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Bertrand Mandico. Troubles et éclats d’un cinéma transgenre. 3/3

Bertrand Mandico. Troubles et éclats d’un cinéma transgenre. 3/3

Pour clore notre entretien fleuve, Bertrand Mandico nous parle de ses influences du cinéma d’animation, des surréalistes, mais aussi des ses premiers traumas au cinéma : les singes. 

Manifesto XXI : Vous venez du cinéma d’animation, quelles influences en ont découlé sur vos films en prises de vue réelles ? J’ai l’impression qu’il y a sur vos tournages quelques similitudes avec le cinéma d’animation… 

Bertrand Mandico : Le cinéma d’animation est vaste, il y a le dessin animé et plein de choses. J’ai appris à me débrouiller tout seul. J’ai travaillé sur l’image de synthèse et l’image 3D, qui commençait ; j’ai travaillé sur des caméras numériques et des caméras films, c’est là que j’ai appris toutes les techniques de surimpression, de trucages. Je me souviens qu’au début, je trouvais tout cela trop compliqué, cela m’angoissait complètement. Mais cela m’a appris à maîtriser ces outils, à pouvoir trouver des astuces, et à me dire parfois : « Ah, mais si on met ce plan à rebours ou si on le filme à travers un miroir, je peux trouver – mécaniquement ou photographiquement –, des solutions à des problèmes pour arriver à une poésie du trucage. »

Après, je suis plutôt de l’école des post-surréalistes qui se sont emparés du cinéma d’animation, comme Walerian Borowczyk qui a travaillé avec des objets animés, mais aussi avec le papier découpé. Après qu’il soit passé à la prise de vue réelle, le surréalisme est toujours présent. Jan Svankmajer aussi a fait des courts et longs métrages avec des animaux empaillés, avec l’idée du collage et de l’art plastique. Ces cinéastes m’ont marqué.

Les outils de filmage ont été fabriqué par des techniciens qui sont tout sauf des poètes, il faut donc se ré-accaparer les outils, les tordre, les casser, les troubler.

Blanche ©Walerian Borowczyk

J’étais aussi sensible à certains cinéastes de dessins animés. Quand j’étais aux Gobelins, c’était laborieux de faire du cinéma d’animation, alors il n’y avait que des passionnés et des fous qui y arrivaient. Youri Norstein est considéré comme le Tarkovski du cinéma d’animation, il a beaucoup inspiré Sokourov. Quand il est venu à l’école, c’était un vieux monsieur, il a une technique de papier à découper avec de l’huile, des filtres, de la lumière, c’était hallucinant ! Le voir présenter ses films m’a beaucoup marqué. Il y a aussi Caroline Leaf, qui est une cinéaste canadienne. Tous ces cinéastes radicaux m’ont beaucoup influencé dans leur démarche. Même si depuis, j’ai quitté l’animation, je pense toujours à eux.

Vous qui êtes autodidacte, quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui souhaitent faire du cinéma ? 

Comme j’ai fait une école de cinéma d’animation, je ne me considère pas comme un vrai autodidacte ! (rires) Je leur dirais d’être le plus hétéroclite dans leurs visionnages, de lire, de se nourrir d’art contemporain, d’être toujours le plus curieux possible, d’être en appétit. Faire et refaire, ne pas avoir peur de jeter à la poubelle, se jeter à l’eau, expérimenter, questionner l’outil. Les outils de filmage ont été fabriqué par des techniciens qui sont tout sauf des poètes, il faut donc se ré-accaparer les outils, les tordre, les casser, les troubler  je pense aux optiques , ne pas avoir peur d’aller contre l’académisme. Essayer par soi-même d’arriver à un résultat probant au tournage et travailler la matière jusqu’à obtenir un équilibre. Et travailler le rapport au jeu, avec les acteurs aussi… Bref, manger beaucoup, travailler beaucoup ! (rires)

Quelles sont les œuvres qui vous hantent ?

