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De Kids à Betty, comment les teen movies ont changé notre regard sur le skate

De Kids à Betty, comment les teen movies ont changé notre regard sur le skate

Le 1er mai, HBO diffusera Betty, nouvelle série qui suit la vie d’un groupe de jeunes femmes sillonnant le monde éminemment masculin du skate à New York. Pour en arriver à une série sur une bande de skateuses, réalisée par une femme (Crystal Moselle), avec un casting majoritairement féminin, il aura bien fallu bousculer les codes de mise en scène de ce sport et des teen movies. Alors, pour patienter jusqu’à la diffusion des premiers épisodes, voici un retour express sur les films de skate qui ont marqué et chamboulé le genre.

Aujourd’hui aux Etats-Unis, 77% des skaters sont des hommes, contre seulement 23% de femmes. L’égalité sur le terrain est bien loin d’être achevée. Du côté du cinéma, en 2019, seulement 10% des films les plus rentables ont été réalisés par des femmes, ce qui est à la fois incroyablement peu, et le maximum qu’on ait jamais atteint. Dans ces conditions, Betty défie en même temps les lois du skatepark et de l’industrie du cinéma, tout en s’inscrivant dans un contexte plus que jamais favorable à son existence. La réalisatrice de Betty connaît son sujet : à en croire les premières images, la série reprend l’atmosphère légère et joyeuse du film Skate Kitchen, qu’elle a réalisé en 2017. Une ambiance en rupture avec ce à quoi les films de skate nous avaient jusqu’ici habitués.

Souvent sombres et transgressifs, les films de référence sur le sujet ont été pensés à des époques où il fallait sauver le genre de sa mauvaise réputation. Ce genre, c’est celui du teen movie, tant critiqué, mais au succès indiscutable. Un teen movie peut se définir à la fois comme un film mettant en scène des adolescents, et/ou comme un film destiné à un public adolescent. Pris dans le renouvellement fréquent (mais pas si profond) du genre, les films de skate ont pendant des décennies été synonymes de violence, malaise, et surtout, de démonstrations brutales de la masculinité. 

Du héros au monstre, l’assombrissement du juvenile delinquent film 

Le premier film de skate, le court-métrage Thrashing, date de 1965. La pratique était alors considérée comme une lubie passagère des ados. Finalement, elle a longtemps souffert du même manque de légitimité que le teen movie et l’inévitable rencontre des deux s’est faite rapidement à l’écran.

Retour vers le futur, Robert Zemeckis, 1985

Retour vers le futur arrive en plein essor de la sous-culture skate. Le bienheureux Marty McFly traverse les décennies en glissant héroïquement sur sa planche. En bon skater, il ne quitte pas ses Converse. En bon fils, il venge son père en s’engageant dans une course poursuite contre celui qui lui gâche la vie, et sème la bande de voyous en skate, tandis qu’eux sont en voiture (rien que ça !). Dans le futur, il réplique la même scène avec cette fois un hoverboard qui restera un objet de fantasme dans les esprits des cinéastes et des ingénieurs. Le héros skater de Retour vers le futur est un « gentil », qui évolue dans un film qui correspond aux standards plutôt innocents du teen movie. Si les adolescents semblent déjà évoluer dans un univers hermétique aux adultes, la transgression reste inoffensive, et ici l’univers de science-fiction inscrit l’histoire bien loin des préoccupations réelles des adultes. C’est une manière de rassurer le public : certes, cet adolescent a un comportement répréhensible, mais en même temps, il s’agit d’un film où l’on voyage dans le temps, donc n’y réfléchissez pas trop.

Kids, Larry Clark, 1995

Dix ans plus tard, le genre prend une nouvelle tonalité, lorsque Larry Clark signe Kids. On comprend avec ce film dérangeant que le teen movie peut être un film d’auteur. Harmony Korine (Spring Breaker, Trash Humpers) en écrit le scénario alors qu’il a seulement 19 ans. Le film suit un groupe de jeunes adolescents new-yorkais, skaters, adeptes de drogues, aux comportements sexuels glauques (fétichisme des filles vierges) alors que l’épidémie du sida sévit. Larry Clark pousse la transgression adolescente à son paroxysme, et finit d’exclure les adultes de cet univers : quand ils sont présents, ils sont les médecins de mauvaise augure, qui annoncent à une jeune fille qu’elle est séropositive, ou un piéton parasite qui tente de les rappeler à l’ordre et se fait tabasser par le groupe. Ces figures d’autorité resteront dans les films qui suivent des ennemis à abattre, naïfs et incapables de comprendre les vrais problèmes que rencontrent les adolescents. Avec Kids, Larry Clark s’empare d’un sujet dévalué et en fait quelque chose de nouveau, qui va donc être investi par d’autres auteurs, mais restera aussi marqué par cette nouvelle atmosphère sombre, vraisemblablement nécessaire à la légitimation du genre au cinéma.

