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Crystal Murray : « J’ai envie d’impulser toute une énergie à la scène musicale »

Crystal Murray : « J’ai envie d’impulser toute une énergie à la scène musicale »

Auréolée de près de 200 000 auditeur·trices par mois sur Spotify, Crystal Murray n’avait pourtant sorti jusqu’alors qu’un moyen-format et une poignée de singles composites. Après ses premiers succès en 2019, notamment « After Ten » ou « Princess », elle s’est ensuite dévouée à l’élaboration d’une approche hybride qui mêle son remarquable timbre soul volubile à des techniques vocales et éléments rythmiques habituellement présents dans les registres du rap et RnB contemporains. À l’occasion de la sortie de son deuxième EP, Twisted Bases, nous ne pouvions passer outre un entretien avec cette aussi jeune que talentueuse artiste à l’ascension fulgurante dans le paysage musical hexagonal.

En seulement deux décennies, Crystal Murray n’a pas perdu de temps pour enjamber les marches du succès. Dès quatorze ans, elle s’illustre comme influenceuse fashion au sein de son collectif Gucci Gang. Sa popularité lui ouvre aussitôt les portes des nuits parisiennes, invitée derrière les platines, avant même l’âge légal pour jouir sereinement de nuits d’ivresse.

Malgré cette mise en lumière précoce, cette enfant de la génération Z redoublait déjà d’ambitions et, lucide, ne souhaitait nullement se complaire dans l’oisiveté. À seize ans, elle cofonde Safe Place, une plateforme d’échanges et de témoignages sur le harcèlement et les violences, avant de se décider à se consacrer pleinement à la réalisation de sa carrière artistique.

Fille d’une productrice d’origine hispanique et d’un saxophoniste free jazz africain-américain – qu’elle accompagne dans sa prime jeunesse, lors des représentations qu’il donne au quatre coins du monde –, le temps était venu pour Crystal de voguer dans les milieux alternatifs à la recherche de son identité profonde afin de rayonner sur scène.

En résulte des premiers succès que le réalisateur Cédric Klapisch propulse dans la bande-originale du film Deux moi en 2019 – il réalise également le clip de « August Knows ». Il faut néanmoins attendre l’année suivante pour voir apparaître son premier EP, I Was Wrong, sur le label Because Music. Non rassasiée pour autant et mue par une quête perpétuelle d’authenticité en raccord avec son époque, la chanteuse s’entoure d’artistes dans son projet Hotel Room Drama et aspire à maîtriser tous les maillons de la chaîne en fondant Spin Desire, sa propre maison de disque, pour les promouvoir.

Deux ans et une tripotée de singles après son cinq-titres, Crystal Murray esquisse une nouvelle formule, gonflée d’une approche artistique retravaillée, sur son deuxième opus, Twisted Bases.

Manifesto XXI –Twisted Bases est ton deuxième EP, mais il est à la limite du long-format. Pourquoi n’avoir pas encore proposé un album au vu de tes premiers succès ?

Crystal Murray : Mes chansons sont généralement très courtes et mon projet artistique assez versatile. Je pense être encore en recherche de sonorités et j’aime bien montrer une évolution dans ma musique. Lorsque je proposerai un album, il sera sûrement plus précis.

Peux-tu me parler du rôle de l’intersectionnalité et de l’inclusivité dans ta musique ? Cela semble presque un manifeste de ton approche artistique.

Dans ma vie c’est un combat que je mène depuis que je suis toute petite en étant une femme noire. Quand tes grands-parents ou ta mère se battent pour ces choses-là, cela devient un combat de vie. C’est hyper important pour moi, au sein de mon approche artistique, d’exposer les valeurs qui me tiennent à cœur, de définir qui je suis, autant dans ma musique que dans mes visuels. Je montre les choses qui me font vivre et celles qui m’identifient.

D’une certaine manière, je montre mon quotidien et ce n’est aucunement un plan marketing.

Crystal Murray

Tu collabores régulièrement avec l’artiste transgenre Thee Dian, notamment sur la chanson « Slow Cadence » ou « GGGB ».  Cherches-tu à mettre en avant des personnalités invisibilisées ou du moins minorisées dans l’industrie musicale ?

Diane est une femme qui est arrivée dans ma vie comme un petit soleil. Elle s’avère être transgenre mais ce n’est pas pour cela que notre collaboration a débuté. Je ne vois aucune différence avec une personne cisgenre. Je suis néanmoins contente de la mettre en lumière. Mais cela représente ma vie, j’ai énormément d’ami·es qui sont en train de changer de sexe, d’autres qui sont Noir·es, beaucoup d’individus qui sont dans la minorité comme moi. D’une certaine manière, je montre mon quotidien et ce n’est aucunement un plan marketing. Cela peut également se refléter dans les visuels de ma musique qui mettent en exergue des valeurs qui ne sont pas forcément présentes dans l’industrie musicale française.

Quelle a été l’impulsion pour fonder Safe Place il y a quelques années ?

