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Sapé·e·s comme jamais : Les parures d’Elektra (Pose), déconstruction de la mode WASP

Sapé·e·s comme jamais : Les parures d’Elektra (Pose), déconstruction de la mode WASP

« Sapé·e·s comme jamais », c’est la chronique mode d’Alice Pfeiffer et Manon Renault qui, deux fois par mois, analyse le tissu social des tenues commentées, critiquées, likées et repostées sur le fil des réseaux. Avec un axe sociologique, elles regardent les sapes, les accessoires, la beauté s’inscrire dans la culture populaire et devenir des cultes racontant nos mythologies contemporaines. Loin d’être de simples morceaux de chiffon ou de la poudre aux yeux, les vêtements ou le maquillage permettent de performer des identités sociales – celles qu’on choisit, qu’on croit choisir, qu’on subit. Ils racontent les espaces de liberté au milieu de la logistique du pouvoir.

Par son chic mâtiné de haute couture habituellement associé au milieu uptown new-yorkais, l’héroïne de Pose oblige le système de la mode à déconstruire les privilèges blancs et cisgenres qu’il (re)produit. L’occasion de rendre hommage à la classe incomparable d’un personnage, alors que la série sur le ballroom se clôturait en juin dernier après trois saisons récompensées par deux Golden Globes.

« Ton uniforme de jupes-culottes mal coupées, tes fausses perles et ton chouchou à cinquante centimes ne camoufleront jamais le fait que tu n’as aucune idée de qui tu es. Ce qui nous rend menaçantes. Nous nous sommes battues pour avoir une place à cette table, et ceci nous a rendues plus fortes que tu ne le seras jamais » répond Elektra Abondance à l’attaque verbale transphobe d’une bourgeoise blanche et cisgenre dans un country club opalin.

Vêtue d’une longue robe rose vif en maille près du corps, avec un port de tête haut souligné par de larges boucles d’oreilles en or et les cheveux en chignon, Elektra (héroïne culte de la série Pose incarnée par l’actrice Dominique Jackson) affirme ici le pouvoir du style, conféré par sa maîtrise des codes du chic trop souvent accaparés par l’upper class blanche, cis et patriarcale américaine.

Rapidement, cette réplique extraite de la saison 2 de la série – qui explore la scène ballroom dans un New York au tournant des nineties, en pleines années sida et au cœur de l’explosion d’un ethos néolibéral – devient virale. Par ses tenues et sa connaissance immaculée des codes élitistes, lors de son affrontement à cette WASP (White Anglo-Saxon Protestant), Elektra rappelle à cette dernière l’incapacité à déconstruire les fondements de son statut de dominante. Pour reprendre la formulation de Frantz Fanon, elle souligne que « le blanc est enfermé dans sa blancheur ».

Entre scènes musicales dansées oniriques et mélodrame social, Pose dépeint le contexte d’oppression de l’Amérique des yuppies et des subalternes. Si la lutte contre l’épidémie du VIH, la violence de l’administration raciste, transphobe et homophobe de Reagan sont centrales à ce récit de l’exclusion des plus précaires, la série met également en lumière le pouvoir du vêtement et la façon dont il questionne l’exclusivité du système de la mode.

La royauté réécrite

Imaginé à partir d’un panaché d’héroïnes réelles et fictives, mainstream et contre-culturelles, l’imaginaire référencé du casting puise dans des personnages iconiques ayant participé à l’écran à déconstruire l’hégémonie dominante, comme Dominique Deveraux de la série Dynasty, Diana Ross dans Mahogany ou encore Pepper LaBeija dans Paris is Burning, soit un ensemble de femmes pour qui le vêtement d’apparat est un outil d’ascension autant que de critique sociale.

Le personnage d’Elektra, lui, poker face, oscille entre femme fatale et « ice queen with a warm heart » gérant royalement sa house, cette famille choisie accueillant des danseur·ses souvent ostracisé·es. Au quotidien, Elektra apparaît en Saint Laurent ou en Halston, et marche, le pas assuré, devant les vitrines de Bergdorf Goodman sur Fifth Avenue en stilettos de 12 cm et jupes crayons. Ainsi, elle fait appel aux plus grands classiques de mythes féminins pop américains – toques et gants assortis de Jackie Kennedy, parures scintillantes de Marilyn, robes fendues de Lauren Bacall. Le vêtement pose la question de l’accès à l’industrie de la mode et tout particulièrement du luxe, excluant femmes racisées, précaires, non-cis.

Dans Fashion and Postcolonial Critique (Sternberg, 2019), les sociologues Monica Titton et Elke Gaugele expliquent que l’histoire du vestiaire chic serait intimement liée à une volonté suprématiste blanche, gérant en ses termes et ses impératifs le système de la mode. Le luxe apparaît en creux comme transphobe et, depuis longtemps au cinéma, classiste à souhait – comme le montrent ailleurs une Julia Roberts dans Pretty Woman et les stripteaseuses de Showgirls affichant un mépris débridé face à leur classe sociale à laquelle elles cherchent à échapper par la consommation de mode.

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Ici, Elektra perturbe les croyances internalisées, normalisées, et oblige à s’interroger sur les codes visuels constitutifs de l’hégémonie blanche et cisgenre. En plaçant le vêtement au cœur du show, Pose questionne les fondements de l’histoire de la couture. Dès la première scène, les personnages se faufilent dans un musée pour y récupérer, en vue d’un bal, les vêtements d’une histoire dont ils sont invisibilisés. Le thème de la royauté est réécrit. Elektra est triomphante, arborant une cape en hermine – symbole du pouvoir des rois français. Le vêtement en devient un outil de création de son identité hors des trames narratives patriarcales réduisant la construction de soi à des données sociales assignées à la naissance. Elektra et sa relecture du vestiaire WASP prouvent donc que la filiation traditionnelle n’est plus le dispositif assurant la reproduction du pouvoir. Le style n’est plus octroyé et confiné par un héritage familial classique, mais circule dans l’enceinte de la famille choisie.

Ainsi, Pose célèbre le devenir, la déconstruction et l’expression hors des narrations instaurées et maintenues par les outils de domination classiques – et montre comment l’apparat devient un outil de négociation de l’identité pour toustes.


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