C’est vraiment par période. L’écrivain J.G. Ballard, qui a écrit Crash  qui a été ensuite adapté par Cronenberg , est l’un de mes écrivains favoris. Burroughs, Stevenson, ce sont les noms qui reviennent. Dans la bande dessinée, les mangas de Suehiro Maruo sont hallucinants. J’aime beaucoup ce que fait mon ami Blutch. Il y a aussi Richard Corben, les premiers. Philippe Druillet. Et dans la peinture, ça peut être Clovis Trouille, Henri Darger, James Ensor. Je suis un fan absolu de Cindy Sherman, bien que je ne la cite pas assez. À une période de son travail, ce n’était plus que des assemblages de prothèses. Elle m’a beaucoup influencé. Il y a Louise Bourgeois. Les frères Chapman aussi.

C’était un tournage assez compliqué oui, avec ses difficultés, ses angoisses… il fallait aller à l’encontre de l’a priori de certaines personnes, mais on y est arrivé.

L’Enfer en bouteille ©Suehiro Maruo

Pour la musique, c’est aussi par périodes. En ce moment, je suis dans Tangerine Dream, que je réécoute beaucoup. Ca occupe tout mon espace sonore. Après, je vais puiser aussi dans les B.O italiennes, le krautrock. Pour le cinéma, cela va de Brian De Palma, à Michael Powell, en passant par Elem Klimov – dont j’ai vu il n’y a pas longtemps pour la première fois Raspoutine, l’agonie, qui est sublime. Max Ophuls, que je vois et revois. Carpenter aussi. Lynch, bien sûr. Je penser en oublier plein, mais pour le cinéma, c’est très vaste. (rires)

Le décor est un personnage dans mes films. Il joue avec mes acteurs.

The Fog ©John Carpenter

Avez-vous songé à d’autres supports de création comme le numérique, ou à d’autres formats de diffusion comme la série télévisée ? 

J’aimerais pouvoir préserver la pellicule. Même si j’ai fait des essais en numérique, c’était pour ensuite les refilmer en pellicule. Elle intervient toujours à un moment donné, c’est une nécessité, comme l’aquarelle pourrait l’être pour un peintre. Concernant la série télé, j’en ai écrit une pour une production flamande, mais c’est en stand-by. C’était une série de science-fiction de 11×50 minutes, j’aimerais bien qu’elle voie le jour. Anglų kalbos kursai, dienos stovyklos Vilniuje, Kaune, Klaipėdoje, chemijos, matematikos, biologijos, fizikos ir lietuvių kalbos korepetitoriai nuoroda.

Ça s’intitule comment ? 

Ça s’appelle Prairie, c’est une histoire de contamination, une histoire romantique. L’idée est de prendre le contre-pied de ce qu’on peut voir habituellement sur le sujet. Là, c’est une nouvelle sexualité qui s’ouvre… Je ne sais pas si la télé est prête, mais on va voir.

Votre cinéma possède un goût pour le fétichisme des décors et des objets. Comment est né le fameux « fruit poilu » dans Les Garçons sauvages ?

Je fais des croquis, on en discute, puis j’ai des formidables décorateurs qui vont les traduire et les fabriquer. J’avais une idée très précise pour les fruits poilus, je me disais : « Ce sont des fruits de la passion avec des poils noircis autour, collés avec du miel ». Je trouve souvent des solutions simples de fabrication. Le décor est un personnage dans mes films. Il joue avec mes acteurs.

Voilà, pour moi, le cinéma c’était l’irruption d’un singe.

©Ecce Films

Le tournage à la Réunion n’était pas trop difficile ? 

Si, nous Parisiens arrivons de métropole avec nos gros sabots… Je connaissais assez bien la Réunion, mais pas tant que ça finalement. Comment arriver à entraîner les gens avec soi dans l’aventure ? C’était assez escarpé, tout est exacerbé. C’était un tournage assez compliqué oui, avec ses difficultés, ses angoisses… Il fallait aller à l’encontre de l’a priori de certaines personnes, mais on y est arrivé.

Quel est votre premier trauma au cinéma ? 

