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Carmen Consoli en tournée acoustique car « l’empathie anoblit l’âme »

Carmen Consoli en tournée acoustique car « l’empathie anoblit l’âme »

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Carmen Consoli est simplement l’une des plus grandes voix de la chanson italienne contemporaine. Avec plus de deux millions de disques vendus et huit albums à son actif, elle est l’une des interprètes-clés des années 2000.

Compositrice capable d’une poésie rare, elle a su nourrir la chanson populaire d’influences traditionnelles, mais aussi de rock progressif et de rythmes électroniques. Originaire de Catane, elle a donné à la chanson sicilienne ses lettres de noblesse en l’exportant à l’international. Avec sa tournée acoustique, elle tente un pari fou : redonner aux publics le goût de la transmission orale.

Eco di Sirene (L’écho des sirènes) est un concert qui conjugue musique pop et classique et qui porte sur scène des nuances variées allant de la chanson italienne aux musiques siciliennes. Applaudi dans des théâtres aussi renommés que La Fenice de Venise, le spectacle arrive à Paris ce mercredi 31 janvier à La Cigale.

Pour ta tournée internationale Eco di Sirene (L’écho des sirènes), tu as choisi de faire étape à Paris. Pourquoi ce choix ? Quel est ton lien avec cette ville ?

J’ai un lien très particulier avec Paris. Il y a dix ans j’ai déménagé là-bas pendant quelques temps et j’ai commencé à jouer dans des lieux comme le Bataclan, Le Café de la Danse, La Cigale… Le public français m’a toujours accueillie avec une grande chaleur, les Français sont très réceptifs aux musiques venues d’ailleurs. Je trouve cela formidable. Le public français m’a aussi encouragée à continuer, on a rempli La Cigale, j’ai pris des nouveaux risques…

J’aime Paris parce que c’est une ville où justement la prise de risque est valorisée.

Le concert de mercredi sera un concert acoustique. Trois femmes sur scène, toi avec une guitare et deux violoncellistes. Est-ce que la prise de risque vient aussi de la forme que tu as souhaité donner à ce spectacle ?

Oui, c’est un exemple de prise de risque qui a, par contre, très bien été accueillie jusqu’à présent, même dans notre merveilleux pays.

Que se cache derrière le titre très évocateur L’écho des sirènes ?

Les sirènes sont des entités ambigües et dangereuses, qui obligent par exemple Ulysse à se faire attacher à l’arbre de son navire pour ne pas se jeter à la mer. Mais dans certaines légendes elles sont aussi des personnages positifs qui protègent les marins. Nous on est trois femmes sur scène, alors on espère humblement séduire le public avec notre chant. Tu sais, passés les quarante ans on essaye de jouer ses dernières cartouches. De se dire qu’on a dû lier les spectateurs aux sièges tellement ils étaient fous. En réalité, au début de la tournée, on avait peur que, plus que des chaînes pour les retenir, ils auraient eu besoin d’un café pour se réveiller, vu que c’est un concert acoustique.

En regardant les vidéos de ton concert, je vois plus une conteuse d’histoires qu’une chanteuse-compositrice. Je vois l’héritage fort d’une tradition orale. Comment tu crées ces personnages archétypiques dont tu parles ? Ces femmes amantes, soumises, mais aussi fortes, cruelles, bigotes…

J’adore créer des personnages et des situations. Imaginer des vraies existences. Je les vois, je vois ces femmes, comme Maria Catena. Je vois leur visage, je devine leurs sentiments. Ils vivent vraiment.

Tu aimerais écrire un roman ? Ou écrire pour le cinéma justement ?

Oui, mais dans une autre vie. Je préfère me concentrer sur la chanson car c’est ce que je sais faire. Ne pas m’éparpiller. Je préfère faire une chose bien que mille mal faites.

Dans ta construction poétique, quel rôle a joué l’oralité ?

Tu sais que la Sicile est une terre grecque. Les histoires font simplement partie de nous. Raconter des mythes, imaginer des mondes, c’est ce qui a fait notre terre. Regarde, à Catane, notre ville, il y a les Faraglioni, les rochers mythiques lancés par Polyphème en colère, après avoir été aveuglé par Ulysse. Cela se fond dans notre quotidien. Rien que l’Odyssée est pour nous un texte fondateur.

Les histoires que mes parents me racontaient n’étaient autre que les mythes grecs. Et je fais de même avec mon fils. Je lui raconte les histoires des Argonautes, d’Orphée, des dieux et des guerriers. Ce sont des contes plus intéressants que le Petit chaperon rouge, n’est-ce pas ?

Carmen Consoli reprend Rosa Balistreri, grande chanteuse sicilienne, et explique la chanson « Cu ti lu dissi ».

Donc tu transmets au public un peu de cette authenticité rassurante qui te vient aussi de ta terre d’origine…

Oui. J’ai décidé de rester vivre dans ma ville natale, Catane, parce que c’est un endroit où on valorise encore le dialogue humain. C’est une ville d’empathie, les gens sont bienveillants et prennent soin les uns des autres. Autrefois, plus une machine ressemblait à l’homme plus elle était considérée comme sophistiquée. Aujourd’hui, l’homme s’est laissé dépasser par la machine. Il veut lui ressembler. Dans mon concert, moi j’ai envie de dire l’inverse.

