Tamar Aphek : « Je crois fondamentalement à l’amour »

Manifesto 21 - Tamar Aphek

À l’occasion de la sortie de son nouvel album, nous avons rencontré Tamar Aphek, artiste qui dépoussière le rock en le ramenant à ses fondamentaux : l’improvisation et la scène. All Bets Are Off, c’est donc neuf titres qui nous font passer par toutes sortes d’émotions pour atteindre le graal ultime : l’amour, tout simplement.

All Bets Are Off est le premier album de Tamar Aphek. Mais l’artiste-compositrice-guitariste n’en est pas à son premier projet. Originaire d’Israël, elle a fait partie de plusieurs groupes de rock (ED ou encore Carusella), et avait déjà sorti un premier EP en solo, Collision, il y a presque quinze ans. S’en suivent alors de multiples tournées internationales, pour pouvoir aboutir sur un moment décisif : dévoiler ces neuf titres qui composent All Bets Are Off. L’adoubement de la critique, elle l’avait déjà obtenu. Mais loin de se reposer sur ses lauriers, elle décide d’offrir un album de rock éclectique, voguant entre un son brut (à la limite du punk) et du psychédélique. Un véritable tour de force opéré par une main divine.

Manifesto XXI – Bon, tout d’abord, ça fait quoi d’être la « Israel’s guitar goddess » selon Timeout Tel Aviv ?

Tamar Aphek : C’est plutôt cool. Je pense que j’étais une des premières artistes femmes à jouer de la guitare en Israël. Mais depuis, je pense qu’il y en a de plus en plus, et là, ça risque de devenir très intéressant.

Tu es donc une actrice importante de la scène artistique israélienne. Est-ce que selon toi cette scène est reconnue à sa juste valeur, ou trop de talents sont encore peu connus ? Notamment dans le rock ?

Je pense que si l’on est curieux·se, en tapant juste sur Internet « artistes Israël », tu peux déjà en trouver pas mal. Même dans le rock. Et d’ailleurs je pense que plus généralement, il y a encore trop de talents peu connus dans la scène rock, d’un point de vue international. Les tendances vont plus sur de la musique électronique. Et il y a de super artistes israélien·nes sur cette scène. On a toujours été une destination incontournable pour les tournées. Mais bon, comme maintenant c’est un peu compliqué, on voit de plus en plus d’artistes locaux·les mis·es en lumière, et ça c’est plutôt une bonne nouvelle.

Jouer en live définit la musique que je défends.

Tamar Aphek

On remarque beaucoup de réverbe sur ta voix dans les morceaux de ton nouvel album. On a l’impression de vivre une expérience live. C’est essentiel pour toi la scène ?

J’ai fait beaucoup de concerts en Europe, et aux Etats-Unis. Jouer en live définit la musique que je défends. Je ne fais pas partie de ces artistes qui arrivent à composer de la musique en studio, uniquement sur Ableton. J’ai besoin de travailler avec de vrai·es musicien·nes autour de moi, même quand j’enregistre mes morceaux. J’aime l’idée de rentrer dans un studio avec des artistes, et les emmener là où je souhaite aller. C’est ce sur quoi je me suis concentrée pendant toute ma carrière.

Avant d’enregistrer cet album, j’étais en tournée pendant deux mois avec deux musiciens (un bassiste et un batteur). J’avais envie de retranscrire une expérience de concert sur cet album, car on venait d’en sortir. On l’a fait dans les studios de Daptone à New York (là où Amy Winehouse a enregistré Back to Black), qui ont clairement un ADN soul/funk. Ça m’a inspirée du coup à donner un souffle un peu plus funk au rock. Par exemple, sur « Crossbow » qui ouvre l’album, il y a clairement un délire funky.

Pour la seconde partie de l’enregistrement, je me suis beaucoup inspirée de la musique électronique. Pas forcément d’artistes, mais plutôt dans les techniques. J’ai beaucoup utilisé le sampling par exemple, sauf qu’on les enregistrait nous-mêmes. J’ai samplé ma propre musique.

Je voulais ramener ce côté un peu « affranchi·e des règles » dans ma musique.

Tamar Aphek

Même si tu diriges ton projet seule, les deux musiciens qui t’accompagnent sont mis en valeur (on les voit dans tes clips par exemple). Est-ce qu’eux aussi sont Tamar Aphek ?

Alors il faut que je te dise la vérité : il y a eu beaucoup de musiciens qui ont enregistré sur l’album. Des guitaristes, des batteurs, des bassistes… Mais les deux musiciens que l’on voit dans le clip de « Russian Winter », et avec qui je joue désormais, n’apparaissent pas sur l’enregistrement de All Bets Are Off. Or Dromi et David Gorensteyn, que l’on voit dans mes clips, m’accompagnent depuis plus de deux ans sur tous mes lives. Je travaille d’ailleurs avec eux pour mon prochain album. Ce sont un peu comme mes frères.

Tu qualifies ton style de « jazz and roll ». On voit d’ailleurs beaucoup d’allers-retours dans ta musique entre quelque chose de brut et de poétique. Comment cohabites-tu avec cette dualité ?

En fait, le terme « jazz and roll » vient de Daniel Schlett qui a mixé l’album. Quand on avait fini d’enregistrer, il m’a envoyé les fichiers dans un dossier qu’il avait intitulé comme ça. Et ce terme résume très bien ma musique en fait. C’était mon objectif. Tout d’abord, il y a le fait d’avoir ramené une technologie nouvelle pour dépoussiérer le rock traditionnel : j’ai utilisé des machines, Ableton pour masteriser moi-même le son de ma guitare. Je trouve ça génial d’avoir autant de possibilités dans la musique grâce à la technologie. Ensuite, je voulais quand même y mettre une pincée de nostalgie, quelque chose du passé. Quand on dit d’un·e joueur·se de jazz qu’il·elle a la jazz en lui·elle, cela fait référence à sa technique, sa sensibilité. Quand on dit d’un·e artiste qu’il·elle est « rock’n roll », on a l’image de l’entertainer choc. Mais il y a beaucoup de similitudes entre ces deux comportements. Ce qui me choquait dans la culture rock qui existe maintenant, c’est à quel point tout est calculé. L’improvisation n’a plus vraiment sa place. Je voulais ramener ce côté un peu « affranchi·e des règles » dans ma musique, tout en la contrôlant avec la technologie que je viens d’évoquer.

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En résumé, tu essaies de sauver le rock ?

C’est toi qui le dis. (rires)

Pour conclure, je voulais revenir sur ton morceau « Drive ». Il y a quelque chose de très psychédélique dans la seconde partie de ce titre, comme une invitation au voyage introspectif. Où veux-tu nous emmener avec All Bets Are Off ?

Plus généralement, dans cet album, je voulais mettre un panel de différentes émotions. Dans les paroles, on passe d’un état d’esprit à un autre, de la colère à la tristesse. Et notamment sur le dernier titre « As Time Goes By », qui est une reprise du film Casablanca, le film le plus romantique de tous les temps. C’était important pour moi de finir sur ce morceau, car je crois fondamentalement à l’amour, à l’amitié. À la bonté des gens envers les autres. Mais pour vivre l’amour, on est obligé·e de passer par plusieurs émotions. Donc oui, je pense que c’est vers ça qu’il faut tendre.

Image à la Une : © Rotem Lebel

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