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Sorcières, une histoire du féminisme sous Giscard

Sorcières, une histoire du féminisme sous Giscard

Changeons d’époque. Oublions nos réseaux sociaux, nos smartphones et nos forums. Oublions nos webzines, nos hashtags et nos groupes de discussions. Retournons dans les années 70 où pour communiquer n’existent que le téléphone, le fax, ou mieux encore, quelques feuilles de papier, une enveloppe et un stylo. La sororité s’en serait-elle trouvée plus balbutiante ? Bien sûr que non ! Et Ground Control le sait qui invoque depuis le 16 janvier les sorcières des 70’s entre ses murs et qui expose les couvertures et les textes de la revue créée en 1975 par Xavière Gauthier : Sorcières, les femmes vivent. Un émouvant témoignage de la vivacité de la création féminine et du féminisme dans la France de Giscard d’Estaing.

L’idée, à l’époque, aurait pu paraître « un peu folle », concède la fondatrice de la revue : créer une revue entièrement rédigée, éditée et publiée par des femmes. Dans les années 70, le monde de la culture, des écrits, des arts bouillonnait de leurs initiatives. En 1975, Xavière Gauthier avait déjà publié une thèse où elle s’attaquait à la misogynie des surréalistes, publié un livre de poèmes et écrit Les Parleuses avec Marguerite Duras. Alors pourquoi d’autres femmes n’auraient-elles pas la chance d’exprimer leurs réflexions et leur créativité ? « Je n’ai pas déliré toute seule ! ¸s’enthousiasme ainsi la journaliste et fondatrice de la revue. Plus de 600 femmes ont contribué à Sorcières ! » Le tout sur sept années, jusqu’en 1982.

Les femmes vivent, les hommes lisent ?

Le nom de la revue est soufflé à Xavière Gauthier par Marguerite Duras, en référence aux travaux de Michelet. Les Sorcières, ces femmes que la société avait toujours mis à son ban, ces femmes dont les hommes avaient toujours endigué la parole, les féministes des 70’s allaient leur redonner leurs lettres de noblesse. « Nous serions des sorcières solidaires », explique Xavière Gauthier.

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Xavière Gauthier à Ground Control / Crédits : Akim Bezzouaoui

Mais, insiste-t-elle aussi, le contexte était aussi à la sorcellerie. En 1975, la loi Veil est à peine votée qu’il faut encore la défendre. « Les sorcières ont permis pendant des années aux femmes d’avoir la maîtrise de leur fécondité et de leur corps », explicite Xavière Gauthier. Le choix était donc fait. Elles seraient Sorcières. Quant aux hommes qui attaquaient, à l’époque, la non-mixité des signatures de la revue, « eh bien, ils pourraient toujours la lire ! », sourit sa fondatrice.

Des textes pleins de vigueur, de douleur et d’audace

L’aventure a vu 24 numéros, publiés à plusieurs milliers d’exemplaires, avec pour fil conducteur des thèmes aussi variés que le désir (#16), le sang (#9) ou la maternité (#4). « Toutes les femmes pouvaient venir. On s’engueulait. On s’embrassait. Il y avait une vie ! Une femme ou deux prenaient à chaque fois la responsabilité d’un numéro ! », se souvient Xavière Gauthier. S’élèvent ainsi des voies jamais entendues et jamais lues. Des femmes ont été publiées pour la première fois par Sorcières avant de continuer. « Dès le premier numéro, outre les textes que j’avais demandés à des écrivaines confirmées, comme Marguerite Duras, Hélène Cixous, Julia Kristeva, Annie Leclerc, Chantal Chawaf…, Mais j’ai été surprise et émerveillée de recevoir des textes pleins de vigueur, de douleur aussi, et d’audace dans l’écriture », ajoute la journaliste.

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Xavière Gauthier et ses amies / Crédits : Akim Bezzouaoui

Xavière Gauthier a animé la revue jusqu’au n°20. Puis, épuisée par le travail que la publication requérait, elle a passé la main « aux copines, qui ont très continué sans [elle] ». En 1982, les éditions Stock qui hébergeait la revue décident la fin de sa publication. Pas sûr que Xavière Gauthier entretienne de la nostalgie par rapport à cette époque. « Aujourd’hui, il y a de nombreuses publications, surtout sur internet, c’est d’autres formes, multiples, et c’est très bien que de jeunes femmes les fassent vivre. Pour moi, je publiais des livres avant Sorcières, j’en ai publié pendant, j’en publie encore ; c’est ma création et mon combat », conclut-elle.

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Un combat à retrouver jusqu’au 27 janvier, à Ground Control Gare de Lyon, Paris.

Article : Thomas Moysan

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