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Après le festival Impatience, trois jeunes compagnies à suivre

Après le festival Impatience, trois jeunes compagnies à suivre

Avec les fêtes, les bûches et les résultats positifs, sont tombés au pied du sapin tous les tops musique, littérature, cinéma… Mais peu de médias se sont aventurés, après une longue période de fermeture, à dresser la liste des meilleures créations théâtrales de 2021. Pourtant, juste avant la déferlante se tenait tranquillement au Centquatre (Paris), dans des salles sombres et masquées, le festival Impatience qui proposait un des plus jolis tops de cette fin d’année : celui des jeunes compagnies, à suivre en 2022 (et pour toutes les années à venir). 

Épuisés par la pandémie, secoués de polémiques causées par des directeurs de théâtres un peu trop boomers (ou carrément gerbants ?), lessivés par les annulations puis re-programmations et largement vidés de leur public, les théâtres ont bien besoin qu’un nouveau courant d’air fasse battre leurs portes. C’est exactement ce que propose chaque année, depuis 13 ans maintenant, le festival Impatience organisé par le Centquatre. Cette manifestation qui donne lieu, à son terme, à une remise des prix et offre sur les plateaux de plusieurs théâtres de Paris et sa couronne un aperçu de ce que la jeune création française a à offrir. Et bien qu’une cérémonie ait déjà eu lieu, nous avons tenu à remettre nos propres statuettes. Sortez les robes et les costumes, Manifesto XXI déroule le tapis rouge. 

Impatience
Et puis le roulis, compagnie Réalviscéralisme
La plume d’or goes to : Et puis le roulis

Compagnie Réalviscéralisme, texte : Milène Tournier, mise en scène et dramaturgie : Lola Cambourieu et Yann Berlier, interprétation : Paul-Frédéric Manolis.

Au risque d’abuser d’une formule galvaudée, nous oserons tout de même déclarer que Milène Tournier est peut-être l’un des secrets les mieux gardés de l’écriture théâtrale française. L’autrice déverse dans ses textes une émotion qui rend son sens à cette phrase elle aussi rabâchée : ses mots nous frappent comme une confidence chuchotée à l’oreille. Et puis le roulis regroupe trois monologues, ceux d’une famille saccagée par des sentiments contradictoires et une incapacité à communiquer comme il le faudrait. Le poids des mots trouve sa place tant dans l’intrigue et les névroses des protagonistes que dans le flux de paroles infligé par Milène. Enfermé entre trois murs sur lesquels sont projetées des vidéos déformées, Paul-Frédéric Manolis, guidé par Lola Cambourieu et Yann Berlier, plonge dans la matière brute du texte, se faisant réceptacle et transmetteur de cette écriture. Une écriture qui a laissé un public ému aux larmes, et qu’il nous fallait récompenser d’une statuette – c’est une image, nous n’avons pas réellement de statuettes – et de ces quelques lignes.

Un poignard dans la poche, compagnie Les Rejetons de la Reine © Pierre Planchenault
Le prix du grand dîner de (dé)con(struction du langage) goes to : Un poignard dans la poche

Compagnie Les Rejetons de la Reine, jeu et mise en scène : Jeremy Barbier d’Hiver, Clémentine Couic, Alyssia Derly et Julie Papin, texte et mise en scène : Simon Delgrange, dramaturgie et mise en scène : Franck Manzoni.

Un poignard dans la poche est un continuel dérapage, une chute qui ne cesse de rebondir contre ce langage qui se déconstruit et s’étiole pas à pas. Le dîner prend place comme il faut. On est poli·e, on rit, on sourit, on relance la conversation tant que l’on peut, on commente le temps et l’agencement des meubles. Rien ne saurait trahir le moindre souffle au cœur. Pourtant, rapidement, arrivent des petits bugs. Une phrase qui se répète, une réponse qui se perd dans un regard, un sourire un peu trop appuyé. À mesure que la machine déraille, le gouffre se creuse et le malaise devient de plus en plus grand. Sur fond de violences policières, la compagnie dresse le portrait d’une famille qui tente désespérément de refermer les brèches d’un drame indicible. Clownesque et hilarant, jouant des codes des grandes scènes de banquet du théâtre classique, osant jusqu’à tirer des larmes aux plus sensibles, Les Rejetons de la Reine manœuvrent les registres pour distendre et modeler à leur guise la réalité au plateau. Un numéro de jongle linguistique habile qui repose sur l’interprétation de comédien·nes talentueux·ses. 

Vers le spectre, compagnie La Crapule © Lucas Palen
Le prix des personnes extraordinaires goes to : Vers le spectre

Compagnie La Crapule, création de Maurin Ollès avec l’ensemble de l’équipe artistique. Avec Clara Bonnet, Gaspard Liberelle, Gaël Sall, Bedis Tir et Nina Villanova, mise en scène : Maurin Ollès.

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Pour traiter de sujets aussi sensibles que la parentalité et l’autisme, il fallait être sûr·es de réussir son pari. C’est le cas de Vers le spectre, une pièce qui aborde avec une justesse étonnante les vécus des personnes extraordinaires via le personnage d’Adel, que nous suivons de la naissance à la fin de l’adolescence. Le travail dramaturgique de la pièce surprend tant il est juste. Sans psychophobie ni jugement, il s’agit ici de travailler les retranchements les plus magiques de vécus différents. Plus de deux heures de pièce, portées par cinq interprètes multi-casquettes, qui endossent à la fois les rôles de maîtresse d’école désemparée, d’AVS motivé mais sous-formé, de directrice d’hôpital peu scrupuleuse ou encore de soignante dans un établissement en sous-effectif. De plus, la scénographie amovible intelligente et la musique live réalisée avec un synthétiseur modulaire ont de quoi rendre les fréquents changements temporels présents, sans être trop attendus. Le travail engagé et à fleur de peau de la compagnie La Crapule laisse présager de belles choses, dans toutes les nuances du spectre.


Image en couverture : Et puis le roulis, compagnie Réalviscéralisme

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