux les garder dans ma sphère privée, faut pas tomber non plus dans le voyeurisme ‘ah lui il fait ça regarde, c’est une bonne personne’. Et puis les gens qui s’engagent ça vient aussi souvent avec le temps, parce que leur notoriété leur permet de prendre position et d’avoir un certain poids. Je pense que si ça m’arrivait je le ferais.

À quoi on peut s’attendre pour les prochains mois ?

On va sortir encore quelques clips issus de la mixtape NOOB, puis enchaîner beaucoup plus fort sur le prochain projet, tous axes confondus. Jeune à Jamais devraient me donner les moyens d’aller plus loin.

La track que tu conseillerais à quelqu’un qui ne connait pas du tout ton univers encore ?

Parker Lewis et Full Métal !

Une track d’un autre artiste que tu écoutes en boucle dernièrement ?

J’écoute pas trop les sons en boucle, j’ai pas trop un tempérament de fan.

Mais je dirais l’EP de Muddy Monk.

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