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De l’art contemporain à TikTok, vous allez entendre parler de Sinem Sahin

De l’art contemporain à TikTok, vous allez entendre parler de Sinem Sahin

sinem sahim

Si les artistes sont bien installé·es sur Instagram, l’art contemporain demeure encore absent de Tik Tok, qui fait pourtant de l’ombre aux autres réseaux sociaux depuis son explosion lors du confinement. Cela n’a pas empêché l’artiste Sinem Sahin de se lancer pour y chercher (et y trouver !) une communauté.

À peine installée à la table du café où nous nous retrouvons, Sinem s’enquiert de savoir si je m’intéresse à l’astrologie. Une entrée en matière à l’image de son travail : incongru, avec un brin de mysticisme. Si son nom complet ne vous dit peut-être rien, il y a de grandes chances que vous ayez vu Sinem Sahin passer dans votre fil TikTok sous le pseudonyme de @ssmulotov. Son compte, sur lequel elle partage des vidéos caustiques et absurdes, rassemble désormais plus de 45 000 abonné·es. Parmi ses succès : sa discussion avec Marco, ses considérations politiques et ses fameuses techniques de communication…

Mais avant d’être sur les réseaux, Sinem avait déjà l’habitude de se mettre en scène. Diplômée des Beaux-Arts de Toulouse, elle enchaîne avec un Master en Design d’espace aux Beaux-Arts de Lyon, suivi d’une année en anthropologie à l’Université Lyon 2. Elle achèvera ses études par un post-diplôme en recherche et création. C’est dans ce cadre qu’elle jouera son premier spectacle aux Subs, un lieu artistique lyonnais. « C’était une conférence-performance sur le phénomène de gravité. Je faisais le parallèle entre le phénomène de gravité physique et la gravité émotionnelle. J’ai écrit au début de l’épidémie de coronavirus et j’ai joué la veille du second confinement… Autant dire que l’ambiance dans la salle était spéciale !  »

Ce premier spectacle est à l’origine de la rencontre qui engendrera la création de la galerie tatiss. L’invisible, sa dernière exposition en tant que curatrice à la galerie, vient de s’achever. « L’idée de cette exposition est venue de mes études en anthropologie. C’est ce qui m’a amenée à “croire” à la magie. J’ai été très marquée par l’ouvrage Les Mots, la Mort, les Sorts de Jeanne Favret-Saada. Elle a étudié les pratiques de sorcellerie dans le bocage mayennais et a elle-même fini par y croire et vouloir devenir désensorcelleuse… J’ai fait cette exposition pour justement étudier la tension entre la raison et l’intuition, la science et la magie. C’est une tentative de contextualiser les deux. »

Cette exposition présentait des œuvres d’Amélie Bigard, une artiste de 25 ans tout juste diplômée des Beaux-Arts de Cergy et de Dove Perspicaius, une entreprise de fabrication d’ex-votos sur commande fondée en 2010 par l’artiste Claire Wallois. 

manifesto 21 sinem sahim
Une icône d’Amélie Bigard

« J’ai découvert Amélie Bigard dans l’appartement où je suis restée pendant le premier confinement. Il y avait un tableau d’elle où l’on voyait deux personnes enlacées. On dirait qu’elle dépeint des scènes dans un monde sans dieux. Dans les tableaux d’Amélie, on sent une solitude des personnages mais aussi la chaleur et la force que l’on trouve dans le fait d’être ensemble. Les scènes ont l’air de se dérouler dans un monde catastrophé, pourtant on entend une mélodie enfantine rassurante, une berceuse chaleureuse. C’est une artiste formée en iconographie mais qui ne se revendique pas d’appartenance religieuse. C’est très contemporain, cette recherche d’une forme de spiritualité mais sans les grands textes. »

Cette idée de l’invisible se retrouve encore davantage chez Dove Perspicaius, qui s’inspire elle aussi de l’art religieux, et notamment de pratiques chrétiennes, comme nous l’explique Sinem :  « Elle recueille les histoires et les demandes des personnes pour en réaliser des ex-votos. Ce qui est magique, c’est que certaines demandes se sont effectivement réalisées ! C’est bien la preuve qu’il y a un vrai pouvoir symbolique derrière : on a rendu visible l’invisible. C’est très thérapeutique aussi, car elle aide directement des personnes parfois en situation de grande détresse. Ce n’est pas juste accroché dans un intérieur bourgeois. »

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Deux ex-votos de Dove Perspicaius