Il y en a plusieurs. Il y a les singes de King Kong : mes parents m’envoyaient me coucher lorsqu’ils arrivaient pour la première fois en écartant les arbres. Il y a aussi le singe dans la première version de La Planète des singes : quand les cosmonautes courent dans les champs, tout d’un coup, il y a un gorille sur un cheval qui surgit. Là aussi, c’était un : « Va te coucher ». Voilà, pour moi, le cinéma c’était l’irruption d’un singe, et après au lit et j’imagine la suite. Et puis, l’extrait d’Eraserhead dont je parlais tout à l’heure. L’Exorciste de Friedkin a été un vrai trauma, ça m’a longtemps terrifié. Maintenant c’est marrant, j’ai un badge du film sur moi. Moi qui ne suis pourtant pas très badge, c’était comme pour exorciser cette peur. C’est un cinéaste absolument vénéneux, j’adore son cinéma.

Planet of the Apes ©Franklin Schaffner

Les Garçons sauvages figure au sommet de notre Top cinéma 2017, que retenez-vous de cette année ?

Alors, j’en suis hyper flatté ! C’est bizarre pour moi, car le film n’est pas encore sorti…

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Oui, c’est parce que nous avons eu l’occasion de le voir avant… (rires) 

J’espère que je serais aussi dans le top 2018 ! (rires) Je retiens la saison 3 de Twin Peaks et Les Îles de Yann Gonzalez. C’est marrant, car ce sont deux formats opposés. Twin Peaks c’est 18 épisodes de 50 minutes, et Les Îles c’est 15 minutes. Ce sont les deux choses que je retiens, je crois même qu’il y a des ponts entre eux. Quand j’ai commencé à regarder Twin Peaks, ça a ringardisé tout ce qui sortait, tout me paraissait fade, je n’avais envie de voir que ça. J’attends que ça sorte en Blu-ray pour le revoir, c’était pour moi tellement libre, tellement beau ; avec des choses que je trouve parfois ratées, mais c’est ça que je trouve formidable… ces imperfections, ces temps morts.

Il faut se perdre dans les projets pour pouvoir tourner, monter, créer, tomber, se redresser…

Twin Peaks de David Lynch ©Showtime

Que peut-on vous souhaiter pour 2018 ? 

Je ne sais pas, d’être dans les tops 2018 peut-être ? (rires) Que Les Garçons soit vu et apprécié, que je puisse continuer.

Est-ce que la sortie d’un film allie à la fois un sentiment d’angoisse et quelque chose de l’ordre du soulagement ? 

Oui, c’est enivrant, car on lâche la main du film, on le regarde vivre, on regarde les réactions. C’est hyper agonisant, car on a envie que ça plaise, que ça marche, qu’il soit bien compris. En même temps, un film fini c’est une peau morte, je ne suis pas le film que j’ai terminé, mais je suis le film que je suis en train de faire. Mon état de création est dans ce que je suis en train de fabriquer. Donc pour tout avouer, je suis plus angoissé, accaparé par ce que je suis en train de fabriquer en ce moment. Non pas que je minimise mes angoisses sur Les Garçons, mais c’est passé, il a eu sa vie en festival, j’ai hâte qu’il sorte et j’espère qu’on aura le minimum de spectateurs souhaité pour le film.

Que préparez-vous actuellement ?

Je suis en train de monter ce moyen-métrage de science-fiction. Après j’enchaîne sur le montage d’un court que j’ai tourné à New-York cet été. Je dois retravailler un peu, mais je prépare aussi un long-métrage qui est une sorte de western organique et fantastique. En espérant d’avoir les financements…

C’est peut-être la solution pour ne pas trop angoisser : enchaîner les projets… 

Exactement, c’est trop difficile de se focaliser que sur un seul élément. Il faut se perdre dans les projets pour pouvoir tourner, monter, créer, tomber, se redresser…

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Les Garçons sauvages
de Bertrand Mandico
UFO (1 h 50)
Sortie le 28 février

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