Installée dans l’Église Sainte-Anne pour cette 52ème édition des Rencontres de la photographie d’Arles, l’exposition The New Black Vanguard. Photographie Art et Mode, met en lumière une nouvelle génération d’artistes bousculant les codes de représentation des corps noirs. Retour sur une exposition coup de poing portée par le commissaire d’exposition, critique d’art et essayiste américain Antwaun Sargent.
Arles, juillet 2021. Un soleil de plomb enveloppe la douce cité antique. Dans les ruelles sinueuses de la ville, les corps des badaud·es se laissent happer par les vibrations émises par les cigales provençales. Lorsque l’on tend l’oreille, on peut saisir au vol des notes d’anglais, d’italien ou encore d’espagnol, résultante de l’aura grandissante des Rencontres Photographiques en Europe. En cette semaine d’ouverture, et ce malgré les restrictions sanitaires, nombreux·ses sont les professionnel·les de la culture et les amateur·trices de photographie à avoir fait le déplacement pour assister à cet incontournable rendez-vous tant attendu depuis deux ans.
Une 52ème édition marquée par l’arrivée de son nouveau directeur, Christoph Wiesner – ancien galeriste de renom et co-coordinateur de Paris Photo pendant plusieurs années –, qui prend le pari de faire le pont entre l’héritage laissé par Sam Stourdzé, son prédécesseur, tout en portant un regard éclairé sur notre société. “Ce qui m’intéresse profondément, c’est l’exploration des grandes questions sociétales. On va continuer à le voir cette année : penser l’écologie du festival comme sujet majeur, la réécriture de l’histoire post-coloniale, la question des femmes photographes et de la représentation du corps noir.” peut-on lire dans son entretien livré dans l’édition spéciale des Rencontres d’Arles du Point. Une phrase qui en dit long sur la portée politique de ces choix curatoriaux.
The New Black Vanguard ou la mise en lumière d’une jeune avant-garde noire
C’est dans ce contexte que se déploie l’exposition The New Black Vanguard. Photographie Art et Mode. Une manifestation initiée par Antwaun Sargent, et qui porte son attention sur une nouvelle génération d’artistes – photographes et vidéastes noir·es tous·tes né·es dans les années 90 –, venant pour une grande partie du Nigeria, des États-Unis, du Royaume-Uni, du Ghana, ou encore d’Afrique du Sud. Leur ambition ? Déplacer les codes de représentation des corps noirs dans l’histoire de l’art à travers le médium photographique.
“L’exposition The New Black Vanguard se concentre sur une histoire de la photographie qui a été largement sous-représentée et rapportée depuis l’avènement du médium lui-même. Il s’agit de réfléchir à la représentation des Noir·es dans la photographie dans l’espace de l’art et de la mode. Pour ce faire, nous avons choisi quinze photographes travaillant dans des contextes étonnants et très différents à travers le monde, et qui réfléchissent à la possibilité de créer un nouveau dialogue entre la mode et l’art par le biais de la photographie ». explique le curateur dans la vidéo de présentation de la manifestation. Le projet d’exposition a débuté il y a deux ans dans la galerie new-yorkaise Aperture, il a ensuite voyagé en Australie et au Qatar avant de s’installer cet été en Arles.
Le corps noir en puissance
Ici, le corps noir est sublimé, valorisé, rendu visible d’une façon saisissante et inédite. L’ensemble du corpus présenté sort d’une vision archétypale de l’homme et de la femme noir·es, trop souvent véhiculée dans le monde de l’art. “Ce qui est contesté dans cette exposition, c’est une vision de la blackness qui a été construite principalement par une imagination blanche, et qui est principalement construite à partir de stéréotypes bons ou mauvais.” poursuit Antwaun Sargent dans sa vidéo.