mid90s, Jonah Hill, 2018

Le film date de 2018 mais se passe en 1995, et semble être une réponse à Kids et aux teen movies des années 1990 : un ado de 13 ans qui habite à Los Angeles dans une famille difficile se lie d’amitié avec des skaters plus âgés que lui. Mi-ode aux adolescents beaux gosses et cool, mi-dénonciation de la rivalité à laquelle conduit ce genre de groupe, le premier film de Jonah Hill peut ressembler à une version édulcorée de Kids. La violence perpétrée par les hommes est pointée du doigt, à travers le personnage principal qui se fait battre par son grand frère, l’absence systématique de figure paternelle, et les addictions diverses que cela entraîne chez les jeunes. Les adultes sont, comme chez Larry Clark, inutiles, et méritent d’être punis tant ils ne comprennent rien à la vraie brutalité de la vie. Le policier ne se fait pas respecter, et reçoit immédiatement un déferlement de haine lorsqu’il tente d’exercer son autorité. La mère du héros n’a que son amour à lui offrir, mais ses tentatives de protection ne font qu’attiser la colère de son fils, qui les voit comme une atteinte à sa liberté.

Les personnages féminins brillent par leur absence. Lorsqu’elles sont présentes ou mentionnées, les figures féminines répondent invariablement à la dichotomie madone/putain. L’amitié entre garçons et filles est impensable, en revanche un garçon de 13 ans qui s’initie sexuellement avec une fille de 17 ans ne choque personne et semble valorisé. Si on repense au fétichisme de la virginité dans Kids, est-ce vraiment une manière d’inverser le schéma ? Jonah Hill semble vouloir prendre sa revanche sur les films de bromance (centrés sur une amitié très forte entre deux personnages masculins) qui ont fait son succès en tant qu’acteur, dans les productions de Judd Apatow (Supergrave, 40 ans, toujours puceau). En tant que réalisateur, il dit définitivement adieu au personnage de loser qu’il a tant de fois incarné, en offrant à son jeune héros une première expérience sexuelle dont il peut se vanter auprès de ses amis. 

Alexa Demie et Sunny Suljic en plein flirt dans mid90s.

La revanche des skateur·se·s

Depuis les années 2000, les teen movies et le skate n’ont cessé de se populariser. Sortant peu à peu de l’espace marginal qui leur avait été attribué, les films de skate peuvent évoluer et accueillir aussi bien l’audace créative que les femmes.

Lords of Dogtown, Catherine Hardwicke, 2005

Si vous êtes nostalgiques des années 2000, les films de skate sont un concentré plus qu’intense de cette époque. Entre Thirteen et Twilight, Catherine Hardwicke réalise le film de skate suprême, Lords of Dogtown. Inspiré d’un documentaire sur la révolution de la pratique dans les années 1970 (Dogtown and Z-Boys), le film nous transporte vers l’été californien, cheveux blonds au vent, avec le jeune Heath Ledger au rendez-vous.

Les seigneurs de Dogtown.

A Girl Walks Home Alone at Night, Ana Lily Amirpour, 2014

En 2014, une page se tourne avec A Girl Walks Home Alone at Night (2014). Le skater est une femme, iranienne, vampire, et le film est peu ou prou un western spaghetti. Ana Lily Amirpour signe là son premier film, un ovni familier de par ses nombreuses références cinéphiles. Bien que nous croulions déjà sous les films de vampires plus ou moins violents depuis 2008 (de Twilight à True Blood), peu ont eu l’allure et l’audace de celui-ci. Si le skate n’est pas le cœur du film, il en est toutefois une pièce maîtresse. « Une vampire qui fait du skate », c’est déjà une construction de personnage prometteuse et audacieuse en soi.

Ana Lily Amirpour, vampire des temps modernes.

Skate Kitchen, Crystal Moselle, 2017

Ce film est intéressant, car s’il semble novateur en suivant une bande de filles skateuses, il reprend le schéma assez classique des chick flicks, c’est-à-dire des films faits pour un public féminin. Camille habite seule à Long Island avec sa mère colombienne plutôt conservatrice. Elle est bonne élève et sage, à l’exception de ses escapades en skate qui sont son seul moment de plaisir. Un jour, elle rencontre un collectif de skateuses qu’elle suit sur Instagram, le « Skate Kitchen ». Ses membres respirent l’aisance, l’assurance, et l’amitié. Camille découvre ce que pourrait être sa vie, si elle n’habitait pas en banlieue, si elle faisait autant de skate qu’elle le veut, si elle n’habitait plus sous le même toit que sa mère, et (comme c’est bien un chick flick) si elle rencontrait un skater mignon (Jaden Smith).