L’invisible était la dernière de Sinem Sahin, qui s’apprête à quitter le domaine de l’art pour se consacrer exclusivement à ses projets vidéos. Elle nous explique les raisons de ce changement de vie : « L’art contemporain ne m’intéresse plus du tout, je crois. Une galerie d’art contemporain est généralement une entreprise qui appartient à un ou une cinquantenaire issu·e de la bourgeoisie : ça ne cadre pas avec la culture de la jeunesse contemporaine. Dans le même sens, je ne crois pas au futur des galeries traditionnelles avec des objets accrochés dans une boîte blanche. Une galerie, c’est une boutique avec la valeur ajoutée « objet rare ». Et dans une boutique, à part la vente, il ne se passe pas grand chose… »

La suite de ses aventures se passe donc sur Internet, notamment sur TikTok, qu’elle a rejoint pendant le premier confinement, et où elle reste pour l’inventivité qui s’en dégage. Elle résume les raisons de son inscription sur la plateforme en trois mots : ennui, solitude et humour.

« J’envoyais beaucoup de vidéos à mon crush l’été suivant le premier confinement. Il n’en avait rien à foutre donc j’ai décidé de les publier. Ensuite, mon compte a décollé avec une vidéo dans laquelle  je réagis à une recette de cuisine. Je me suis « jetée » dans TikTok, pour contrecarrer le sentiment de solitude imposé, et puis j’y ai vu une espèce de « scène virtuelle. » »

Si Sinem Sahin est sur TikTok, c’est avant tout pour faire rire et essayer de donner une image sincère de son quotidien, avec ses galères et son côté peu glamour. Son approche n’est néanmoins pas dénuée de politique. Elle craint d’ailleurs la censure de plus en plus rude qui sévit sur le réseau, ainsi qu’une possible aseptisation : « Les réseaux sociaux, c’est comme la place publique, donc le contrôle s’y exerce aussi, la morale y est présente, et de nouveaux codes d’aliénation et de résistance y naissent. Je voudrais diffuser un peu de ce que j’ai appris grâce à la théorie critique, le vulgariser de façon poétique, drôle, ou absurde… sans avoir à utiliser le langage du dominant. On m’a appris à considérer l’art comme une résistance. Cela s’oppose constamment à la marchandisation et au divertissement, qui touche de très nombreux domaines de l’expérience humaine. »

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Mais, quand on lui demande si l’art contemporain pourrait trouver sa place sur Tiktok, elle est assez formelle : « C’est dommage que les artistes ne s’emparent pas de la plateforme, au moins pour la visibilité. C’est une vraie opportunité de faire connaître un travail et de lutter contre un certain conformisme sur les réseaux. Un hashtag a la force de mener des modifications de société, alors je crois qu’il faut que les artistes s’intéressent à ces outils, et tentent d’échapper à la censure sérieuse et insidieuse qui opère un peu partout. Je comprends aussi les réticences, car il est très difficilement supportable de se dire que les outils qu’on utilise sont les outils du problème ; ça participe à un narcissisme qui peut devenir dangereux sur le long terme. Cela nourrit un capitalisme créatif, où la communication prime sur le contenu, où l’on devient le·la producteur·rice de soi-même. Mais il y a aussi une beauté à trouver dans la façon dont on peut détourner la plateforme. »

Avec le succès grandissant de son compte TikTok, Sinem Sahin a décidé de poursuivre l’aventure sur Youtube, où elle détourne le format du vlog pour faire son autofiction de jeune femme désœuvrée et looseuse sur les bords. Dans son premier épisode, on peut la voir suivre les préceptes macronistes en tentant de monter sa boîte pour sortir du chômage (sans grand succès…).

« J’ai du mal à dire que ce que je fais est politique… Je mène un peu la stratégie du cheval de Troie et même si l’Histoire a pu prouver son échec, ça façonne tout de même des bases importantes pour l’histoire des contre-pensées. Ça nous ramène toujours à ce qu’on aime combattre. Faire rire m’intéresse aussi, mais mon rire part souvent de l’horreur donc on se mord un peu la queue… Je fais confiance à ce que la philosophe Marie-José Mondzain appelle la “pensée des saxifrages”, du nom de ces plantes qui poussent dans les fissures du béton. »


Suivre Sinem Sahim sur Tik Tok, Youtube ou Instagram.

Image à la une : Capture d’écran de la vidéo « ASMR COLÈRE ET CHOC MENTAL //// VLOG-TUTO VIE »  © Sinem Sahin

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