Alors que l’horizon annoncé du 15 mai pour la réouverture des lieux culturels semble de plus en plus incertain, on poursuit nos recommandations d’actus artistiques, à l’air libre, en ligne ou en présentiel sur inscription.
Au menu de cet Art fair·e : deux expos (sur rendez-vous), l’une à Bruxelles, l’autre à Paris, un podcast mêlant musique et poésie, un cycle de conférences invitant à repenser les pratiques curatoriales en temps de crise et un dialogue entre l’autrice Iris Brey et le journaliste Alain Berland. On vous a également déniché trois pépites dans la programmation du WEFRAC.
À visiter
Beauty Kit : des produits para-pharmaceutiques éco-érogènes
Depuis sa vitrine qui donne sur la rue de Laeken, l’espace nadine ressemble plus à un spa qu’à un centre d’art. L’artiste belgo-chilienne Isabel Burr Raty nous y accueille entourée de ses produits « Beauty Kit » et nous plonge tout de suite au cœur de son processus. Des photos en noir et blanc de corps féminins défilent sur des écrans et mettent en images son récit.
Chez Isabel Burr Raty, le corps humain devient un territoire propice à l’agriculture durable. Elle déploie dans des performances et workshops des fermes éphémères où elle invite des personnes à séjourner afin d’y récolter leurs fluides vaginaux pour en faire des soins et des produits de beauté. En ouvrant son congélateur disposé dans un coin de la pièce, l’artiste nous explique qu’elle a su identifier plus d’une vingtaine de fluides différents, allant de l’éjaculation aux menstruations ou encore au liquide amniotique. Avec ce projet, elle déjoue les tabous qui existent autour de ces fluides. « Regarde, dans ce frigo on dirait simplement du jus d’ananas » lance-t-elle en rigolant.
Après le tour de présentation, le/la spectateur·rice peut désormais profiter d’un moment de bien-être en testant les produits. Au choix : masque pour le visage au sang de menstruations déshydraté avec argile verte et huiles essentielles, crème hydratante au liquide d’éjaculation du point G… le tout accompagné d’un thé au gingembre épicé. Ne manquez pas de découvrir cette expérience généreuse et inattendue ! Tous les produits éco-responsables exposés sont à vendre, chacun·e peut repartir chez soi avec le soin de son choix.
L.T.
Isabel Burr Raty, Beauty Kit Pop Up Shop & Abductions
Du 9 avril au 17 avril 2021
n0dine, rue de Laekensestraat 105, 1000 Bruxelles
Ouvert tous les jours de 12h à 20h sur rendez-vous.
Phenomena : « miroirs de rêves éveillés »
Comment flirter avec l’irrationnel ? C’est l’intrigue que soulève la première exposition organisée par Anaïs Madani dans les locaux de l’Espace Voltaire. La curatrice s’inspire librement des puzzles d’horreur psychédélique du réalisateur italien Dario Argento. Le film Phenomena (1985), qu’elle affectionne particulièrement, s’offre comme le fil conducteur reliant les travaux de quinze artistes. Réunies au seuil de la dystopie et de l’onirisme, leurs œuvres jouent avec le bizarre et l’inconscient. Tous·tes épluchent les viscères du banal et tentent de révéler le squelette du mal en dessous. Parmi elles, on retrouve les dessins aux couleurs brusques de Clara Cimelli, les peintures cryptiques de Louis Somveille ou encore les illustrations tourbillonnaires peuplant les vêtements d’Ajile. En somme, l’événement invite à un voyage quasi-mystique : un pont communiquant avec le spectre de nos névroses.
A.A.
Phenomena
Du 15 au 19 avril 2021
Espace Voltaire, 81 boulevard Voltaire, 75011 Paris
Ouvert les 15 et 16 de 14h à 18h45 et du 17 au 19 de 12h et 18h45 sur inscription.
À écouter
Poems for Flouka : une heure de voyage poétique en musique
Après une émission inaugurale en forme d’ode à nos rêves et nos luttes, Morgane poursuit sa résidence radio mensuelle Poems for Flouka en laissant carte blanche à trois invité·es « féminines et mystiques » : sur les nappes lancinantes de la musicien·x js donny (du label No0s), la voix puissante et enchanteresse de Marion Versatile rejoint les textes révoltés de cyber.utopianism dans un flot de sensualité sous vocoder. Trois identités artistiques fortes, issues de la performance, du stylisme ou de la folk expérimentale, qui s’unissent pour l’occasion en une sainte trinité : sous les auspices de la bonne mer, on navigue en une heure de poésie sonore des rives grecques aux calanques marseillaises. Entre soundscape et ASMR, le podcast se déroule comme un véritable objet d’art, travestissant les larmes en rires, les murmures en incantations. Un rite de passage, un rituel sororal à écouter très fort au casque en regardant la pluie tomber sur les vitres d’un train à grande vitesse.
S.D.
Poems for Flouka ep.2 : cyber.utopianism, Marion Versatile & js donny
Radio Flouka
À suivre
WEFRAC les 17 et 18 avril : trois pépites ésotériques et décoloniales dans la programmation
Sur le modèle de l’occupation des théâtres, des étudiant·es en écoles d’art, rapidement rejoint·es par d’autres travailleur·ses de l’art, occupent depuis fin mars le Frac PACA à Marseille pour dénoncer « le manque de considération [du gouvernement] à l’égard des lieux culturels publics », mais aussi et surtout leur précarité et leur invisibilisation. Si le mouvement naît dans un contexte particulier, il s’agit de révéler les rouages systémiques du monde de l’art, précédant largement la crise sanitaire. Une démarche inédite dans un secteur assez peu enclin aux mobilisations collectives, qu’on espère voir s’étendre à l’ensemble du territoire.