Si le film suit un schéma préétabli, il apporte néanmoins des nouveautés, qui permettent au genre d’évoluer peu à peu. Le groupe est composé de filles majoritairement noires ou métisses, d’une fille lesbienne, et elles font preuve d’énormément de solidarité et de bienveillance – ce qui n’est en général pas le cas des filles cool dans les teen movies. Lorsque la tension dramatique explose, le règlement de compte prend la forme d’une vraie bagarre au skatepark, où tout est dit en face et les filles en viennent aux mains. Sans faire l’apologie de la violence, il est intéressant de souligner cette scène qui est habituellement l’apanage des personnages masculins. Dans les teen movies, les personnages féminins, interdits de baston, règlent leurs comptes à coups de tromperies, de rumeurs et autres cruautés, comme l’analysent Adrienne Boutang et Célia Sauvage dans le livre Les Teen Movies (p.57 « Hell is a teenage girl »). C’est donc un premier pas vers l’abolition d’un carcan de stéréotypes qu’annonce cette résolution ouverte du conflit.

Le collectif féminin Skate Kitchen dans les rues de New York.

Sur la planche, au plus près de la réalité

Les skaters sont en réalité les premiers à se filmer, puisque la vidéo fait partie intégrante de la pratique, et ce de plus en plus grâce aux développements numériques récents. Dans Kids, mid90s, ou Skate Kitchen, il y a toujours un personnage qui filme les figures de ses camarades, et de nombreuses scènes de visionnage en groupe. Se regarder soi, regarder quelqu’un et s’en inspirer, ou encore s’organiser une session visionnage avec ses amis ; la vidéo sert plusieurs usages et soude les communautés.

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Minding the Gap, Bing Liu, 2018

Bing Liu était ce caméraman embarqué pendant toute son adolescence, celui qui filmait ses potes et se filmait lui-même, caméra posée par terre devant lui. Bien des années plus tard, il retourne dans son Illinois natal et signe un documentaire sur ses amis d’enfance. Le film lève le voile sur les non-dits qui troublent leurs relations amicales et familiales. Encore une fois, la violence est au cœur du film, que ce soit celle qu’a subie le réalisateur quand il était enfant, ou celle que perpètre son meilleur ami dans son couple. Le contraste entre ce documentaire, sensible et réflexif, et les vidéos de ces mêmes ados, qui hurlaient et cassaient leurs planches de skate en deux, est saisissant. En ressort l’incapacité qu’ils avaient alors à communiquer entre eux, avec leurs parents, avec le monde, et à quel point le skate a été salvateur, sans pour autant résoudre les problèmes en profondeur. Le skate est la raison d’être des personnages que l’on découvre. 

Learning to Skateboard in a Warzone (If You’re a Girl), Carol Dysinger, 2019

Enfin, Learning to Skateboard in a Warzone (If You’re a Girl) nous confirme que des mutations sont à l’œuvre : ce documentaire britannique sur l’ONG Skateistan, qui utilise le skate pour affranchir les jeunes, a été récompensé de l’Oscar du meilleur documentaire. Le film suit un programme à Kaboul en Afghanistan, où les entraîneurs apprennent à des jeunes filles à faire du skate. On comprend que le skate continue d’être un échappatoire nécessaire et salvateur, un outil d’émancipation, et maintenant de moins en moins l’apanage des hommes, et des pays occidentaux.

Learning to Skateboard in a Warzone (If You’re a Girl) à Kaboul

Betty, Crystal Moselle, 2020

A priori la série de Crystal Moselle ressemblera beaucoup à son film Skate Kitchen, et on peut donc s’attendre à de nombreux plans de filles parcourant les rues de New York sur leurs skates, cheveux au vent, entrecoupés de conversations sur les parents, l’amour, et l’avenir. Le titre est plus osé que celui du film, puisqu’en slang américain, une « Betty » est une fille qui traîne avec les skaters et s’habille en skateuse, mais ne fait pas grand-chose. On ajoute qu’elle est en général belle sans essayer de l’être. Cette pointe d’ironie laisse espérer que la série de Crystal Moselle continuera bien de faire évoluer les esprits, à l’écran comme au skatepark. 

Betty, à partir du 1er mai 2020 sur HBO, le 2 mai sur OCS.

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