En 2016, après le Gucci Gang avec les filles [Angelina Woreth, Thaïs Klapisch et Annabelle Ferrera, ndlr], on avait des followers et on voulait impulser quelque chose pour aider les femmes de notre génération. Lors de discussions sur l’intimité et la sexualité, on s’est rendues compte qu’il y avait beaucoup de non-dits. On a créé ce talk-show pour nous, pour ouvrir une parole, faire sauter les clichés, fédérer un espace de parole sur la jeunesse en parallèle du début de #Metoo. Il n’y avait quasiment aucune personne de notre âge qui parlait de ce sujet alors que le harcèlement était pourtant présent. Je ne suis néanmoins pas restée très longtemps dans le projet parce que, même si le combat était important pour moi, j’avais besoin de retrouver ma communauté, faire ma musique et fédérer autrement qu’avec Safe Place.

Il m’est essentiel de rassembler, d’être en synergie, de montrer une énergie collective dans la musique à travers un groupe d’artistes.

Crystal Murray

L’aspect visuel et notamment la mode semblent être au cœur de ton projet musical. Selon toi, lier la musique à une identité visuelle forte est-elle indispensable au succès ?

Avant tout, le cœur de mon projet artistique c’est ma musique. C’est tout ce qui sort de moi. À l’extérieur, j’adore mettre en image mes chansons, c’est une dimension que j’apprécie réellement. J’ai toujours aimé la mode et j’ai rencontré il y a un an et demi la styliste Stephy Galvani, qui est devenue ma DA image, avec qui on crée les visuels. Je suis la directrice artistique de ma propre musique mais en ce qui concerne l’identité visuelle, je travaille avec cette personne qui me permet d’étoffer mon personnage.

© Melissa Araujo

Tu t’es rapidement ouverte aux collaborations avec d’autres artistes. En quoi est-ce important pour toi, chanteuse, d’inviter d’autres musiciens à se produire sur ton opus plutôt que de te réserver l’exclusivité sur les chansons ?

Je trouve important de ne pas me vendre toute seule. J’ai envie d’impulser toute une énergie à la scène musicale. Je ne veux pas être la seule mise en lumière alors que tout ce dynamisme m’inspire. Il m’est essentiel de rassembler, d’être en synergie, de montrer une énergie collective dans la musique à travers un groupe d’artistes. Je ne souhaite pas diriger mais faire partie d’un ensemble.

Je trouve que la liberté de pouvoir toucher à divers styles est inspirante, autant dans ce qu’il y avait avant que dans la musique d’aujourd’hui.

Crystal Murray

Lors d’une interview en 2019, tu disais vouloir rejeter les codes et les clichés de la chanteuse soul. Quels sont-ils selon toi et pour quelle raison vouloir s’en écarter ?

Cela correspondait avec la manière dont je m’identifiais à ce moment-là. Je ne souhaitais pas être assimilée à une personne que je ne voulais pas être. Effectivement, je viens de la soul, du gospel, de la musique africaine-américaine mais je n’aimais pas, à un si jeune âge, avoir une étiquette alors que je ne savais pas ce que je souhaitais développer par la suite. Toutefois, avec le temps je me dis que je faisais bien de la soul à cette époque. J’éprouvais seulement le désir de ne pas être mise dans une case ou catégorisée.

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© Colin Solal Cardo

Tu incorpores des éléments trap dans tes morceaux et plus prosaïquement des instrus ordinairement présentes dans les milieux rap américains ou dans l’électro underground britannique. Pour toi, l’innovation musicale passe-t-elle nécessairement par des hybridations qui mêlent différents types d’identités musicales ?

Oui, c’est ce que j’essaye de faire avec ce projet. Prendre les bases de ce que je connais, de mon héritage musical familial et de ces chanteuses soul qui m’ont bercée pendant mon enfance. Puis, les emmener vers d’autres sonorités plus proches du drum and bass, du pop-rock ou des sons un peu plus rap. J’aime avoir différentes échappatoires. Je trouve que la liberté de pouvoir toucher à divers styles est inspirante, autant dans ce qu’il y avait avant que dans la musique d’aujourd’hui.

Après les succès de tes premiers morceaux, n’était-ce pas un pari risqué que d’entamer un virage vers un RnB hybride comme tu le développes ?

Oui, absolument mais je ne sentais plus de « Princess » en moi. Cela est venu naturellement car je refuse de me forcer ou de me formater.

Tu revendiques avec fierté ton année de naissance (2001). N’est-t-il pas plus compliqué d’être une artiste soul de cette génération qui a grandi avec la musique en streaming et qui ainsi achète peu de disques, ou du moins, semble être moins habituée que les précédentes générations à écouter intégralement un album ?

J’avais 16 ans lorsque j’ai commencé, je n’y ai pas tellement réfléchi. Mon premier EP contient six chansons, c’était facile à streamer. Les deux qui ont le plus marché sont les deux singles. J’espère qu’avec Twisted Bases les singles vont se faire naturellement.

© Colin Solal Cardo

Ton projet musical semble plus axé sur une reconnaissance internationale que spécifiquement sur la scène française. Qu’en est-il ?

Je cherche à toucher le monde entier. Paris c’est cool mais c’est petit aussi. La France peut être assez fermée musicalement. J’ose espérer que mon projet marche ici mais je n’en suis pas certaine.


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Photo en une : © Colin Solal Cardo

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