Les 23 Fonds régionaux d’art contemporain, quant à eux, affirment renforcer, depuis le début de la crise, leur soutien aux artistes et tentent d’adapter leur programmation. Intitulée « À l’air libre », la sixième édition du WEFRAC, week-end festif porté par Platform, le réseau des Frac, se déploie dans l’espace public et en ligne sur l’ensemble du territoire français. On a décelé quelques pépites dans cette riche programmation : en résidence au Frac Lorraine, le collectif Activismes Ésotériques organise une « marche votive et performative » dimanche dans Metz tandis qu’à Paris, une pièce de la plasticienne sud-africaine Bianca Bondi, dont le travail tourne autour de la magie noire, sera visible depuis la rue jusqu’au 2 mai. De son côté, le Frac des Pays de la Loire a invité Françoise Vergès à confronter son regard à sa collection – le film sera à découvrir à partir du 17 avril sur leur compte Instagram.
A.C.M.
WEFRAC 2021, « Les Frac à l’air libre »
17 et 18 avril 2021
Pour plus d’informations et la programmation complète rendez-vous ici et sur le site de chacun des Frac.
Déconstruire le « male gaze » : Iris Brey en dialogue avec Alain Berland le 15 avril
Penser le présent avec Iris Brey, organisé par Beaux-Arts de Paris, réunira l’autrice et docteure en théorie du cinéma et le journaliste Alain Berland autour des concepts de male gaze et female gaze. Dans la lignée des réflexions menées par la critique et réalisatrice Laura Mulvey dans les années 1970 sur la construction de la culture visuelle patriarcale et la prédominance du regard masculin dans l’industrie cinématographique, Iris Brey s’attache depuis plusieurs années à montrer comment les femmes peuvent se réapproprier leur image et se détacher des représentations archétypales de la féminité conçues par et pour un regard masculin.
Après ses essais Sex and the Series (2018) explorant la manière dont les séries américaines ont enfin raconté les sexualités féminines et Le Regard féminin, une révolution à l’écran (2020) étudiant les formes filmiques qui célèbrent les femmes sans voyeurisme, Iris Brey publie cette année Sous nos yeux, petit manifeste pour une révolution du regard. Illustrée par la tatoueuse et dessinatrice Mirion Malle, cette géniale bande-dessinée transpose les recherches de l’autrice à destination des adolescent·es. Il s’agit de les sensibiliser à la manière dont le male et female gaze à l’écran influencent notre construction identitaire. Ne manquez pas également la séance de signature organisée par la librairie lesbienne Violette and Co le 24 avril réunissant Iris Brey et Chloé Delaume pour son recueil Sororité.
L.P.
Sous nos yeux est disponible en librairie et sur le site de la ville brûle.
Pour suivre la discussion en ligne le 15 avril à 18h30, rendez-vous sur le compte Instagram des Beaux-Arts de Paris. Elle sera ensuite disponible sur youtube et en podcast.
Faire et défaire l’exposition : réinventer les pratiques curatoriales à l’heure de la pandémie
Face à une année marquée par la fermeture des lieux culturels et une sédentarité contrainte, le Centre culturel suisse et la plateforme féministe de recherche en design politique Futuress ont répondu par un passionnant cycle de conférences en ligne abordant l’avenir du milieu culturel. Engagée en faveur d’une amélioration d’un secteur dont certains aspects sont controversés, ce programme invite des artistes, curateur·rices, directeur·rices de musée et travailleur·ses de l’art à partager leurs expériences, visions et perspectives pour penser des pratiques curatoriales plus durables, responsables et socialement justes.
Pour ouvrir le cycle, le 2 avril, il était question du projet de recherche interdisciplinaire Srijan-Abartan, à l’origine du Dhaka Art Summit 2020, et qui cherchait à développer des dispositifs et formats d’exposition durables, responsables et culturellement enracinés. Lors de la deuxième conférence, Keyna Eleison, directrice artistique adjointe du Museum of Modern Art de Rio de Janeiro, a appelé à « prêter attention à ce que nous ne voyons pas, à ce qui n’est pas vu structurellement » afin de pointer les infrastructures imperceptibles à l’œuvre dans une société individualiste, inégalitaire et phallocentrée. Les trois prochaines interventions aborderont l’écologie, les déséquilibres et les discriminations au sein des institutions culturelles. Transversal, engagé et polyphonique, ce cycle propose une réflexion plus que nécessaire sur les nouvelles méthodologies d’exposition et des pratiques curatoriales.
L.P.
Faire et défaire l’exposition : penser des pratiques responsables en temps de crise planétaire
Prochains rendez-vous les 20 et 27 avril. Gratuit, en direct sur Twitch.
Les conférences seront suivies de la publication de textes sur le site de Futuress.
Sélection et rédaction : Alexia Abed, Sarah Diep, Anne-Charlotte Michaut, Léa Pagnier et Laura Trance.
Image à la une : Dhaka Art Summit 2020 © Randhir Singh, courtesy Centre culturel suisse, Paris