Que la musique soit imparfaite et qu’elle s’adapte à mon être humain. Si je suis fatiguée, je suis fatiguée et ce n’est pas grave, mes chansons seront juste interprétées différemment.

Carmen Consoli en featuring avec Franco Battiato, autre grand interprète de la chanson italienne, connu surtout pour ses tubes des années 1980

Parlons des femmes dans tes chansons. Tu leur accordes une place privilégiée et tu sembles dresser une encyclopédie de la psyché féminine à travers les archétypes dont nous avons parlé. Qui sont tes femmes ? Pourquoi est-il important de parler du féminin à travers des chansons ?

C’est vrai que je parle beaucoup des femmes, car je les connais. J’aime interpréter le personnage que je décris et je parle souvent à la première personne. Mais dans mes chansons j’aime aussi mettre en avant les autres personnages autour, sans tisser toujours les louanges de mes héroïnes. J’aime parler de l’être humain en général.

L’actualité dernièrement met en avant l’enjeu sensible des relations hommes-femmes. Est-ce que cela t’a inspiré ? Où en sont les femmes aujourd’hui ?

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Bien sûr et je suis heureuse que ces scandales éclatent. Néanmoins, je pense qu’il faut dépasser la violence de genre pour l’inscrire encore une fois dans le discours sur l’empathie. Si l’homme agit comme une machine il devient narcissique et incapable de se mettre à la place de l’autre. La situation de violence naît peut-être de là. Les brutalisations concernent tout aussi bien les migrants, les pauvres, les faibles en général. Le fait est que quand l’homme devient machine il devient aussi un peu fasciste et donc violent et dominateur.

C’est donc tout un travail sur l’acculturation, la sensibilité et l’empathie que nous devrions mener. Ce schéma social basé sur le dominant et le dominé est révoltant.

Nous, dans notre pays, on a encore plus de boulot à faire. L’idéal du mâle qui, trahi dans son honneur, est autorisé à cogner, est à bannir urgemment. Les femmes se renforcent de plus en plus, les jeunes filles ne jouent plus aux Barbies, elles font des arts martiaux et veulent faire comme les garçons. J’espère simplement qu’en politique, ces femmes fortes qui émergent ne se comporteront pas avec leurs autres consœurs en reproduisant des sombres mécanismes de domination.

Les femmes seraient-elles les pires ennemis des femmes ?

Elles le sont quand elles votent les hommes en pensant qu’ils feront mieux le job. Quand elles te sortent qu’elles ont voté pour le mâle de la situation parce qu’il leur inspirait confiance.

Mon père votait toujours pour les femmes par exemple. Il était féministe et pensait profondément que les femmes font mieux les choses.

L’historien Alberto Angela a récemment lancé une émission de télé qui s’appelle Meraviglie, un programme qui fait visiter aux spectateurs les sites de l’UNESCO en Italie. Il a eu un succès incroyable, sur les réseaux sociaux cela a suscité un engouement dingue. Les Italiens se sentent italiens quand on leur parle d’art et d’histoire. Comment tu l’expliques ? Est-ce que tu penses que l’art peut sauver le politique et inversement ?

La culture, la beauté, l’empathie, anoblissent l’âme. L’idée de l’Homme-machine crée une sclérose au sein de la société. Tout cela est lié et la manière de le contrer est peut-être l’expression de l’humain, à travers les arts notamment.

Notre terre peut porter ces valeurs. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé d’y vivre et d’y rester, d’y éduquer mon fils pour qu’il grandisse avec une âme gentille. Qu’il grandisse sensible. Certes, en Sicile on ne fait pas encore assez le tri sélectif, mais nous sommes un peuple moderne dans son être si profondément humain. Je vois ma ville natale, Catane, comme une ville qui doit aller de l’avant car elle est le vecteur d’une modernité juste.

L’art et l’humain pour contrer la violence sociale donc ?

Regarde la France. C’est une nation qui a, depuis les Lumières, investi sur ses intellectuels. Sur une armée de cerveaux qui auraient pu guider les choix collectifs, donner un élan au débat public, permettre aux citoyens de choisir vraiment et consciemment.

Nos peuples ont besoin d’être illuminés à nouveau pour introduire en politique des notions aussi importantes que le bonheur social.

C’est un investissement sur le long terme qui ne fait pas grimper le PIB mais qui permet de souder l’identité nationale tout en l’enrichissant.Les journalistes ont cette responsabilité aussi. Nous sommes dans un monde de slogans et de titres. Mais nos terres sont des terres de symposiums et de débats, d’amour du raisonnement et de haute philosophie. C’est là aussi que nos médias ont un rôle à jouer : il faut redonner aux peuples la capacité de choisir vraiment leur destin. Rappelle-toi, nous n’allons pas élire des rois : nous élisons les représentants de la cité et nous sommes le cœur de l’agora.

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