Lecture en cours
Stop au pinkwashing : Les invisibles de la Pride voient rouge.

Stop au pinkwashing : Les invisibles de la Pride voient rouge.

Pride_pinkwashing_manifesto21_cover

Samedi 30 juin, 14h00. Sous un soleil de plomb, les chars sont prêts place de la Concorde, les drag queens sont apprêté-e-s, les slogans claqués sur des pancartes qui rivalisent d’audace, les paillettes sont étalées sur les corps. Pourtant, ce jour-là, tou-te-s ne défilent pas sous le mot d’ordre officiel de la Pride 2018. Ce mot d’ordre, établi par l’inter-LGBT, le sport #lesdiscrisautapis, n’est vraiment pas passé pour de nombreux-ses militant-e-s, qui se sont mobilisé-e-s pour faire entendre leur voix dans cette marche des Fiertés.

Pride2018_manifesto21_9596
© Nine Thoreau

Tête de cortège remontée

Quelques jours avant la Pride, un ensemble d’associations et de collectifs lançaient l’appel « Stop au pinkwashing » pour prendre la tête du cortège, signifier leur désaccord avec l’organisation officielle de la Marche et la politiser.

© Nine Thoreau
© Nine Thoreau

Parmi les signataires qui entendent repolitiser la Marche des Fiertés parisienne, on trouve le collectif queer non-blanc Qitoko, le Witch Bloc Paname, Gras Politique, le Comité de Libération et d’Autonomie Queer (CLAQ), les Soeurs de la Perpétuelle Indulgence, le Syndicat des Travailleurs du Sexe (Strass), l’association FièrEs… Et la diversité des alternatives au mot d’ordre officiel se reflète dans les pancartes : l’accès à la PMA qui tarde, la transphobie au quotidien, dans le corps médical, l’adoption tant attendue aussi… La critique de la présence de grandes marques dans le cortège se lit aussi régulièrement, les critiques sont sur toutes les lèvres de la tête de cortège : Mastercard, Tinder, Google et Air France (compagnie par ailleurs impliquée dans une tentative de déporter un militant gay d’AIDES vers son pays d’origine, massivement homophobe) étaient bien visibles elles-eux aussi, au milieux des marcheur-se-s. On retrouve aussi bon nombre de pancartes critiquant la Loi Asile et Immigration du gouvernement.

© Nine Thoreau

Le contraste est saisissant entre une tête de cortège qui tient à rester groupée avec discipline, qui s’arrête ponctuellement pour scander « Siamo tutti antifascisti » et le joyeux bordel bariolé qui suit de très loin.

Pride2018_manifesto21_9598
© Nine Thoreau

Queers & trans racisé-e-s contre l’homonationalisme

Pride2018_manifesto21_9355
© Nine Thoreau

Ce cortège de tête antiraciste, anticapitaliste a placé à son avant-garde, et ce pour la première fois dans l’histoire de la Marche des Fiertés parisienne, un cortège de tête non-mixte pour les personnes queer non-blanc-he-s. Une décision qui est le fruit de la rencontre de deux initiatives, celle des associations FièrEs pour organiser un cortège politique, et celle de Qitoko.

© Nine Thoreau

Jonas, militant à l’Intersection, est présent pour veiller à ce que cette non-mixité soit respectée. « On a des personnes LGBT qui viennent nous voir, enfin notamment des mecs gays blancs qui t’expliquent qu’ils comprennent ce que tu vis parce qu’ils vivent l’homophobie… Y en a eu 100 aujourd’hui, qu’on a dû écarter. »

Tout l’enjeu de maintenir cette non-mixité, c’est bien de faire comprendre qu’au sein de la communauté LGBT les discriminations s’insinuent aussi. En plus d’être gay, les queer racisé-e-s cumulent les discriminations racistes au quotidien. « On a un vécu qui est fait de précarité, et le facteur familial peut être très complexe », ajoute Jonas.

« La Pride j’y vais assez rarement, en fait, pour les raisons qui sont dénoncées par ce cortège. Et je ne pensais pas y aller, sauf s’il se passait quelque chose qui remuait un peu la Pride habituelle. » Si cette première marche n’est qu’un début, le militant aux lèvres violettes rappelle très bien que les communautés de queer racisé-e-s ont toujours existé en France, ont toujours été dynamiques, et politisées. « C’est juste que, maintenant, il commence à y avoir une culture politique qui est celle de s’imposer dans des espaces blancs, comme la Pride. On n’a pas envie d’être à côté, mais au cœur. » 

Dans la foule, une militante du groupe Queer & Trans Révolutionnaires défile, en anonyme, et explique ne jamais venir à la Pride, elle non plus. « À QTR, on bosse sur les questions de racisme et le néo-colonialisme donc la lutte contre le pinkwashing, c’est une lutte qui ne nous est pas inconnue. » Comme Jonas, elle explique : « Les personnes queer et trans racisé-e-s ont toujours été dans les luttes pour le SIDA. On a toujours été présents mais, seulement, notre présence et notre histoire ont été invisibilisées. Aujourd’hui, quand on parle de certain-e-s militant-e-s, on ne précise pas qu’elles-ils étaient des militant-e-s racisé-e -s. » Sa présence aujourd’hui participe d’une dynamique de visibilité et de revendications nouvelle qui se met en place au sein de cette population : « On dit non à l’invisibilisation et au blanchiement de nos luttes. » 

Repolitiser la Pride

© Nine Thoreau

Sur le tract de FièrEs édité le 28 juin, on peut lire : « Nous entendons faire connaître, cette année, notre intention d’ouvrir un large débat sur l’organisation de la Marche des Fiertés de Paris, pour faire cesser ce hold-up annuellement renouvelé et qui oblige chacunE à défiler et à adhérer symboliquement à un mot d’ordre choisi en vase clos. » 

Voir Aussi

« La marche de Paris n’a jamais eu un mot d’ordre qui va dans le sens de la lutte contre le SIDA et, cette année, Act Up et AIDES sont relégué-e-s en fin de cortège », relève Olivia, une jeune femme brune militante pour FièrEs depuis un an et demi. « Le G de LGBT prend une place folle dans ce mouvement, et la non-mixité ça sert aussi à délier les paroles. »

Pride2018_manifesto21_9967
© Nine Thoreau

Dans le cortège officiel il faut signaler, quand même, le très critique premier char gouine trans imaginé par le groupe A(n)GORA (financé un peu plus tôt dans l’année par un crowdfunding). Sophie Morello, une des co-organisatrices et fondatrice de La Kidnapping, conclut ainsi cette première expérience : « Je voulais vous dire que je suis très fière d’appartenir à notre communauté, je voulais vous remercier vous, les plus militant-e-s d’entre nous, celles-ceux qui descendent dans la rue, celles-ceux qui créent des collectifs politiques, celles-ceux qui font des pancartes et des slogans toute l’année, pas seulement en jour de Pride, je voulais vous remercier pour m’avoir inspirée/initiée, c’est grâce à vous que j’ai fini par trouver un espace où rentrer en résistance. »

Pride2018_manifesto21_9921
© Nine Thoreau

Propos recueillis et textes : Apolline Bazin

Photos : Nine Thoreau

© 2022 Manifesto XXI. Tous droits réservés.