Lorsque l’on observe par exemple les clichés de la photographe américaine Dana Scruggs, célèbre depuis quelques années pour ses unes de magazines et pour son média éponyme SCRUGGS, nous sommes saisi·es par le traitement chromatique, le jeu des ombres, la lumière venant satiner la peau ébène, comme sur ce cliché d’une femme, “Nyadhour Elevated” prise en 2019. Ici, le modèle s’élance dans une roue, le tout dans un décor désertique. Le sable beige, le ciel azuré et la peau de cette femme au corps longiligne donne à cette composition une dynamique singulière et très esthétisante. Pour cette photographe autodidacte née à Chicago, “il est encore rare aujourd’hui d’identifier des femmes photographes noires photographiant d’autres corps noirs.”
Chez l’artiste britannico-nigériane de 29 ans Nadine Ijewere, c’est la visibilité des corps noirs sur un plan médiatique qui est questionnée. “Je me reconnais dans mon travail et je souhaite que les jeunes femmes racisées s’y reconnaissent aussi. Je tiens à montrer que la beauté ne se résume pas à un standard universel unique.” peut-on lire sur le cartel de présentation de son travail. Sur l’un de ses clichés de la série “Aweng”, on observe une jeune femme, la moue boudeuse, arborant un bustier vermillon et des ailes d’anges en guise d’accessoire. Un bel angelot noir, assis, nous regardant de haut comme pour marquer sa supériorité.
Quant à Renell Medrano, née en 1992 dans le Bronx, c’est toute l’intériorité, le terrain psychologique du portraituré qui transparaît dans ces clichés. Quand on observe sa photographie de Slick Woods, allongée sur un lit, le regard puissamment dirigé vers l’objectif, nous sommes happé·es par la proximité, l’intimité et la sensualité émanant de cette œuvre. Ici, la célèbre mannequin américaine pose à demi-nu, en culotte et crop top blancs, enceinte et affichant, tel un étendard, son fameux tatouage en forme de fusil sur son ventre rond. La lumière est chaude, voluptueuse, ce qui apporte un caractère quasi hypnotique à la scène.
Une valse entre art, mode et célébration de la jeunesse
Autre caractéristique majeure de cette new black vanguard, opérer une nouvelle zone de contact entre l’art et la mode en développant un vocabulaire esthétique faisant le pont entre ces deux mondes que l’histoire de la création artistique a longtemps voulu distinguer. Lorsque l’on se plonge dans l’œuvre de l’artiste nigérian Daniel Obasi, né en 1994, nous sommes à la fois fasciné·es par la poésie qui ressort de chacune de ses compositions, mais aussi par cette place laissée aux vêtements, à la parure, comme catalyseurs d’une certaine puissance. “Moments de jeunesse”, issue d’une série réalisée en 2019, rend pleinement compte de cela. Les corps majestueux de ces quatre hommes, pris en contre-plongée, parés de voiles, de pantalons à pince et de chemises parfaitement ajustées, mettent en lumière la beauté de cette jeunesse africaine. “Je veux apporter du positif et de la beauté sur mon pays.” souligne le photographe pour expliquer sa démarche.
Car c’est aussi cette jeunesse que cette génération d’artistes cherche à célébrer. Une jeunesse créative, qui mérite d’être montrée comme sur ce portrait réalisé par l’artiste Quil Lemons – né à Philadelphie en 1997 –, représentant un jeune homme tout sourire, les yeux à demi-clos, le visage recouvert de paillettes roses issu de la série « Glitter Boy ». Rien ne pourrait arrêter ce personnage au port altier, illuminé par un doux rayon de soleil. Un travail allant parfaitement dans le sens de la réflexion d’Antwaun Sargent : ”Avec ce commissariat, je veux montrer que ce qui se passe en ce moment avec ces très jeunes artistes est significatif et change notre culture. Cette génération change notre conception de la photographie et de l’identité du photographe.” Plus qu’une simple exposition, The New Black Vanguard redéfinit les frontières du voir en valorisant le travail d’une jeune génération de créatif·ves prête à bousculer nos regards.
Exposition à découvrir jusqu’au 26 septembre, plus d’informations ici.
Image à la une : Renell Medrano, Slick Woods, Brooklyn, 2018